Proposer des alternatives au placement… Tel est l’objectif des différents services de la Mecs (maison d’enfants à caractère social) Don-Bosco, dans les Ardennes. Parmi ceux-ci, le dernier-né, le service d’accompagnement modulable des familles d’accueil (Samfa), semble trouver ses marques peu de temps après sa création, entre retours positifs et bouche-à-oreille bienveillant.
L’aventure a commencé lors des commissions d’orientation, où se retrouvent une fois par semaine l’aide sociale à l’enfance (ASE) et son service qui gère les assistants familiaux, ainsi que les autres acteurs de la protection de l’enfance du département. « Nous avons réalisé que 90 % des situations abordées lors de ces commissions concernaient des enfants en famille d’accueil, se souvient Alix Delcourt, cheffe de service du Samfa. L’assistant familial se retrouve souvent dans une complexité relationnelle qui peut impacter sa famille, et donc dire : « Je ne sais plus comment accompagner cet enfant. » Constatant un nombre exponentiel de demandes de réorientation, résultat d’une insatisfaction des familles d’accueil, des solutions sont envisagées. « On propose des soutiens aux familles “naturelles”, mais les familles d’accueil, elles, en suppléance parentale, sont les professionnels les plus isolés, alors qu’elles n’ont pas la même formation que les travailleurs sociaux », précise Alix Delcourt. En juin 2018, le service d’accompagnement modulable (SAM), grand frère du Samfa, étudie alors la situation de deux jeunes dont les familles d’accueil, épuisées, demandent une redirection en foyer. L’idée est alors de leur proposer un soutien, une « guidance », afin d’éviter aux enfants une énième rupture. Le responsable ASE donne son feu vert. Pour Alix Delcourt, il ne s’agit pas « de stigmatiser les assistants familiaux, ni de surveiller leur travail, mais bien de faire émerger des questionnements légitimes pour mieux construire avec ces familles d’accueil ». Pour cela, « expliquer l’intention » est primordial. Le courant passe entre ces assistants familiaux et les éducateurs spécialisés. Lesquels ne se mettent pas en position « haute » mais deviennent les apprenants, face à l’expertise des familles d’accueil sur les enfants qu’ils accompagnent. « Elles ont leur savoir, le travailleur social écoute, il faut croiser le regard des professionnels, c’est ça qui fait la différence », assure la cheffe de service. Cette première expérimentation a duré six mois, Alix Delcourt détachant pour ce faire des travailleurs sociaux du service existant de placement à domicile.
« Le retour a été positif, l’assistant familial nous disant que la tiercéité amenait une nouvelle dynamique dans la relation habituellement duelle. Quelqu’un de neutre vient apporter du liant, une respiration. » Ces temps d’échange ont aussi permis de dévoiler un manque d’étayage théorique des familles d’accueil. « Elles n’ont pas forcément toutes les clés de lecture de l’enfant. Et puis d’autres questions se sont greffées. Que sont les troubles de l’attachement ? Qu’est-ce qu’un Itep ?… » Des réponses apportées par les travailleurs sociaux, dans une posture qui nécessite transparence et communication. Au final, un des deux enfants a pu rester dans sa famille d’accueil, « qui s’est sentie reconnue dans son professionnalisme » et a apprécié la disponibilité du service. Pour le second, « nous avons travaillé une séparation plutôt qu’une rupture. Il a quitté la famille mais ils sont toujours en lien ». En juillet 2019, le service a sollicité l’ASE pour officialisation, le conseil départemental étant partie prenante du projet. Le Samfa est né. Un temps plein d’éducateur est octroyé jusqu’à la fin 2020 pour huit mesures. Un article « Samfa » est rajouté sur les saisines de la commission d’orientation, qui vient valider la proposition. Le service est donc aujourd’hui un outil « au service de », contractualisable pour trois mois renouvelables