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L’obligation de sécurité pour l’employeur

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L’obligation de sécurité pour l’employeur

Crédit photo Cabinet DBA AVOCAT, Alison Dahan, Clarisse Girard
L’employeur est responsable devant la loi de la santé et de la sécurité de ses salariés. A ce titre, il doit mettre en œuvre une politique de prévention de la santé physique et mentale de tous les salariés. Quelle est la nature et l’étendue de cette obligation ? Quels sont les risques encourus en cas de manquements ? Réponses dans ce dossier avec un éclairage particulier sur les secteurs de l’aide à domicile et des services à la personne.

L’article L. 4121-1 du code du travail précise : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° des actions d’information et de formation ;

3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

En conséquence, l’employeur doit prendre toutes les mesures aux fins d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique comme mentale des travailleurs. A ce titre, le code du travail consacre un livre complet à la santé et à la sécurité au travail (code du travail [C. trav.], Partie IV).

A noter : Ces obligations sont applicables à l’ensemble des employeurs exerçant dans les conditions du droit privé comme aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux (C. trav., art. L. 4111-1).

Au regard des dispositions précitées, il apparaît que l’étendue des obligations de l’employeur en matière d’hygiène et sécurité connaît un champ d’application extrêmement étendu. Il convient donc de déterminer la nature de l’obligation de sécurité, les modalités de mise en œuvre ainsi que les risques en cas de manquements de l’employeur.

I. La nature de l’obligation de sécurité

Le législateur soumet l’employeur à une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés. Toutefois, il ne précise pas la nature juridique de l’obligation, qui peut être de moyen ou de résultat. Or, compte tenu des enjeux attachés à la nature de l’obligation, il est important de la déterminer.

La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la nature juridique de l’obligation de sécurité en 2002, à l’occasion des problèmes dramatiques liés à l’utilisation de l’amiante. Elle a rendu une série d’arrêts établissant un lien entre l’obligation de l’employeur de prendre soin de la sécurité des salariés et sa faute inexcusable dès lors que ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé la victime et qu’il n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. soc., 11 avril 2002, nos 00-16535 et s.). Par conséquent, à cette date, la Cour de cassation a considéré que l’employeur était tenu d’une obligation de sécurité de résultat.

Passant d’une logique d’indemnisation à une logique de prévention, la Cour de cassation a fait évoluer la définition de l’obligation de sécurité pour parvenir à une obligation de moyens renforcée dans l’arrêt « Air France » (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24244). En d’autres termes, la Cour de cassation a estimé que l’employeur ne méconnaissait pas son obligation de sécurité lorsqu’il justifiait avoir pris toutes les mesures nécessaires.

La jurisprudence a par la suite confirmé la nouvelle appréciation de l’obligation de sécurité à de nombreuses reprises. A présent, il semble qu’une seule question permette de s’affranchir du manquement à l’obligation de sécurité : l’employeur a-t-il ou non manqué à son obligation de prévention des risques professionnels ? (voir notamment Cass. soc., 5 juillet 2017, n° 16-13734).

Une confirmation récente de la Cour de cassation à propos du préjudice d’anxiété en lien avec l’amiante admet définitivement l’obligation de sécurité de moyens de l’employeur. La faute inexcusable ne peut plus être retenue si l’employeur parvient à démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17442).

De surcroît, très récemment, la Cour de cassation a refusé de reconnaître l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur et la violation de son obligation de sécurité en considérant que le salarié n’apportait pas de preuves suffisantes permettant de caractériser que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger pour le salarié. En l’espèce, il s’agissait d’un salarié qui avait ressenti un état de malaise au cours d’un entretien préalable au licenciement (Cass. 2e civ., 28 novembre 2019, n° 18-24161).

II. La mise en œuvre de l’obligation de sécurité des travailleurs

Que l’obligation soit de résultat ou de moyens renforcée, l’employeur doit prendre toutes les précautions pour protéger la santé et la sécurité de son salarié. Cela implique, en pratique, le respect des très nombreuses prescriptions fixées par le code du travail en la matière : actions de prévention, d’information et de formation mise en place d’une organisation et de moyens adaptés (C. trav., art. R. 4121-1).

A. Actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail

La prévention s’entend comme l’ensemble des dispositions prises par l’employeur au sein de la structure dans le but d’éviter ou du moins de réduire les risques professionnels.

Le rôle de l’employeur est d’identifier les différents risques professionnels pour chaque poste de travail. Il doit également réfléchir sur les solutions qu’il peut apporter et les mesures de protection qu’il peut mettre en place.

