Un franc succès… En 2019, plus de 140 000 volontaires ont effectué un service civique, qui permet aux jeunes de 16 à 25 ans (jusqu’à 30 ans pour les personnes porteuses de handicap) de s’investir dans des missions d’intérêt général durant six à douze mois avec une indemnité de l’Etat. Selon l’Agence du service civique, depuis sa création il y a dix ans, ce dispositif a attiré plus de 430 000 jeunes volontaires et totalise plus de 300 millions d’heures au bénéfice de l’intérêt général.
« Les organismes du secteur social et médico-social n’ont pas été parmi les premiers à s’impliquer dans le service civique. A l’origine et dans ses anciennes versions, il s’agissait d’un dispositif d’éducation populaire. Ce sont donc ces associations-là qui ont été pionnières », rappelle Myriam Bourgeois-Etienne, chargée de mission « service civique » à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). L’association s’est engagée dans le service civique en 2015, soit cinq ans après la formalisation de la loi du 10 mars 2010. « Nous souhaitions éviter toute substitution à l’emploi grâce à un dispositif et à des missions stables et protéger les personnes bénéficiaires de nos associations, qui sont des publics fragiles et souvent en contact avec des professionnels diplômés, poursuit-elle. Globalement, le secteur social et médico-social est entré plus tardivement dans ce dispositif que d’autres, mais on constate aujourd’hui un fort engouement et un fort développement. »
A l’occasion de ce dixième anniversaire, Marie Trellu-Kane, présidente d’Unis-Cité, association pionnière du service civique, salue « l’un des rares dispositifs en faveur de la jeunesse qui fonctionne, qui a prouvé son efficacité, qui est plébiscité ». Elle rappelle les taux de satisfaction très élevés à la fois chez les jeunes et au sein des structures qui les accueillent (associations, collectivités locales, établissements publics). « Il y a parfois des insatisfactions et des dérives, mais elles sont mineures dans le paysage », ajoute-t-elle.
C’est en effet le carton plein pour le service civique : 97 % des 140 000 jeunes qui s’engagent dans le dispositif chaque année sont satisfaits ou très satisfaits de leur expérience. Et, à l’issue de celle-ci, 74 % d’entre eux sont en emploi ou en formation. Par ailleurs, une étude du cabinet Goodwill Management, publiée en février 2019, établit que chaque euro investi par l’Etat dans ce dispositif rapporte à la collectivité. « L’investissement de l’Etat dans le service civique a un effet d’entraînement sur les financements d’autres acteurs, permettant au service civique de fonctionner et d’apporter des bénéfices à toute la société, souligne l’étude. Ainsi, la différence entre le coût pour l’Etat d’un jeune en service civique et ce qu’il apporte à la société dans son ensemble est de 6 247 €. Chaque euro investi par l’Etat dans le service civique correspond à 1,92 € de bénéfices. »
Ce dixième anniversaire s’inscrit pourtant dans un climat d’inquiétude pour les acteurs du secteur social et médico-social. Depuis le 1er janvier 2020, la durée moyenne des missions est portée par l’Agence du service civique à sept mois. Cette disposition vise à permettre à 145 000 jeunes de réaliser un service civique en 2020. « Cette vision comptable et budgétaire consistant à penser que l’on fera entrer plus de jeunes dans le dispositif avec des durées de missions moins longues est néfaste pour la qualité du service civique », juge Marie Trellu-Kane.
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre, publiée le 27 octobre dernier dans Le Parisien-Aujourd’hui en France, plus de 180 responsables associatifs, parmi lesquels les grandes fédérations du champ social et médico-social, appelaient déjà à renforcer les moyens alloués au service civique. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le service civique s’est vu octroyé une enveloppe d’un montant de 508,2 millions d’euros (contre 497 millions en 2019) et le service national universel – qui poursuit son déploiement – 30 millions d’euros. Alors que le taux de progression des crédits alloués était, les années précédentes, de deux chiffres, cette hausse n’est, pour 2020, que de 2 %.
Si le service civique voit son budget global augmenter de 11 millions d’euros, le ratio par jeune accueilli diminue. Pour les acteurs du secteur, un tel budget du service civique ne permet pas d’assurer la montée en charge de ce dispositif d’engagement.
« Alors que la demande des jeunes est croissante, des associations se voient pourtant refuser l’ouverture de missions, pointe Marie Trellu-Kane. La demande est telle du côté des jeunes comme des structures qu’il faudrait développer plus massivement le nombre de postes soutenus financièrement par l’Etat. » Et Myriam Bourgeois-Etienne de souligner : « Sur l’ensemble des missions publiées en 2019, nous avions en moyenne neuf candidatures, ce qui montre que la demande des jeunes est assez forte sur le dispositif. Il n’y a pas assez de missions par rapport au nombre de jeunes qui souhaiteraient s’investir dans le secteur. » Selon le Mouvement associatif, afin de poursuivre « l’objectif d’universalisation du service civique, réaffirmé par le président de la République lui-même », c’est un nombre de 180 000 jeunes qui devrait être pris en compte en 2020, et non de 145 000 comme annoncé.