une fois, qui va permettre d’effectuer « un travail d’autopsie de la situation », à raison de cinq heures par semaine pour chaque assistant familial qui en ressent le besoin. Le service, l’assistant familial et l’enfant signent un contrat, les parents, eux, sont informés du dispositif. Si le service intervient actuellement quand la situation est déjà dégradée, Alix Delcourt conclut : « A terme, nous souhaitons davantage être dans une démarche de prévention. On peut intervenir lors d’un nouvel accueil, par exemple, se dire qu’on met le paquet dès le début pour donner toutes les chances à l’enfant et à la famille d’accueil. » Un dispositif qui permettra peut-être d’éviter des démissions, en proposant également aux assistants familiaux de bénéficier de « mises à l’abri » de l’enfant en journée. En clair, en cas de grosses tensions, l’enfant peut être accueilli sur la Mecs le temps d’une journée, permettant à tout le monde de souffler. Educateur du Samfa, Yohann Pire souligne : « Il est important de rappeler qu’on intervient toujours pour le bien-être du jeune. On vient donc aider un collègue qui n’a pas les mêmes missions mais fait partie intégrante de l’équipe. » Pas un maillon en plus, donc, mais le prolongement du suivi. Et pour éviter que Yohann Pire ne gère les huit mesures seul, il est à 60 % sur le Samfa et chacun de ses collègues gère une mesure. « Notre meilleur service de com’, ce sont sont les assistants familiaux eux-mêmes. Mais il a fallu montrer patte blanche au début », se rappelle le travailleur social.
S’ils n’ont « pas de baguette magique », ces professionnels de l’enfance sont là « pour écouter, sans jugement, avec toute notre neutralité », explique Marion François, éducatrice. « Ce service est une plus-value. Aujourd’hui, nous sommes sollicités par les assistants familiaux eux-mêmes. » Et Sandrine Ullmann, assistante familiale depuis cinq ans, n’y est pas pour rien. Bénéficiaire du Samfa, « un peu réfractaire au début face à ce service inconnu », la jeune femme avait des difficultés avec un petit garçon qu’elle accueillait depuis deux ans. Fin novembre, à bout, elle se décide à faire une demande de réorientation. L’équipe du Samfa demande à la rencontrer avec son mari et l’enfant. « Quand on veut m’aider, je dis oui. Et j’arrivais aux limites de cet accueil. » L’assistante familiale s’est sentie soutenue et comprise dans sa demande. « Ils m’ont vraiment bien aidée. Ils ont pu garder le petit plusieurs heures pour me soulager un peu. Ils ont vu la complexité de la situation. » Le petit garçon sera finalement réorienté en Mecs. « Ils sont revenus après à mon domicile pour savoir comment j’allais. Ils m’ont envoyé une photo de l’accueil du petit au foyer. Je recommande le service à 100 %. » La professionnelle souligne le fait que, dans des situations moins problématiques, il suffit parfois d’un rien pour que la communication et l’accueil s’apaisent. Le Samfa peut y contribuer.
Baptiste Cohen, coordinateur du pôle « protection de l’enfance ».
« Le Samfa allie les compétences d’une Mecs avec celles des familles d’accueil. Ce service vient montrer qu’il peut y avoir des collaborations entre différents lieux de vie et qu’il faut travailler ensemble dans l’intérêt de l’enfant, pour mieux éviter la rupture et les moments de crise. Il faut cesser d’opposer ces lieux, et faire en sorte que les enfants soient accompagnés là où ils vivent. Permettre une stabilité aux enfants et prévenir les difficultés est pour nous primordial. Les éducateurs du Samfa ont un recul par rapport aux situations car ils sont “extérieurs”. La culture d’innovation des Apprentis d’Auteuil, c’est notre ADN. Les équipes sont heureuses de savoir que l’institution les soutient dans leur démarche innovante. Et une expérimentation intelligente ne peut se faire qu’avec des partenaires de confiance. Ici, l’ASE nous a suivis et les premiers constats du Samfa sont très positifs. »