J’avais une vie bien réglée.
Le matin, je me levais avant tout le monde. Je me faisais un café, que je sirotais lentement. Je savourais le silence. Flobert se levait à sept heures. Il prenait son café en consultant ses messages. Il ne m’adressait pas la parole. De toute façon, nous n’avions rien à nous dire.
Les enfants se levaient à sept heures et demie. Ils prenaient leur petit déjeuner en silence. Ils savaient qu’il ne fallait pas déranger leur père le matin. Ils avaient enfin compris qu’il ne supportait pas le moindre bruit, alors ils faisaient attention.
Flobert partait à huit heures.
Puis j’accompagnais les enfants à l’école.
A partir de neuf heures, j’étais seule à la maison. J’avais quelques heures de calme devant moi. Le calme avant la tempête. Et le décompte pouvait commencer. Dans huit heures, les enfants seraient là. Devoirs, jeux et bain. Dans dix heures, Flobert serait là. Picole, torgnole et viol.
Nous avions une vie bien réglée.
Mais depuis le confinement, rien n’est plus pareil. Flobert est en télétravail, les enfants sont en école à la maison, et moi… Moi, Florette, je fais comme d’habitude. Je m’occupe de la maison, des enfants et de mon mari. Je fais ce que je peux pour que tout se passe au mieux.
Mais rien n’est plus pareil. Il n’y a plus de silence, plus de routine.
Il n’y a plus d’heure pour les devoirs, les jeux et le bain. Plus d’heure pour la picole, les torgnoles et les viols. N’importe quoi peut arriver n’importe quand.
Tout est prétexte aux cris et aux coups. La viande est trop cuite. Les enfants font trop de bruit. Les draps sont mal repassés. Il est trop tôt pour manger. Flobert a trop de boulot. Il n’y a plus de pain. Il n’y a rien à la télé. Le chien du voisin aboie. Je suis trop conne, et trop moche. Et lui, Flobert, il est trop bien pour moi.
Alors il crie. Les enfants ont peur. Il crie encore. Je pleure. Il crie de plus en plus fort. Il crie et je supplie. Et après, il cogne. Une gifle pour le petit, une baffe pour la grande, une raclée pour moi. Il cogne de plus en plus fort. Il cogne sans vergogne. Et quand il a fini de crier et de cogner, il m’entraîne vers la chambre et…
Il appelle ça le « devoir conjugal ». Je suis mal placée pour jouer sur la sémantique. Au moins, tant qu’il est occupé à me besogner, il cesse de nous cogner. C’est déjà ça.
Et après ? Après, rien. Il s’endort, satisfait. Je me lève, souillée. Et tout reprend comme avant.
Nous avons une vie bien réglée.
Nous n’avons nulle part où aller. Mes parents sont âgés, mes voisins sont confinés, nous sommes coincés.
Coincés avec Flobert, mari et père violent, mais fils irréprochable et voisin serviable.
Coincés et prisonniers.
Alors j’attends. J’attends qu’il ait fini de crier, de tabasser, de violer.
Les enfants attendent. Ils attendent la fin des mandales et le retour à la vie normale.
Flobert attend. Il attend l’apéro et la fin du fléau.
Nous attendons tous. Encore quelques jours, ou quelques semaines, je ne sais pas.
Encore quelques coups et quelques larmes.
Et après ? Après, rien. Ce sera comme avant.
Nous aurons une vie bien réglée.