A noter : Les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), sur leurs sites Internet dédiés, proposent aux employeurs des documents relatifs aux actions de prévention spécifiques au secteur de l’aide à domicile. Les structures peuvent également prendre contact avec leur Carsat afin de mettre en œuvre une politique de prévention adaptée et d’obtenir d’éventuelles aides de leur caisse.

Par conséquent, en pratique, il convient d’évaluer les risques dans l’intégralité des aspects du travail en tenant compte de la nature des activités exercées par la structure et plus précisément par chacun des salariés. De surcroît, il est également nécessaire d’intégrer les résultats de l’évaluation dans un document unique d’évaluation des risques (C. trav., art. R. 4121-1) (voir encadré, page ??).

Le secteur de l’aide à domicile

Dans le secteur de l’aide à domicile, il est nécessaire de veiller à l’accueil des nouveaux salariés en mettant en place, par exemple, un livret d’accueil du salarié qui regrouperait le périmètre des missions ainsi que les outils mis à sa disposition (cahier de liaison, fiche de remontée d’incidents…). De plus, l’employeur doit sensibiliser ses nouveaux salariés à la prévention des risques professionnels. Il peut également prévoir un temps d’échange et d’accompagnement avec un salarié référent qui aurait déjà une certaine expérience dans la structure.

De plus, dans la mesure où certains salariés se rendent au domicile des bénéficiaires et qu’ils n’effectuent pas leurs prestations dans les locaux de l’entreprise ou de l’association, l’employeur doit effectuer une préparation des différentes missions. A ce titre, il est conseillé, pour chaque nouveau client, d’effectuer un repérage des risques et de réaliser une fiche de mission précisant notamment les moyens mis à la disposition du salarié et les limites de son intervention. En outre, il est également important de prévoir au sein du contrat de prestation le périmètre de l’intervention et les obligations du client. A titre d’illustration, il est possible d’interdire que le client fume à son domicile en présence des salariés pour éviter tout tabagisme passif. On conseillera également aux structures de mettre en œuvre avec le client des mesures d’adaptation du logement pour réduire, voire éviter, tout risque professionnel. Par ailleurs, les structures peuvent également être vigilantes lors de l’élaboration des plannings d’intervention et essayer d’optimiser les déplacements avec les temps de pause et de repas, ainsi que d’équilibrer les interventions à faible et forte charge mentale ou physique au cours d’une même journée de travail.

Enfin, en vue de prévenir les risques professionnels, il est important de réaliser un suivi des missions. En ce sens, on conseillera, pour favoriser les échanges entre les clients et les différents intervenants à domicile, de mettre en place un cahier de liaison. De surcroît, il est nécessaire de prévoir un système permettant aux salariés de faire remonter des informations sur l’évolution de leurs missions et de leur environnement de travail ainsi que sur les éventuels incidents. Les Carsat et l’INRS préconisent également d’organiser des réunions d’échanges avec les intervenants à domicile pour mettre en perspective les différentes pratiques de travail et les difficultés.

B. Actions d’information et de formation des salariés

L’employeur est tenu d’informer le salarié des risques qui existent dans l’entreprise pour sa santé et sa sécurité et des solutions qu’il a mises en place pour les prévenir.

En outre, l’employeur doit prévoir une formation du salarié à la sécurité. Pour des questions d’efficacité, cette formation doit être répétée périodiquement et s’attacher à expliquer aux salariés les précautions à prendre pour assurer leur sécurité.

Attention : Le comité social et économique (CSE) est un interlocuteur essentiel en matière de prévention des risques professionnels. En vue d’accomplir correctement sa mission, tous les membres de la délégation du personnel au CSE doivent pouvoir bénéficier d’une formation santé, sécurité et conditions de travail quel que soit l’effectif de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-18). Le financement de la formation est pris en charge par l’employeur (C. trav., art. L. 2315-18). De plus, la durée de la formation est de 3 jours pour les entreprises ou associations de moins de 300 salariés et de 5 jours pour les entreprises ou associations d’au moins 300 salariés (C. trav., art. L. 2315-40). On notera sur ce point que la durée de formation n’est fixée que pour les membres de la commission « santé, sécurité et conditions de travail » – il n’y a pas de dispositions précises pour les autres élus. Toutefois, la direction générale du travail, dans son questionnaire « Questions / réponses sur le CSE » mis à jour le 16 janvier 2020 (question 83), a précisé : « Une durée de formation similaire des autres élus du CSE doit être encouragée, notamment en l’absence d’une telle commission. »

Le secteur de l’aide à domicile

Dans le secteur de l’aide à domicile, l’employeur doit veiller à former le personnel encadrant à la prévention des risques professionnels (responsables de secteur, infirmiers coordinateurs ou encore directeurs d’agence). Il peut également demander à certains salariés intervenant directement au domicile des particuliers de participer à l’évaluation des différents risques professionnels.

