A la veille de l’annonce du confinement, Vincent Tapin et l’équipe de l’association Aux Captifs, la libération, qui accompagne les gens de la rue (sans-abri et en prostitution), étaient déjà sur le pont. Question : fallait-il fermer ou pas la permanence de Paris Centre où il intervient ? En effet, les dispositifs d’aide aux plus démunis sont souvent le seul lien social dont ils disposent. « On s’est tout de suite retrouvés en gestion de crise. On ne savait pas trop comment faire d’autant que les directives des autorités sont arrivées un peu tard. Aucun professionnel n’est préparé ni formé à une situation pareille, souligne le travailleur social de rue. On s’adapte au jour le jour. » Finalement, la stratégie adoptée est celle d’un service minimum, sorte de confinement « light ». En clair, les cafés-rencontres où 40 à 80 personnes sont accueillies autour d’un petit déjeuner, deux matins par semaine, sont annulés. Tout comme les activités de dynamisation culturelle et sportive. En revanche, les tournées de rue sont maintenues ainsi que la distribution du courrier. Deux cents personnes sont domiciliées dont certaines attendent le virement d’aides sociales comme le RSA ou l’allocation aux adultes handicapés.
Par chance, Vincent Tapin commande du gel hydroalcoolique tous les mois à un grossiste, il en a donc en réserve. La Dases et la Drhil(1) ont procuré plusieurs boîtes de masques et la responsable a récupéré des gants. « Seul un battant de la porte est ouvert pour empêcher les gens d’entrer. Une table est disposée entre eux et la responsable qui donne le courrier et signe les récépissés pour éviter la contamination par les stylos et le papier. Moi, je contrôle le flux dehors pour faire respecter la distance d’un mètre entre deux personnes », précise le trentenaire. Et d’ajouter qu’il doit être vigilant sur les gestes-barrières pas naturelles pour lui, qui se dit « très tactile ». A la première distribution, seules 24 des 40 personnes qui se sont présentées étaient domiciliées à l’antenne. Elles voulaient des informations, pas tant sur le coronavirus que sur la possibilité d’avoir une attestation de domiciliation à présenter à la police ainsi que sur leur accès aux droits à la sécurité sociale et à leurs allocations. Pourtant, selon Vincent Tapin, pas de mouvement de panique. Plutôt de la colère parce que beaucoup de structures sont fermées et qu’il est difficile de trouver à manger et un lieu pour se laver. « Lors de ma tournée de rue hier soir, j’ai rencontré des sans-domicile qui n’avaient rien dans le ventre depuis quatre jours », pointe le travail social. Depuis, les choses s’organisent et les restaurants solidaires parisiens ont modifié leurs modes d’action : ils n’offrent plus de repas sur place pour éviter les rassemblements mais distribuent des paniers repas.
Pour Vincent Taquin, le problème principal est ailleurs : « On ne vas pas confiner les gens dehors ! La coordination du Samu social a expliqué que l’on pouvait orienter les gens vers un hôtel du XIIIe arrondissement. On en a envoyé six. Mais on est obligé de prioriser et de faire rentrer les plus vulnérables, en pensant que s’ils ont le coronavirus, ils vont être confinés là-bas et contagieux. C’est toute l’ambivalence. » L’urgence pour celui qui ne compte plus ses heures est de réquisitionner des chambres d’hôtel de façon systématique : « Les hôtels sont vides, il n’y a plus de touristes ! » A défaut, les SDF vont être les seuls à être à l’extérieur. C’est déjà le cas. « Il y a plus de sans-abri dans la rue qu’avant le confinement. Avant, ils se réfugiaient dans les coursives du forum des Halles, les bibliothèques… Ils ne peuvent plus. Même les toilettes publiques sont fermées ! Les guichets de la Banque postale ne fonctionnent plus. On a juste oublié que les SDF sont majoritairement détenteurs d’un livret A. Or la carte de Livret A ne permet pas de retirer de l’argent aux distributeurs automatiques. Donc ils n’ont pas d’argent. Et avec le confinement généralisé, ils ne peuvent plus faire la manche », alerte Vincent Tapin. Autre problème : à Paris, un seul centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) est resté ouvert au public. « Il n’y a plus de vente de crack et d’héroïne dans la rue et la file active des personnes qui ont besoin d’un traitement de substitution explose », s’inquiète Vincent Tapin. Mais pas question de baisser les bras même si les renforts manquent. Certains bénévoles sont très motivés, d’autres se confinent. « La vocation des travailleurs sociaux est d’être à côté de ceux qui en ont besoin, commente-t-il. Pour moi, aucune question ne se pose. »
(1) Direction de l’action sociale de l’enfance et de la santé de Paris et direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement.