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L’accompagnement nocturne encore balbutiant

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En établissement comme à domicile, l’offre dédiée à la prise en charge la nuit des personnes âgées dépendantes, notamment atteintes de la maladie d’Alzheimer, est peu développée. A l’exception de quelques initiatives aux résultats prometteurs, reste encore posée la problématique de l’accompagnement nocturne pour mettre fin à l’isolement professionnel des équipes de nuit comme pour répondre au droit au répit des proches aidants.

« Ancien boulanger pâtissier, M. R. déambule toutes les nuits entre 3 h et 6 h du matin. Les tentatives de l’équipe de nuit pour le recoucher sont vaines et génèrent une tension de part et d’autre. L’achat d’une machine à pain a permis que M. R. fasse du pain avec l’aide de l’équipe de nuit dans ce même créneau horaire. Cette activité l’apaise. Il se recouche ensuite tranquillement… et de surcroît, il flotte une bonne odeur de pain ! » En 2011, déjà, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) citait ce cas, à titre d’exemple, pour mettre en exergue la nécessité pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de prendre en compte les « besoins singuliers » de chaque résident en matière de coucher, de sommeil, de respect d’habitudes antérieures liées à la nuit. « Le rythme de vie des résidents ne coïncide pas avec le rythme institutionnel. Le nombre de professionnels auprès des résidents est plus important le matin que le soir et a fortiori la nuit. Or la vie quotidienne se déroule sur l’ensemble des 24 heures de la journée », rappelait feu l’Anesm. Si le temps de vie nocturne doit, en théorie, s’inscrire pleinement dans le projet de vie personnalisé des résidents, rares encore sont les établissements à avoir développé des dispositifs en ce sens. Pourtant, la problématique de l’accompagnement nocturne en Ehpad se pose d’autant plus vivement que le taux de résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés est conséquent. Des pathologies qui peuvent générer chez certains résidents des troubles perturbateurs nocturnes (insomnies, déambulations, agitation, agressivité, cris, risques de chutes…) pour la personne âgée elle-même, des nuisances pour les autres résidents et des difficultés pour le personnel de nuit de l’établissement.

Différentes Expérimentations

Précurseur dans cette réflexion, l’Ehpad public La Résidence du Parc, situé à Saint-Germain-la-Ville (Marne), a créé en 2011 à titre expérimental – puis pérennisé en 2015 par l’agence régionale de santé (ARS) Champagne-Ardenne – un dispositif baptisé « Le Noctambule » permettant à des résidents présentant des troubles du sommeil de bénéficier de 19 h 30 à 1 heure du matin d’un accompagnement spécifique de nuit dispensé par des aides-soignantes formées. « Imposer arbitrairement à tous les résidents de se coucher à 20 h 30 parce que ce sont les horaires du personnel est quelque chose de très artificiel. Il ne faut pas alors s’étonner que cela génère des troubles du comportement », explique Françoise Desimpel, directrice de l’établissement. Et d’ajouter : « Il nous a paru essentiel de traiter cette période de la vie du résident avec la même sécurité et le même bien-être que la journée où il y a des activités, des visites. La philosophie de ce dispositif est qu’il n’y ait jamais de rupture brutale entre une période de la journée et une autre. C’est ce que l’on appelle dans la philosophie de l’humanitude, le “fondu enchaîné”. » L’établissement s’organise pour que les personnes soient couchées et levées à l’heure qu’elles désirent. « Tous les rythmes doivent être adaptés à la singularité de chaque résident », poursuit la directrice.

Depuis ces dernières années, du côté des ARS, la prise en charge nocturne en établissement est avant tout traitée au travers du prisme de la continuité des soins avec le lancement des expérimentations des infirmières d’astreinte la nuit en Ehpad(1), afin notamment de réduire les hospitalisations en urgence évitables. Signe d’une prise de conscience grandissante, l’ARS de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) a identifié, dans le cadre de l’élaboration de son « projet régional de santé (PRS) II », la prise en charge nocturne en Ehpad « comme un point de rupture dans le parcours des personnes âgées ». Pour y répondre, l’agence a lancé, en juillet 2017, un appel à candidatures pour la mise en place expérimentale de pôles d’activités et de soins adaptés (Pasa) de nuit au sein de 21 Ehpad, sur une durée de deux ans. Compte tenu des retours positifs et encourageants, l’expérimentation a bénéficié d’une prorogation d’une année en 2020 auprès de 20 structures et un nouvel appel à projets a été lancé.

Au sein de l’Ehpad La Villa des Poètes à Marseille (Bouches-du-Rhône) – l’une des 21 structures impliquées dans l’expérimentation –, 57 résidents ont déjà bénéficié d’une prise en charge nocturne personnalisée depuis la mise en place du Pasa de nuit. Ainsi, 7 jours sur 7 de 18 h à 5 h du matin, plusieurs activités sociales et thérapeutiques sont proposées « aux résidents qui présentent des troubles comme la déambulation ou l’angoisse en début de nuit, aux résidents qui s’endorment tôt mais qui redéambulent sur la deuxième partie de nuit, aux résidents qui présentent des réveils trop précoces entre 2 h et 4 h du matin, aux résidents qui peuvent angoisser seuls dans leur lit. Et il y a également tous les résidents en fin de vie qui ont énormément besoin de temps et d’attention », liste Brigitte Ayvazian, directrice de l’établissement.

