Où les personnes souffrant de troubles psychiatriques doivent-elles vieillir ? A l’hôpital ? Dans des unités spécialisées ? A domicile ? En Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ? Si c’est dans cette dernière structure, dans quelles conditions ? Que doit dire ou ne pas dire une aide-soignante ? Ces personnes psychiatriques sont-elles dangereuses ? Comment les intégrer dans la vie de l’établissement ? Quelle cohabitation avec les autres personnes âgées ? Alors que le nombre de résidents touchés par des pathologies mentales ne devrait cesser de croître dans les prochaines années, il est urgent de répondre à toutes ces questions. Car, oui, les « fous » vieillissent. L’accompagnement des troubles psychiatriques de la personne âgée va même rapidement devenir un problème majeur de santé publique. Avec la transition démographique et le vieillissement prévu de la population, il y aura nécessairement de plus en plus de personnes âgées atteintes de troubles psychiatriques. Ajouté à cela le fait que les seniors sont davantage sujets à la dépression, aux manifestations régressives, aux délires phobiques et névrotiques…
Pourtant, la psychiatrie de la personne âgée demeure encore peu développée dans le pays. Alors que la gérontopsychiatrie, à l’instar de la pédopsychiatrie, existe dans de nombreux pays, cette discipline n’est, en France, pas vraiment reconnue, pas vraiment considérée. Or, selon une enquête de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) de décembre 2016, parmi les résidents en Ehpad, 91 % souffrent d’affections neuropsychiatriques. « Ces chiffres ne sont guère étonnants si l’on considère ce que représente un Ehpad, ce qu’est sa raison d’être, estimait en octobre Georges Jovelet lors des assises nationales des médecins coordonnateurs. A savoir, un lieu qui concentre toutes les variétés d’expression de la souffrance humaine liée à la vieillesse, à la dépendance, au handicap, à la maladie mentale. » Et le spécialiste de la psychiatrie des personnes âgées de s’interroger : « Dès lors, faut-il psychiatriser les Ehpad comme, à un certain moment, on a médicalisé les maisons de retraite ? » Non, estime Pascal Champvert, président de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées). Un sujet qui suscite chez lui une réelle colère : « Le jour où il n’y a plus de place dans un service de cardiologie, il va falloir que l’Ehpad prenne ces patients ? Le jour où il y a une trop grande liste d’attente en chirurgie, il va falloir que l’on fasse de la chirurgie ? Non ! Donc pourquoi faut-il forcément le faire avec les personnes psychiatriques ? Le problème, le dysfonctionnement actuel de la société, c’est que s’agissant de personnes âgées, quand il y a des difficultés, il faut les recaser en Ehpad. Encore une fois, je dis non ! » C’est pourquoi, celui qui est aussi directeur de plusieurs établissements dans le Val-de-Marne assume refuser l’admission de certains patients psychiatriques.
« Si un psychiatre considère que telle personne ne relève plus de l’hôpital psychiatrique, je ne vais pas aller à son encontre. Je vais donc accepter son entrée dans mon établissement. Ce n’est pas pour autant que l’accompagnement apporté lui sera forcément adapté, souligne-t-il. Un directeur d’établissement peut donc toujours refuser. Quand je n’ai pas les moyens de m’occuper d’une personne, je ne vais pas l’accepter pour faire plaisir. Si on considère que la psychiatrie consiste à accompagner des gens en leur faisant des sourires, alors effectivement on peut accueillir le monde entier. Mais je pense qu’il s’agit d’une vraie discipline et que les personnes qui ont besoin d’accompagnement psychiatrique doivent l’avoir, et en nombre suffisant de personnels. » Une fois ces préalables établis, ces constats posés, il s’avère que des « vieux fous » résident tout de même en Ehpad. Ce qui n’est pas sans conséquence pour les professionnels, comme, d’ailleurs, pour les autres résidents. Car ces personnes peuvent refuser aides, soins, prises du traitement, toilettes… Elles peuvent être perturbées, turbulentes. Elles peuvent frapper, agripper, crier. Ce qui crée des situations compliquées pour les équipes du fait de l’activité délirante et hallucinatoire, de l’agressivité et de la violence, des menaces, d’une impulsivité, d’une intolérance à la frustration, des problèmes d’hygiène… S’il ne s’agit pas d’un groupe homogène (il y a les patients schizophrènes, mais aussi les bipolaires, les paranoïaques ou encore les dépressifs), des formations existent pour mieux les prendre en charge.