C. Organisation et moyens adaptés

L’employeur doit faire preuve de vigilance dans l’organisation de sa structure. En ce sens, il doit prévoir des mesures de protection collective et individuelle adaptées à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs.

• Exemple du travail en hauteur

Les salariés, surtout intervenant au domicile de particuliers, peuvent être sollicités pour exécuter des tâches en hauteur. Comment faire alors pour garantir la protection de la sécurité du travailleur ?

Le code du travail prévoit des dispositions spécifiques relatives aux travaux temporaires en hauteur. La priorité est donnée aux équipements de protection collective et particulièrement aux plans de travail en hauteur (C. trav., art. R. 4323-58). Ce dispositif n’est toutefois pas envisageable pour les salariés intervenant à domicile.

L’employeur n’étant pas en mesure de prendre des mesures de protection collective, il devra fournir au salarié un matériel adapté à la prestation. Par principe, le code du travail exclut les équipements tels que les échelles, escabeaux et marchepieds concernant le travail en hauteur, mais l’accepte par défaut « […] en cas d’impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l’évaluation du risque a établi que ce risque est faible et qu’il s’agit de travaux de courte durée ne présentant pas un caractère répétitif » (C. trav., art. R. 4323-63).

Attention : Il ne s’agit en aucun cas de prévoir ces équipements en tant que protection concernant le poste de travail, mais bien d’équipements autorisés uniquement pour des travaux exceptionnels et non répétitifs, ce qui correspondrait à titre d’exemple au lavage de vitres dans le cadre de la prestation d’une aide à domicile.

D. Adaptation des mesures

De façon constante, l’employeur doit veiller à adapter les différentes mesures qu’il a mises en place dans l’entreprise ou l’association en vue de protéger la santé et la sécurité des salariés. La finalité de cette obligation légale d’adaptation est de tenir compte des changements intervenant dans la structure (ex. : création d’une nouvelle activité ou embauche massive de nouveaux salariés) mais également d’améliorer la situation des salariés.

Par ailleurs, l’employeur est tenu à certaines obligations pour l’utilisation des lieux de travail. A ce titre, l’article L. 4221-1 du code du travail précise : « Les établissements et locaux de travail sont aménagés de manière à ce que leur utilisation garantisse la sécurité des travailleurs.

Ils sont tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d’hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des intéressés. » Il appartient donc à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer aux travailleurs des conditions d’hygiène et sécurité correctes.

Les services à la personne

Cette obligation relative aux locaux trouve un écho particulier dans le secteur de l’aide et des services à la personne : les salariés peuvent intervenir, en dehors des établissements, au domicile privé de particuliers, clients des structures. Comment répondre à l’obligation d’assurer la sécurité des travailleurs qui effectuent leur prestation de travail dans la sphère privée des clients ? Est-il alors possible pour l’employeur de se déresponsabiliser au motif qu’il n’est pas présent et ne peut imposer au client les mesures de sécurité prescrites par le code du travail ? En réalité, l’employeur ne peut en aucun cas tenter de s’exonérer de ses obligations en invoquant son absence sur le lieu de travail ou le fait qu’il n’a pas la faculté, en pratique, d’aménager les lieux.

III. Les risques professionnels et l’engagement de la responsabilité de l’employeur

A. Droit du travail

La responsabilité civile de l’employeur, si elle connaît un déploiement important dans le cadre du droit de la sécurité sociale, a été développée également devant le conseil de prud’hommes. Dès lors que la faute inexcusable de l’employeur ne peut être reconnue, le salarié peut tenter d’obtenir réparation devant les juridictions prudhommales. La violation de l’obligation de sécurité de l’employeur peut ainsi entraîner l’engagement de la responsabilité civile de l’employeur et sa condamnation au versement de dommages et intérêts au profit du salarié. Il en sera ainsi notamment lorsque le salarié n’a pas pu obtenir la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, mais estime avoir subi un préjudice qu’il convient de réparer. Les juges prud’homaux peuvent admettre à ce titre une indemnisation du salarié par l’octroi de dommages et intérêts au regard du préjudice moral subi par le salarié.

