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Travail abrutissant pour insertion bâclée

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Encore pensé comme outil de gestion de la peine, le travail en prison, qui concerne moins d’un tiers des détenus, reste loin du droit commun et de sa mission de réinsertion. Professionnels, associations et chercheurs se sont réunis le 27 février à l’Assemblée nationale pour partager des pistes d’amélioration, parmi lesquelles un nouveau statut juridique des travailleurs détenus.

« Le travail en prison est peu qualifié et porte sur de simples tâches d’exécution. Il est actuellement utilisé comme un outil de paix sociale et pas comme un vecteur de l’insertion professionnelle », écrivait, fin novembre 2019, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son avis sur la réinsertion des personnes détenues. Depuis, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé une feuille de route sur la réinsertion. « Elle est en train d’être rédigée à partir d’un certain nombre de nos préconisations », indique Antoine Dulin, rapporteur de l’avis. Pour cause, le travail carcéral n’a fait l’objet d’aucune réforme d’ampleur depuis des décennies et reste « largement impensé par les pouvoirs publics », déplore Nicolas Ferran, responsable du pôle contentieux de l’Observatoire international des prisons France (OIP).

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 28,65 % des détenus travaillaient en 2019 contre 28,1 % en 2018 et… 49,7 % en 2000. Albin Heuman, directeur de l’Agence nationale du travail d’intérêt général (TIG) et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, créée en décembre 2018, y voit, malgré tout, un « coup d’arrêt à une dégradation continue ». Pour preuve, le lancement par la garde des Sceaux, le 20 février dernier, du programme expérimental « Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi » (InSERRE) : trois établissements de 180 places seront construits à partir de 2022 avec un objectif de 100 % de détenus au travail.

Mais au-delà des statistiques, l’enjeu est de rendre le travail en détention utile. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. « Vous avez tous vu le film “Les Temps Modernes” ? Quand j’étais à la chaîne j’avais l’impression d’être là-dedans », témoigne Stéphane, ancien détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). « Un travail qui m’a marqué, c’était avec des bouchons de produits pharmaceutiques : il fallait les observer pour voir s’il y avait des défauts. La cadence était soutenue, ça m’a abîmé les yeux. C’était un travail pas du tout qualifiant, je ne sais pas comment j’ai tenu… » Tri d’oignons, assemblage d’agrafes… Les tâches sont souvent « totalement abrutissantes », affirme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Sortir des tâches ingrates

Rééquilibrer vers du travail à plus forte valeur ajoutée est l’un des objectifs de l’Agence nationale du TIG. Encore faut-il que cette volonté soit partagée avec les entreprises. Or Stéphane Soutra, membre de l’Association des concessionnaires et prestataires de France (ACPF), balaie d’un revers de manche : « Les tâches ingrates existent aussi à l’extérieur. Est-ce notre rôle de former des opérateurs, qui ne restent pas longtemps, à être plus qualifiés ? » Pour Thierry Kuhn, ancien président d’Emmaüs France, il est possible de faire autrement. Dans le centre de détention d’Oermingen (Bas-Rhin), Emmaüs tient un atelier de restauration de meubles anciens. « Les gars sont fiers de me montrer ce qu’ils ont fait. Cela permet de se revaloriser », met-il en avant.

Car la prison n’arrange rien. « Elle aggrave la situation de précarité, d’exclusion, d’éloignement de l’emploi », martèle Thierry Kuhn. Le travail carcéral a longtemps été appliqué comme une modalité d’exécution de la peine, jusqu’à ce que, en 1987, la loi ne le rende plus obligatoire. Depuis lors, il demeure « un outil de gestion de la détention, qui récompense les “bons” détenus » à qui l’administration concèdent les postes – trop rares par rapport aux demandes –, estime Cécile Marcel, directrice de l’OIP France. Aujourd’hui, il s’agit de « rompre avec cette vision du travail » et de lui substituer la mise en place de parcours d’insertion, appuie Cyril Wolmark, professeur de droit à l’université Paris-Nanterre. Reconnaître les acquis de l’expérience, pour des détenus disposant majoritairement d’une faible qualification, est une base de l’orientation professionnelle. Or, selon Adeline Hazan, « aucun bilan de compétences n’est réalisé à l’arrivée en détention ». En cause, le manque de moyens. « A Fresnes, il y a 30 arrivants par jour. Notre personnel n’est ni formé en la matière, ni suffisant », pointe Claire Nourry, adjointe au directeur du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Selon les derniers chiffres officiels, seul 13 % du public écroué bénéficie d’une formation.

« De l’exclusion dans l’exclusion »

Une attention particulière doit être également portée aux personnes les plus éloignées de l’emploi. « En prison, il y a de l’exclusion dans l’exclusion, explique Thierry Kuhn. Les personnes qui ne sont pas capables de réaliser le travail en atelier sont évincées. Ce sont elles qui, à la sortie, auront plus de mal à retrouver une place. » D’autres publics sont à prendre en compte, en particulier les femmes : « Leur travail est encore plus rare et se fait dans des conditions encore plus mauvaises », observe Adeline Hazan. Elles se retrouvent la plupart du temps cantonnées dans les quartiers de femmes à des activités « reproduisant les offres genrées, comme l’entretien du linge ». Rares aussi sont les établissements qui tiennent compte des personnes en situation de handicap. Un décret sur l’implantation d’entreprises adaptées de type « établissement et service d’aide par le travail » (Esat) en détention est attendu pour septembre 2020. Pour l’heure, « l’offre de travail crée une rupture d’égalité », résume la contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Des initiatives contre les sorties « sèches »

Dans un rapport produit en 2016 sur l’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire, l’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale des finances et l’inspection générale des services judiciaires soulignaient que « les sorties dites “sèches”, sans mesure d’aménagement – désastreuses au regard de la réinsertion –, restent encore majoritaires ». Renforcer la cohérence du parcours « dedans-dehors » et mettre fin à ces sorties sèches doit être une priorité. Dans cet objectif, Emmaüs propose une formation à la réparation de vélos dans la maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) depuis huit ans. Une boutique a ouvert au-dehors, dans la ville. Trois emplois d’insertion y sont réservés pour les personnes formées, à leur sortie. D’autres initiatives s’appuient sur des secteurs porteurs : depuis un an, dans le centre de détention de Melun (Seine-et-Marne), l’association CodePhenix forme au métier de développeur web. « La majorité du programme, comprenant la recherche d’emploi, prépare la sortie », explique Brieuc Le Bars, cofondateur de l’association. Impossible, selon lui, de « faire comprendre aux personnes détenues que le travail est un tremplin de réinsertion, si on ne leur en donne qu’une vision low cost… ».

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