Gérontopsychologue, formateur-créateur et gérant d’Idéage Formation, Vincent Meillarec en dispense quelques-unes. Et, selon lui, l’une des premières choses à respecter est de faire en sorte que la transition entre l’hôpital psychiatrique et l’Ehpad se passe dans les meilleures conditions possibles. C’est un facteur clé pour pouvoir donner du sens à l’hébergement. Une étape cruciale dans le futur accompagnement de cette personne. « Il s’agit d’accueillir un malade psychiatrique qui a potentiellement passé dix à vingt ans dans une structure, avec des éducateurs, des activités… Cette personne va se retrouver bouleversée par son entrée en Ehpad, assure Vincent Meillarec. Il faut donc l’interroger, savoir comment elle vit cette perspective de passer d’un hôpital psychiatrique à un Ehpad. Car faire monter un malade psychiatrique dans une ambulance un matin d’hiver et l’installer dans un Ehpad, sans aucune préparation, peut s’avérer très problématique. » Georges Jovelet appuie : « Il faut attacher une grande importance aux conditions dans lesquelles les résidents sont accueillis Celles-ci ont un impact sur l’avenir et la qualité de vie du résident. Il faut prendre le temps de lui parler, avoir les informations les plus complètes possibles. Pour cela, il faut poser des questions sur le mode et la trajectoire de vie, de soins de ce résident afin de connaître ses antécédents psychiatriques et les éventuels problèmes relationnels, voire sexuels présents. »
Cependant, l’accueil d’un patient présentant des troubles psychiatriques, même stabilisé, ne garantit pas son adaptabilité à la nouvelle structure car celui-ci doit faire face à une véritable rupture de liens, de lieu, d’équipes. L’intégration est imprévisible, d’où la nécessité de prévoir d’emblée un suivi d’équipe, de favoriser le travail en groupe. Il faut valoriser les espaces de temps d’échange en étant à l’écoute des détails, de l’informel, de l’ambiance, de la dynamique de groupes. « Il faut aussi faire en sorte que la parole, les affects, les émotions ressenties puissent circuler librement, poursuit Georges Jovelet. Il faut construire une culture de service où la parole n’est pas mise à l’écart par rapport aux gestes techniques. » Ce que ne contredit pas Vincent Meillarec : « Il faut expliquer aux professionnels qu’une personne qui se met à délirer au sein de l’Ehpad ne relève pas uniquement de la soignante de nuit. Non, c’est un travail d’ensemble, global. » Ensuite, la prise en charge est souvent pratiquée au cas par cas, car l’approche n’est pas la même selon la pathologie du résident. Il y a toutefois un dernier principe général à respecter : sensibiliser au maximum les équipes aux pathologies mentales.
« Dans nos formations, nous nous rendons compte qu’il y a, chez les soignants, un vrai déficit de perception de la vie psychique, renseigne Vincent Meillarec. C’est-à-dire que, dès qu’une personne âgée va se mettre à faire n’importe quoi, cela va être catégorisé comme de la démence. Ce qui, en Ehpad, paraît grave comme trouble du comportement ne l’est pas nécessairement en psychiatrie. Les soignants ont parfois du mal à se dire que le malade peut aussi vivre des choses différentes. »
Face à l’arrivée croissante de résidents psychiatriques, de plus en plus d’établissements ont décidé de créer des unités spécifiques d’accueil au sein de leur structure. Il existe aussi des unités dédiées au sein des établissements psychiatriques. Mais le nombre de places dans ces deux types d’unités d’accueil reste largement insuffisant. « Une bonne solution », selon Jérôme Pellissier, mais « à double tranchant ». « Si cela repose sur un vrai projet de prendre soin, d’activités, avec des soignants formés, cela peut être très bien. Si c’est une manière d’isoler les plus pénibles et de les mettre tous ensemble pour que les autres ne soient pas dérangés, cela peut devenir des sortes de ghettos », considère le docteur et chercheur en psychogérontologie. Et de préciser : « Statistiquement, il y a très peu de graves problèmes dans les Ehpad en France. Il ne faut donc surtout pas bunkériser les vieux déments, les vieux psys. Il ne faut pas que tout devienne sécurité. Il faut que les établissements soient à l’échelle de la vie et de la société. On ne va pas tout hypersécuriser sous prétexte que, de temps en temps, il y a un problème. »
Alors que, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes souffrant de troubles psychiatriques constitueront dans les prochaines années la première cause de handicap et d’invalidité dans le monde, en France, il n’existe aucune structure spécifiquement adaptée à leur accueil au-delà de l’âge de 60 ans. Ce ne sera plus le cas au premier semestre 2021. En effet, l’Ehpad Marie-Pia de l’association hospitalière Sainte-Marie, dont le chantier a débuté en novembre 2019, proposera une soixantaine de places pour ce type de résidents. Plus précisément, le projet situé au Puy-en-Velay (Haute-Loire) porte sur la construction en neuf d’un bâtiment de 69 lits et places, décomposés en 60 lits d’hébergement permanent, 6 lits d’hébergement temporaire et 3 places d’accueil de jour.