Dans la mesure où la violation de l’obligation de sécurité est constitutive d’un manquement grave de l’employeur, la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître tout litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif au licenciement ou concernant la réparation du préjudice résultant de la perte d’emploi subie par le salarié. Il ne s’agira pas pour le salarié d’obtenir une double indemnisation au titre du même préjudice, mais bien de bénéficier de la réparation de préjudices distincts devant les deux juridictions en engageant la responsabilité de l’employeur (voir notamment Cass. soc., 20 novembre 2013, n° 12-16804).

Il est également envisageable pour le salarié d’obtenir l’engagement de la responsabilité civile de son employeur devant les juridictions de sécurité sociale et prud’homales. En effet, si les juridictions de sécurité sociale doivent réparer le préjudice du salarié à la suite de l’accident du travail ou la maladie professionnelle, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur peut également permettre au salarié d’obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi antérieurement à la reconnaissance du caractère professionnel des lésions (Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-41489).

B. Droit de la sécurité sociale

1. Risques professionnels dans le secteur des services à la personne et de l’aide à domicile

a) Maladies professionnelles

Dans le secteur des services à la personne et de l’aide à domicile, certaines maladies sont beaucoup plus fréquentes que d’autres. En raison de l’accomplissement de gestes répétitifs, les salariés sont très souvent confrontés à des affections péri-articulaires au poignet, à l’épaule, au genou ou au coude (tableau n° 57).

De plus, ils contractent des affections du rachis lombaire (tableau n° 98) ou des maladies liées à des agents infectieux ou parasitaires. A titre d’illustration, un salarié avait été victime de la gale en raison d’agents infectieux ou parasitaires contractés en milieu d’hospitalisation à domicile (CA Angers, 25 juillet 2017, n° 14/02995).

Ils peuvent également être confrontés à des allergies. Tel a été le cas d’une aide-soignante atteinte de lésions eczématiformes en raison d’une allergie de contact au nickel, au latex, au géraniol, à l’alcool, à l’acide cinnamique ? et à d’autres substances (CA Bordeaux, 22 janvier 2015, n° 14/01587).

b) Accidents du travail

L’INRS, dans un document intitulé « Aide à domicile. Construire ensemble les solutions de prévention », publié sur son site Internet rappelle les principaux risques pour les professionnels de l’aide à domicile :

• accidents et pathologies liées à l’aide au transfert des bénéficiaires et à la manutention des charges ;

• charge émotionnelle liée aux relations avec les bénéficiaires et leur entourage ;

• chutes de plain-pied et de hauteur (sol encombré ou abîmé, espace exigu, éclairage déficient, travail en hauteur sans équipement adapté…) ;

• risques liés aux fréquents déplacements professionnels d’un domicile à l’autre ;

• risque infectieux par contact avec des personnes malades, du linge ou des objets souillés ;

• risques chimiques liés aux produits d’entretien (nettoyage…).

2. Faute inexcusable de l’employeur

a) Notion de « faute inexcusable »

Une telle faute est reconnue dans un contexte précis et soumis aux dispositions du code de la sécurité sociale. La loi a admis dès 1898 que l’accident ou la maladie survenus pendant le travail pouvaient être la conséquence d’une faute inexcusable, du salarié ou de son employeur, admettant alors une modification de l’indemnisation allouée à la victime(1).

La définition de la faute inexcusable trouve en revanche son origine dans la jurisprudence. C’est la Cour de cassation en chambres réunies qui a posé une première définition de principe : « La faute inexcusable, retenue par l’article 20 paragraphe 3 de la loi du 9 avril 1898, doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1er dudit article » (Cass. ch. réunies, 15 juillet 1941, n° 00-26836).

Par la suite, cette définition restreinte a été amenée à évoluer et notamment à l’occasion du scandale sanitaire de l’amiante, qui a permis à la Haute Cour de modifier la définition de la faute inexcusable. Par 29 arrêts rendus le 28 février 2002 et publiés au Bulletin des arrêts, la Cour de cassation relie la faute inexcusable de l’employeur à la violation de son obligation d’assurer la sécurité des salariés dans leur cadre de travail : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (Cass. soc., 28 février 2002, nos 00-10051, 99-21255, 99-17201, 99-17221 et autres).