Responsable du pôle « volontariat » à la Croix-Rouge française, Pierre Catalan rappelle que, depuis la création du service civique, les missions doivent être d’une durée minimale de six mois et maximale de douze mois. « La moyenne a toujours été de huit mois. Cette durée permet un accompagnement de qualité, une mission pleine et une mixité sociale. Des missions moins longues ne permettront pas de faire la différence entre un stage et une mission de service civique et généreront un sentiment d’utilité moins fort chez les jeunes. L’intérêt et la motivation à mener des projets vont se perdre », déplore-t-il.
L’un des principes fondamentaux du service civique est l’accessibilité. En clair, les missions doivent être accessibles à tous les candidats, quels que soient leur profil, leur situation, leur origine, leur parcours ou leur formation initiale. Marie Trellu-Kane explique que la durée longue des engagements volontaires est un facteur central, notamment pour accueillir des jeunes peu autonomes. « Réduire la durée des missions est contradictoire. Cela va baisser l’offre, l’accessibilité du service civique aux jeunes qui sont moins autonomes, qui ont besoin de plus de temps pour s’intégrer, pour comprendre, pour se sentir utiles. Il y a une question d’utilité sociale des missions qui est moindre quand les jeunes tournent tous les six mois. » Dès janvier, Audrey Baudeau, déléguée générale du Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire), alertait également : « Du temps doit être laissé pour une bonne intégration des jeunes, pour leur accompagnement, pour favoriser leur prise d’initiatives et établir des relations de confiance. Cette durée longue est également importante pour construire et faire grandir le projet d’engagement de chacune et chacun. »
Myriam Bourgeois-Etienne augure un changement de pratiques de la part des associations : « Avec des missions plus courtes, les établissements seront à la recherche de jeunes au profil plus opérationnel ou qui auraient fait de études dans le domaine qui les intéresse. On constate au niveau de l’Uniopss que 44 % des jeunes volontaires ont un niveau bac et 21 % un niveau infra-bac, ce qui correspond aux impératifs de mixité sociale. On craint que cela soit plus compliqué à respecter avec des missions plus courtes, ou que des établissements renoncent à accueillir sur des missions d’une durée de six mois certains jeunes qui auraient par exemple besoin de trois mois pour être à l’aise avec les publics. »
Pierre Catalan critique lui aussi cette « stratégie mortifère » qui risque d’« appauvrir » et de « galvauder » les missions et qui conduit à « un service civique à deux vitesses, avec des structures qui vont se spécialiser sur des bac + 5 et quelques autres qui vont maintenir la mixité des profils et l’accueil des jeunes en difficulté ». Par ailleurs, les petites structures moins organisées ou peu habituées à accueillir des volontaires risquent de refuser de proposer des périodes courtes, entraînant ainsi une diminution du nombre de missions proposées.
Le 19 février, l’Uniopss, représentée par son président, Patrick Doutreligne, son directeur général, Jérôme Voiturier, et sa responsable du service civique, Myriam Bourgeois-Etienne, a rencontré Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du service civique. « S’agissant de la durée moyenne des missions, l’ensemble des organismes agréés doivent se résoudre à accepter un calendrier en décalage avec leurs attentes pour être en mesure de financer le dispositif en 2020 », déplore l’Uniopss. Et d’ajouter : « Il nous a pourtant été assuré que ces restrictions portent à ce jour uniquement sur 2020 et qu’il est envisageable, pour 2021, de retrouver des missions plus longues, adaptées aux projets des jeunes et des organismes. » Un anniversaire au goût amer…
Pour les dix ans du service civique, l’Agence du service civique a lancé jusqu’au 10 mars une grande consultation citoyenne en ligne. Animée par le Mouvement associatif et réunissant des associations engagées dans l’accueil de jeunes dans ce dispositif, la plateforme inter-associative pour le service civique (Pisc) demande une garantie de durée des missions de service civique de huit mois en moyenne (jusqu’à douze mois). Autre proposition : développer le service civique, dans le respect de ses fondamentaux de qualité, afin de le rendre accessible à tous les jeunes. « Cet enjeu passe enfin par le développement d’une ingénierie renforcée dans les structures d’accueil et d’intermédiation, soutenu par les pouvoirs publics », soulignent les associations. Les enseignements de cette consultation citoyenne feront l’objet d’un rapport autour du thème « Dix ans de service civique. Constats et perspectives », qui sera remis aux décideurs politiques vers la fin mars.