Deux prises de parole du président de la République en quatre jours, dont celle du 16 mars qui a conduit au confinement de tous. Entre les deux, la décision du Premier ministre de fermer les commerces dits « non essentiels à la vie de la Nation ». Jour après jour, des annonces relayées dans les journaux d’information, comme la suspension des visites, d’abord dans les Ehpad, puis dans d’autres services et établissements accueillant des publics fragiles. Et, sur les réseaux sociaux, de fausses informations qui fleurissent se mêlent aux vraies précautions à prendre et au rappel des mesures-barrières efficaces.
Davantage que d’un manque d’information, la lutte contre le coronavirus souffre d’un excès de données ou, à tout le moins, d’une abondance désordonnée. Face à ce constat, tous les publics ne sont pas égaux. Et parmi les plus en difficulté, se trouvent certains usagers des foyers de vie, de maisons d’accueil spécialisées, de centres d’hébergement d’urgence… Et ce, d’autant plus que les personnels de ces structures courent d’une mission à l’autre et peuvent manquer de temps pour expliciter messages et consignes.
Pourtant, dans un courrier adressé le 14 mars dernier au directeur général de la santé, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommande que soit délivrée aux publics fragiles – personnes âgées de plus de 70 ans, hommes et femmes atteints de maladies chroniques… – une information spécifique, premier outil de prévention.
« Il est essentiel de s’assurer que ces personnes reçoivent des informations sur la nécessité de se protéger », écrit le président du Haut Conseil de la santé publique, le professeur Franck Chauvin. Avant de préciser que cette information « devra être adaptée à leur pathologie ainsi qu’au degré de compréhension du patient ».
Première précaution : le message doit être délivré, recommande cette instance, de façon individuelle, par le médecin traitant d’abord, par les soignants ensuite. Tous les types de support sont possibles (vidéo, mail, téléphone…), et il peut être utile d’accompagner ce premier étage de la prévention de séances d’éducation au lavage de mains ou au port de masque.
Quant au contenu, il doit traiter de la description des symptômes, des premières choses à faire en cas d’apparition des premiers signes de la maladie, des numéros de téléphone à composer, de la consigne de ne pas suspendre sans avis médical les traitements de fond de la pathologie préexistante… Le rappel des mesures-barrières, renforcées pour ces publics fragiles, doit aussi être réalisé et le statut vaccinal du pneumocoque doit être vérifié.
Voilà pour la théorie. Mais sur le terrain, tous les résidents de structures médico-sociales ne se jugent pas également informés.
« On nous a juste dit que les activités étaient supprimées, qu’on était confinés, confie David(1), 22 ans, qui vit dans un foyer de vie. Mais on n’a pas eu d’information officielle du directeur, et pas la moindre communication du siège de l’association gestionnaire de notre structure. »
Et en effet, qu’il s’agisse des sites Internet des associations de personnes handicapées ou de soutien aux hommes et femmes précaires, bien peu délivrent une information actualisée à leurs usagers. Ainsi, le 16 mars, la dernière actualité disponible sur le site du Secours populaire datait-elle du 6 mars. C’était pire encore sur ceux du Secours catholique ou d’Emmaüs France. Ce même jour, l’Unapei, association qui accompagne les personnes déficientes intellectuelles et leurs familles, relayait simplement les communiqués de presse du secrétariat d’Etat de Sophie Cluzel et APF France handicap, quant à elle, ne proposait rien sur sa page d’accueil.
Inversement, les Restos du cœur indiquaient, en page d’accueil, dans une actualité datée du 15 mars, poursuivre leurs activités et les recentrer sur l’aide alimentaire, en la distribuant dans les centres et la rue, et sur l’hébergement d’urgence.
Autant dire que l’information est inégalement relayée. Si David regrette de se sentir mal informé, Martin, lui, 32 ans, déficient intellectuel vivant dans un foyer de vie, dit avoir compris « qu’il ne fallait pas trop toucher les gens, se laver les mains et faire attention aux gens fragiles parce que le virus touche les voies respiratoires. Ce sont les éducateurs et le chef de service qui me l’ont dit. Tout va bien, je ne suis pas inquiet ».
Car le risque est bien de générer des angoisses ou une mauvaise application des consignes. Or, en période de confinement, les personnes accompagnées en raison d’un handicap ou de leur précarité sociale font l’objet de mesures spécifiques et contraignantes : interdiction des visites en établissement, suspension des autorisations de sortie individuelle pour le week-end ou des activités organisées, etc. Outre qu’elles doivent être respectées, ces contraintes doivent être comprises pour être acceptées et ne pas engendrer de rejet ou de trouble psychologique.
Ce que confirme Christine Laconde, directrice du Samu social de Paris. Dans l’un des centres d’hébergement qu’elle gère, le 16 mars, une vingtaine de personnes était atteintes sur les 60 accueillies : « Nous réitérons la pédagogie des gestes-barrières quotidiennement, et pour maintenir les résidents dans leurs chambres, puisque tous nos malades ne sont pas à l’hôpital, il nous faut inventer de l’occupationnel, voire mettre en place des choses inhabituelles. Pour que le climat ne se tende pas trop, ainsi pouvons-nous être amenés à autoriser alcool et cigarettes. »
Informations, consignes, mesures temporaires d’apaisement. Toutes sont largement dépendantes des dirigeants d’établissement. Ce qui engendre une inégalité entre les usagers. De quoi susciter le souhait, chez Vincent Lochmann, lui-même parent d’un jeune handicapé hébergé en établissement et membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), de voir se créer une association des usagers du secteur médico-social pour « porter la parole du terrain, et exprimer ses besoins ». Et de citer, en exemple, France Assos santé, qui regroupe des usagers du système de santé…
L’Adapei 34, antenne héraultaise de l’Unapei, a produit un guide sur la pandémie en français facile à lire et à comprendre. En quelques questions et réponses simples, l’association présente aux personnes déficientes intellectuelles les causes et caractéristiques du virus, ce qu’il convient de faire pour s’en prémunir… Bien qu’il ait été produit avant les mesures de confinement, il conserve son utilité. A télécharger ici : bit.ly/2IUNRt8.
(1) Le prénom a été modifié à sa demande.