La faute inexcusable est donc constitutive d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dénommée par la Cour de cassation comme « obligation de résultat ». Il est donc, en application de cette jurisprudence, impossible pour l’employeur de tenter de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant les mesures mises en place pour assurer la sécurité de ses salariés : seul le résultat compte. Cette dernière notion, dont les contours sont déterminés par la jurisprudence, a récemment connu une évolution intéressante comme précisé précédemment (voir pages 40-41). Ainsi la faute inexcusable ne peut plus être retenue si l’employeur parvient à démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17442).

b) Illustrations de la faute inexcusable de l’employeur

La faute inexcusable de l’employeur peut être retenue lorsqu’un accident survient en raison d’une surcharge de travail. Tel a pu notamment être le cas de salariés en surcharge de travail victimes d’infarctus (Cass. civ. 2e, 8 novembre 2012, n° 11-23855) ou de dépression suicidaire (Cass. civ. 2e,19 septembre 2013, n° 12-22156).

En cas de dépassement de la durée légale de travail, l’employeur peut également être reconnu coupable d’une faute inexcusable si un accident du travail s’est produit. A titre d’illustration, un salarié avait été mortellement blessé alors qu’il actionnait une grue équipant son camion. Or l’accident s’était déroulé en fin de journée alors que le salarié avait débuté son travail à 5 heures du matin et qu’il n’avait pas bénéficié des temps de pause minimum imposés par le code du travail (Cass crim, 31 janvier 2012, n° 11-82955).

De surcroît, si l’employeur ne met pas en place les moyens nécessaires à la préservation de la sécurité des salariés, il est possible de rechercher sa faute inexcusable. Par exemple, dans le secteur des services à la personne, si un salarié tombe alors qu’il nettoie des vitres en hauteur et qu’il se casse la jambe alors que l’employeur n’a pas prévu de dispositif de sécurité, sa faute inexcusable peut être reconnue.

Pour finir, la faute inexcusable de l’employeur peut être établie lorsqu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la sécurité des salariés alors qu’il avait été averti par des salariés ou les institutions représentatives du personnel. Tel pourrait être le cas si plusieurs salariés prétendent être victimes de harcèlement moral par un manager et que l’employeur ne met en place aucune mesure de prévention et n’engage aucune procédure d’enquête.

c) Indemnisation de la faute inexcusable

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur doit avoir pour conséquence une réparation qualifiée de « quasi intégrale » du salarié. L’enjeu pour l’employeur en cas de reconnaissance d’une telle faute est extrêmement lourd : le salarié est fondé à obtenir une majoration de la rente ou du capital versé et réparation de tous les préjudices qu’il a subis (voir tableau page 45). La caisse primaire d’assurance maladie est quant à elle fondée à obtenir remboursement des sommes par elle engagées (code de la sécurité sociale, art. L. 452-1 à L. 452-3).

Enjeux liés à la qualification de l’obligation de sécurité

Une obligation est dite « de moyens » lorsque le salarié doit rapporter la preuve d’une faute ou d’une négligence de l’employeur pour engager sa responsabilité.

A l’inverse, dans l’hypothèse où une obligation est dite « de résultat », il n’est pas imposé au salarié de rapporter la preuve d’un quelconque manquement. Il doit seulement préciser le résultat auquel était tenu l’employeur et démontrer qu’il n’y est pas parvenu pour engager sa responsabilité.

Le document unique d’évaluation des risques

C’est un décret du 5 novembre 2001(1) qui est venu imposer à l’employeur de démontrer précisément en quoi il respectait son obligation de prévention des risques professionnels.

Depuis cette date, tout employeur doit mettre en place et actualiser un « document unique d’évaluation des risques » (DUER) permettant à la fois de recenser les risques dans la structure, mais également de préciser quelles mesures ont été mises en place afin de pallier ces derniers.

Le DUER doit être consultable par l’ensemble des salariés de la structure, les représentants du personnel et le médecin du travail. En externe, le document devra pouvoir être consulté par les agents de l’inspection du travail et les agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale (C. trav., art. R. 4121-4).

Une circulaire du 18 avril 2002 est venue préciser le fait que « l’évaluation des risques ne constitue pas une fin en soi. Elle trouve sa raison d’être dans les actions de prévention qu’elle va susciter. Sa finalité n’est donc nullement de justifier l’existence d’un risque, quel qu’il soit, mais, bien au contraire, de mettre en œuvre des mesures effectives, visant à l’élimination des risques, conformément aux principes généraux de prévention »(2).

