« Les différents arrêtés, préfectoraux et autres étaient tout sauf clairs. Il nous a fallu interpréter. C’était anxiogène, parcellaire et excessif. » Voilà le sentiment qu’a eu Yann Zenatti, directeur de l’Adapei (Association départementale de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) du Morbihan, l’un des premiers territoires atteints de plein fouet par le coronavirus, lorsque le département a fait l’objet, un lundi matin, de communications de crise. Résultat : les deux premiers jours, des mesures contradictoires ont pu être prises d’un établissement à l’autre, tel foyer renvoyant ses résidents dans leurs familles, tel institut médico-éducatif accueillant les enfants, comme un lundi ordinaire.
Outre cette surabondance d’informations émanant de diverses sources, peu lisibles et anxiogènes, les structures médico-sociales pointent d’autres difficultés. Ainsi l’Uniopss (union rassemblant des acteurs associatifs de la santé et de la solidarité) a-t-elle écrit, le 9 mars dernier, une lettre ouverte au Premier ministre pour souligner des difficultés de mise en œuvre des consignes, faute de matériels et de personnels. Et sans doute les plus petites associations sont-elles les plus démunies, à défaut de disposer de services centraux à même de leur décrypter les consignes, en constante évolution. Surtout, quelle que soit leur taille, ces structures accompagnent des publics fragiles quant à leur santé, mais aussi du fait de la difficulté de certains à s’approprier les mesures de précaution à prendre, ou qui peuvent se retrouver très angoissés par une épidémie, se persuadant très vite d’être porteurs du virus.
Pourtant, le système tient bon, et les établissements et services médico-sociaux font face à la crise du coronavirus. « Nous avons juste fait en sorte de nous montrer pragmatiques et proportionnés », observe Yann Zenatti. « Nous appliquons déjà certaines des mesures comme le lavage des mains dans d’autres situations, telles que la grippe », mentionne Romain Gizolme, directeur de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées). Pour tous, l’enjeu est de ne pas propager le virus tout en maintenant les services aux personnes, et de trouver un équilibre entre liberté et sécurité : « On ne va pas garder les personnes âgées enfermées et privées de visite durant plusieurs mois ! », prévient Romain Gizolme.
Alors, pour trouver les justes équilibres, transmettre les consignes gouvernementales, remonter aux pouvoirs publics les difficultés du terrain mais aussi accompagner les établissements qu’elles gèrent, les têtes de réseau produisent des notes internes ou, au sein d’APF France handicap, mettent en place un intranet dédié.
A sa plus petite échelle, communiquer en interne, c’est aussi ce qu’a fait Côté Cours, un dispositif d’habitat inclusif pour personnes porteuses de handicap psychique situé au Havre (Seine-Maritime). Le service gère plusieurs maisons (qui accueillent au total 80 résidents en habitat collectif) et accompagne 40 hommes et femmes vivant dans des appartements individuels répartis partout dans la ville. « Nous avons adressé un courrier interne qui rappelle les consignes, indique Marie Delaroque, sa directrice. Les personnels autant que les résidents appliquent paisiblement les consignes, et aucun sentiment de panique n’est pour l’heure à déplorer. Nos publics ont une santé fragile, il nous faut à tout prix éviter qu’ils l’attrapent. » Elle, en revanche, n’a pas souffert d’un excès de consignes puisqu’elle n’en a reçu… aucune ! « Les directeurs d’établissement, oui, mais nous qui sommes toujours dans une case un peu à part, rien… » Prévoyante, elle a acheté un carton de masques lorsque le virus s’est largement implanté en Italie et 200 doses de gel hydroalcoolique, que Côté Cours, pour l’heure, n’utilise pas.
Paradoxalement, la crise du coronavirus révèle aussi les forces du secteur médico-social. Pas uniquement ses points faibles. « Puisque son objet consiste à accompagner la personne, il est dans une logique de care, et donc c’est un puissant facteur de soin. Finalement, les personnes accompagnées peuvent se retrouver moins démunies qu’un actif en meilleure santé qui se retrouverait confiné seul », note Marie-Anne Montchamp, présidente du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
En temps de crise, le secteur peut s’appuyer sur un autre point fort : son ancrage territorial. Car une fois que l’épidémie est bien implantée, tous les gestionnaires d’établissements et de services s’accordent à dire qu’il convient d’adapter les consignes aux enjeux locaux, sans appliquer les consignes nationales à la lettre.
Autre atout, et non des moindres : les personnels. Les demandes de droit de retrait sont pour l’heure dérisoires, y compris dans les territoires les plus touchés comme le Morbihan. Surtout, les réseaux s’accordent à penser que, s’ils sont sous tension, ils devraient pouvoir affronter la crise. A l’image de Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne), qui prévoit que si l’absentéisme reste à un niveau classique, il pourra être absorbé. « Mais nous aurons possiblement un sujet sur l’ampleur du phénomène. D’autant que le moindre manque de personnel peut avoir des conséquences majeures en matière de continuité des services. » Alors, partout, on priorise les actions et on reporte ce qui n’est pas absolument nécessaire pour privilégier les activités indispensables.
Jusqu’ici, tout va bien… semblent-ils tous clamer d’une même voix. « Il faut juste que nous gardions le rythme, sans nous laisser déborder », prévient Pierre-Yves Lenen, directeur du développement et de l’offre de services d’APF France handicap.
Une fois passée cette crise, il conviendra d’en faire un bilan, estiment les uns et les autres. Eventuellement, selon Marie-Sophie Desaulle, afin de réfléchir à la mise en place d’une réserve de professionnels et de bénévoles qui assureraient la continuité, à l’image de la réserve sanitaire.
Le projet de loi sur la dépendance, à ce jour toujours annoncé avant l’été, portera-t-il ces enjeux ? « Tout ne relève pas de la loi, qui devra surtout traiter des questions de financement », prévient Marie-Sophie Desaulle, qui escompte par ailleurs que cette future législation mette bien la personne accompagnée au centre des préoccupations. Tandis que, pour sa part, Marie-Anne Montchamp espère qu’une politique d’autonomie avec des personnels en nombre suffisant pourrait, si elle est portée par ce texte, permettre non seulement de faire face non seulement au vieillissement de la population, mais aussi à des crises de santé « planétarisées » comme celle du coronavirus.