Selon Alice Coulournat, psychologue de l’établissement, les indicateurs de suivi du dispositif sont prometteurs et mettent en évidence une diminution des anxiétés nocturnes ainsi qu’une amélioration de la qualité de sommeil de tous les résidents, une baisse et l’arrêt de certains traitements médicamenteux, ainsi que des cas de résidents qui ont pu rétablir leur rythme jour/nuit. « Les équipes ont le sentiment d’être allées jusqu’au bout de la prise en charge et il y a une continuité des soins grâce à une meilleure information des équipes de jour sur ce qui se passe la nuit », ajoute-t-elle.

Répondre aux besoins des aidants

A domicile, pour les proches aidants de personnes âgées en perte d’autonomie, la nuit participe fortement de leur épuisement potentiel. Pourtant, rares encore sont les dispositifs proposés par les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) permettant de répondre à ce droit au répit. Pour impulser cette dynamique, la Fondation Médéric-Alzheimer a lancé, depuis 2018, un appel à projets « afin d’inciter plus fortement les acteurs de terrain à diversifier et compléter la gamme de leurs réponses pour améliorer l’accompagnement de nuit des personnes ayant des troubles cognitifs vivant à domicile ». « Les proches aidants, qu’ils vivent ou non sous le même toit, sont souvent très investis auprès de leur parent ou conjoint et, de ce fait, directement impactés par ces difficultés. Chez ces derniers, le manque de sommeil constitue l’un des principaux facteurs de dépression et d’épuisement. C’est également la qualité de la relation entre ces aidants familiaux et leurs proches qui s’en trouve affectée. Malgré l’existence d’initiatives (gardes itinérantes de nuit), le faible taux de réponse à ces problèmes (ou leur coût souvent trop élevé) ne permet pas de faire suffisamment face aux besoins », remarque la fondation.

Parmi les quatre lauréats de l’édition 2019 de l’appel à projets, la plateforme d’accompagnement et de répit du centre hospitalier (CH) de l’Ouest vosgien de Neufchâteau propose aux personnes malades et à leurs aidants familiaux des interventions à domicile réalisées par une assistante de soins en gérontologie (ASG), en soirée et/ou durant la nuit. Le principe ? En plus de l’aide et du répit immédiat, l’ASG, « dans une logique d’éducation thérapeutique », propose aux proches aidants des conseils pratiques leur permettant d’atténuer ou d’éviter la survenue de troubles du comportement nocturnes de leur proche. « Cette solution innovante de garde à domicile se fait sur deux horaires (17 h-minuit ; 22 h-6 h du matin). Nous travaillons avec la psychologue de la plateforme, en complémentarité de ce qu’observe notre ASG. Les premiers résultats sont positifs. Nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer un plan d’accompagnement personnalisé ou d’orienter vers d’autres structures spécifiques », se satisfait Carole Thiebaut, coordinatrice filière gériatrique du CH Ouest vosgien, cadre service social et plateforme d’accompagnement et de répit.

Élargir les heures d’intervention des Ssiad

Si l’offre de services de nuit des services d’aide et d’accompagnement à domicile est encore balbutiante, il en est de même pour les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). L’ARS de la région Paca s’est également saisi de cet enjeu à travers une expérimentation depuis le début de l’année 2018 et pour deux ans. Concrètement, les patients de quatre Ssiad expérimentateurs pourront bénéficier d’une prise en charge sur des horaires élargis, c’est-à-dire jusqu’à minuit ou 1 heure du matin en soirée et de 5 h ou 6 h à 7 h le matin. Objectif : favoriser le maintien à domicile de personnes âgées très dépendantes et/ou de patients qui nécessitent des soins plus importants, notamment dans le cadre de retours d’hospitalisation.

Selon une enquête réalisée, en 2019, par l’observatoire régional de la santé de Nouvelle-Aquitaine sur la couverture horaire des interventions assurées par les Ssiad et les difficultés rencontrées, les besoins en la matière sont réels. Quatre patients sur dix ont ressenti, depuis qu’ils sont pris en charge par le Ssiad, le besoin d’une aide d’une personne extérieure en dehors des heures d’intervention du service, en soirée ou la nuit (38 %). Parmi l’ensemble des patients, 7 % auraient eu besoin d’une aide extérieure en soirée pour aller aux toilettes, 5 % pour la toilette et la même proportion pour s’habiller ou se déshabiller ; 12 % des patients auraient eu besoin d’une aide pour se relever après une chute et 8 % d’une aide à la suite de la survenue d’un trouble tel qu’une douleur, un malaise… « On voit donc que toutes les situations décrites ne relevaient pas forcément de l’intervention d’un Ssiad », analyse l’étude. Des situations qui mettent néanmoins les patients et les familles en difficulté, faute d’intervenants professionnels possibles dans le secteur médico-social.

L’efficacité des thérapies non médicamenteuses

Selon une étude menée en 2019 au sein de l’Ehpad Le Domaine de la Source, à Roquefort-la-Bédoule (Alpes-Maritimes), un changement d’environnement la nuit permet de diminuer de manière significative les troubles du comportement de nuit liés à la maladie d’Alzheimer. « Grâce à des techniques non médicamenteuses (dalles lumineuses de plafond décorées, variation de l’intensité lumineuse, diffusion de musiques relaxantes, horloges à aiguilles et digitales, tenues des soignants pour l’équipe de nuit bleu marine), nous obtenons une réduction du nombre d’agitations-agressions de 84 %, du nombre de déambulations de 70 % et du nombre de cris de 80 %. Enfin, le nombre de déambulations a été réduit de 65 % sur le créneau 18 h-minuit », détaille Thierry Bautrant, médecin psychiatre et directeur de l’établissement.

Notes

(1) Voir ASH n° 3092 du 11-01-19, p. 18.

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