A noter : Toutes les entreprises et associations exerçant dans les conditions du droit privé doivent répondre à cette obligation, sans condition d’effectif. L’absence de tenue du DUER est punie par l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe (1 500 € et 3 000 € en cas de récidive). Il est important toutefois de préciser que, si la sanction peut paraître faible, l’absence de DUER permettra au salarié de soutenir que l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité. De plus, en cas d’accident du travail, l’absence de ce document nuira à la défense de l’employeur.

Force est de constater qu’encore aujourd’hui, nombreux sont les employeurs qui ne disposent pas de ce document. Si les inspecteurs du travail sont en général assez souples, il n’en demeure pas moins qu’ils exigent sa transmission dans un court délai suivant contrôle.

Principes généraux de prévention

Lorsque l’employeur met en œuvre des mesures afin d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, il doit se fonder sur des principes généraux de prévention (C. trav., art. L. 4121-2) :

• éviter les risques ;

• évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

• combattre les risques à la source ;

• adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

• tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

• remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

• planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ainsi que ceux liés aux agissements sexistes ;

• prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

• donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Épuisement professionnel des soignants

Un rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale de février 2017 a mis en avant le fait que les personnels soignants sont particulièrement touchés par le syndrome d’épuisement professionnel. Les conditions de travail de ces salariés engendrent de nombreux facteurs favorisant le burn-out.

On évoquera à ce titre un travail dans l’urgence et régulièrement fractionné, un volume horaire important et surtout une implication très forte des salariés liée aux fonctions de soin et de soutien ou d’aide auprès des patients. Ces difficultés peuvent également être appliquées à l’ensemble des salariés exerçant, au-delà des fonctions de soignant, des prestations d’aide auprès de personnes âgées ou en situation de handicap.

Les facteurs d’épuisement professionnel sont également nombreux notamment pour les assistants de vie dont les fonctions consistent à accompagner une personne âgée ou handicapée dans la réalisation des tâches quotidiennes, voire pour les assistants de vie niveaux II et III dans l’accompagnement d’une personne en perte d’autonomie ou dont l’autonomie est altérée (classification de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 étendue par arrêté du 3 avril 2014).

Dans la branche de l’aide à domicile, les professions d’auxiliaire de vie sociale, d’aide médico-psychologique, d’aide-soignant, de technicien de l’intervention sociale et familiale ou encore d’infirmier connaissent des difficultés semblables (convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 étendue par arrêté du 23 décembre 2011).

Responsabilité pénale et responsabilité des personnes physiques et morales

L’article 121-2 du code pénal dispose que les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Par la suite, l’article précise : « La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. » Il n’est pas nécessaire de rechercher une faute de la personne morale qui soit distincte de celle commise par ses organes ou représentants.

En conséquence, en matière pénale, la responsabilité cumulative autorise les juridictions à condamner la personne morale seule ou la personne morale et la personne physique. Le cumul ou non de la responsabilité des personnes physiques et morales dépend de la situation et de la gravité de la faute commise.

A titre d’illustration, un salarié était décédé à la suite de la brusque remontée du portail métallique qu’il était en train de manœuvrer. L’employeur avait eu connaissance du mauvais fonctionnement du portail, mais n’avait cependant pas pris les mesures nécessaires pour trouver une solution. La Cour de cassation a retenu la violation manifestement délibérée de l’employeur et condamné la société et le gérant pour homicide involontaire (Cass. crim., 28 février 2006, n° 05-85054).

A noter : En cas de manquement aux règles d’hygiène et de sécurité, l’employeur encourt également une peine d’amende de 10 000 €. En cas de récidive, la peine encourue est de 1 an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. De surcroît, l’amende est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs de l’entreprise ou de l’association concernés par le manquement (C. trav., art. L. 4741-1).

Par principe, en matière d’accident du travail, les juridictions retiennent uniquement la responsabilité de la personne physique et excluent celle de la personne morale.

Toutefois, lorsque l’employeur, auteur indirect d’une infraction non intentionnelle, a commis une faute légère, seule la responsabilité de la personne morale est engagée. Tel a notamment été le cas d’un salarié qui s’était blessé en utilisant un container à ordures alors que l’employeur n’avait pas mis en place de mesures de précaution (Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-87147).

Notes

(1) Loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail et loi du 25 octobre 1919 qui étend aux maladies d’origine professionnelle la loi du 9 avril 1898.

(1) Décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, prévue par l’article L. 230-2 du code du travail et modifiant le code du travail. Sur le DUER, voir ASH n° 3113 du 31-05-19, p. 42.

(2) Circulaire n° 6 DRT du 18 avril 2002.

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