Avec l’ambition de doubler le nombre de jeunes pris en charge dans les dispositifs locaux dédiés, la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024 se voit déclinée en 40 mesures. En majorité, elle renforce des mesures déjà existantes : travail pair dans la médiation sociale et scolaire ; dispositifs d’insertion professionnelle comme le travail alternatif payé à la journée ; « au moins deux intervenants sociaux » pour les commissariats et gendarmeries de chaque département… Sur le plan pénal, elle compte améliorer la prise en charge des multirécidivistes « par des structures sociojudiciaires ou médico-sociales ».
L’orientation nouvelle, sans doute la plus importante, est l’extension des actions de repérage aux enfants de moins de 12 ans. La stratégie mise sur la prévention primaire. Cosecrétaire général du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (Snuas-FP/FSU), Brice Castel alerte sur le risque de « mettre une étiquette sur les enfants ». Certes, « on n’investit pas assez l’école en termes de prévention », admet-il, à l’heure où le service social scolaire compte seulement 2 500 assistants sociaux dans toute la France. Mais le sujet doit être pris avec des pincettes : « Accompagner les familles, oui ; le faire sous l’angle de la prévention de la délinquance, non… Il faut un soutien éducatif global. » Le responsable syndical met aussi en garde contre le lien établi entre décrochage scolaire et délinquance.
La stratégie promeut également l’amplification du partage d’informations entre acteurs médico-sociaux, chefs d’établissement et conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Pour Brice Castel, un « gros flou » entoure cette constante : « Qu’est-ce qu’on en fait ? Quel est l’objectif ? » Une mesure encourage les échanges entre groupes de prévention du décrochage scolaire et élus locaux : les assistants sociaux lui opposeront une « fin de non-recevoir », estime-t-il, car elle mettrait à mal la relation de confiance entre le travailleur social et le jeune. Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), déplore la volonté politique d’« ouvrir les vannes » du secret professionnel. Depuis des années, rappelle-t-il, celui-ci est « en permanence attaqué, alors qu’il s’agit d’une exigence ».
Le plan 2020-2024 fait ainsi resurgir des désaccords anciens, datant de la loi relative à la prévention de la délinquance de 2007. « Lorsqu’un jeune se rapproche de la délinquance, c’est avant tout le symptôme d’une difficulté familiale ou personnelle qu’il s’agit de traiter », fait valoir Brice Castel. Or, en 2020 comme en 2007, le travail social est présenté comme vecteur d’identification afin d’éviter le passage à l’acte. « C’est ce que nous faisons, mais sans nous réduire à cette logique ni au seul prisme de la délinquance. Il faut préserver la relation d’aide, le soutien à la parentalité. » Le responsable syndical fait le lien avec le projet de réforme de la justice des mineurs mené par Nicole Belloubet, regrettant là aussi le basculement « d’une approche éducative à judiciaire ».
Autre point : le recours à des dispositifs pour repérer les jeunes disparus de l’espace public, notamment par l’usage des réseaux sociaux. La Caisse nationale des allocations familiales, qui expérimente depuis 2016 les Promeneurs du Net(1), serait impliquée. Elle indique être « en attente de précisions » sur cette mesure et rappelle que les Promeneurs du Net peuvent d’ores et déjà « être amenés à prévenir la délinquance » dans la perspective « de maintenir le lien avec les jeunes et leur accompagnement ». Les travailleurs sociaux, en particulier les éducateurs spécialisés, seraient également associés. Pour Jean-Marie Vauchez, un tel usage des nouvelles technologies implique de « connaître le public en amont, de prolonger l’accompagnement. Cela ne doit pas être une simple présence virtuelle ». Surtout, l’efficacité reste à prouver : « On présuppose de l’effet d’une telle mesure, et on la valide… », déplore-t-il.