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Des mineurs délaissés par le manque de pédopsychiatres

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La crise démographique de la pédopsychiatrie perdure. Non sans avoir des effets délétères sur l’accompagnement de jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Une situation qui place les professionnels du secteur médico-social dans l’impasse.

« Nous sommes le pays européen où l’offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible du point de vue des praticiens », écrivait Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans son rapport « Mission bien-être et santé des jeunes », de novembre 2016. Plus de trois ans après ce constat alarmant, la situation de la psychiatrie infantile reste dans l’ornière. Après le rapport de la mission d’information du Sénat sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, en avril 2017, les sénateurs ont interrogé le gouvernement sur le sujet de la santé mentale des mineurs, à l’occasion d’un débat, le 8 janvier dernier, à la demande du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE).

« La psychiatrie infanto-juvénile n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. La pédopsychiatrie publique ne peut plus apporter aux enfants, protégés ou non, les soins dont ils ont besoin, faute de structures et de moyens humains », a déploré Jean-Louis Tourenne, sénateur socialiste d’Ille-et-Vilaine. Selon l’Atlas de la démographie médicale 2016 publié par le Conseil de l’ordre national des médecins, la spécialité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est confrontée à la plus forte chute de médecine de spécialité : moins 48,2 % entre 2007 et 2016 (activité libérale et activité salariée confondues). Le Conseil national de l’ordre a recensé 640 pédopsychiatres en 2016 dont une majorité exerce en secteur public. En 2016, la densité pédo­psychiatrique effective était de 4 professionnels pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans en moyenne en France. Par ailleurs,14 départements ne comptaient… aucun pédopsychiatre. Cette pénurie de professionnels est alarmante au regard de la forte demande : un million de jeunes font appel à la pédopsychiatrie, toutes prises en charge confondues, et 25 % des patients de la psychiatrie hospitalière sont des mineurs. En 2018, 700 000 enfants et adolescents ont été pris en charge sur l’ensemble de ces établissements, avec la répartition suivante : 291 centres d’action médico-sociale précoce (Camps) recevant 73 115 enfants, 400 centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) recevant 213 000 enfants, 1 500 centres médico-psychologiques (CMP) recevant 401 135 enfants.

Des professionnels démunis

La crise de la pédopsychiatrie n’est pas sans incidences sur le champ de la protection de l’enfance. En effet, selon le secrétariat d’Etat à la protection de l’enfance, 32 % des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont des troubles psychiatriques contre 2,6 % de la population générale. En outre, 1,6 % des mineurs placés sont sous antidépresseurs et plus de 7 % sous neuroleptiques. « Les services départementaux d’aide sociale à l’enfance ne sont pas équipés pour accompagner les mineurs souffrant de troubles psychiatriques », pointait du doigt l’Assemblée des départements de France (ADF) en octobre dernier, qui appelait alors de ses vœux « un engagement accru de l’Etat ». Le dépistage, pourtant déterminant dans le pronostic, est de plus en plus tardif et le temps d’attente pour une consultation peut atteindre un an. Conséquences : faute de moyens, les professionnels de la protection de l’enfance se trouvent démunis face à des mineurs en détresse psychique, en perte de repères, aux comportements addictifs et souvent violents. Certains adolescents présentent des troubles du comportement, avec ruptures de parcours, passages à l’acte itératifs et problématiques délictuelles, qui conduisent à des ruptures de parcours. Ces situations à la croisée de l’éducatif, du social et du médical, mettent à mal les équipes et les services d’accueil qui se sentent extrêmement démunis. Des hospitalisations sont les seuls moyens de recours envisagés, y compris dans les structures de soins sans consentement pour adultes. « Dans les familles d’accueil et surtout dans les maisons d’enfants à caractère social [MECS], où se retrouvent les enfants après le centre départemental de l’enfance, le personnel doit avoir rapidement accès aux pédopsychiatres, car un enfant avec des troubles du comportement ou violent peut déstabiliser un établissement et user complètement l’équipe éducative », énonçait le sénateur corrézien Daniel Chasseing.

Difficultés de prise en charge des MNA

La situation des mineurs non accompagnés (MNA) est également préoccupante. Dans un avis relatif au bilan de santé des enfants étrangers isolés, publié en novembre dernier, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) rappelait que ce public présente des troubles psychiques et des troubles du comportement importants et plus fréquents que leurs pairs accompagnés, et que les adolescents en population générale. « Ces troubles sont par ailleurs repérés tardivement et moins bien pris en charge que pour les autres mineurs. Le syndrome de stress post-traumatique concerne jusqu’à la moitié des enfants étrangers isolés, même si sa prévalence varie selon les études (entre 20 % et 53 % des troubles psychiques). » La dépression et l’anxiété constituent elles aussi des risques importants pour les enfants étrangers isolés. « Leur prévalence (dépression : 15 % à 23 % des troubles psychiques ; anxiété : 9 % à 50 %) est supérieure à celle rapportée dans la population générale. » Les troubles présentés par les enfants étrangers isolés sont souvent de révélation tardive et nécessitent une surveillance régulière des signes. Or, les mineurs non accompagnés ne sont pas éligibles à la protection universelle maladie (Puma) mais seulement à l’aide médicale d’Etat, qui ne couvre pas les soins en CMP. « Concernant la santé psychique, les départements enquêtés s’accordent pour souligner l’importance et la difficulté des repérages et des prises en charge nécessaires, alors que les structures psychothérapiques (CMP) sont en nombre insuffisant, sans formation aux spécificités de la population des enfants étrangers isolés. Peu de structures d’accueil bénéficient de la présence de psychologues, ou alors dans le cadre de vacations ou en supervision. Aucun bilan spécifique n’a été décrit au cours de l’enquête », ajoute l’étude du HCSP.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (art. 59) rend désormais obligatoire la réalisation d’un « bilan de santé et de prévention » dès l’entrée d’un mineur dans le dispositif de protection de l’enfance. Ce bilan est réalisé, dès le début de la mesure, pour tous les mineurs accompagnés notamment par l’ASE ou par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le bilan devra identifier les « besoins de prévention et de soins permettant d’améliorer l’état de santé physique et psychique de l’enfant, qui doivent être intégrés au projet pour l’enfant ». Reste à prendre en charge ces besoins, une fois identifiés.

Début 2020, un collectif de 14 organisations (dont l’Uniopss, l’Unafam, la Fnapsy, la Fédération des acteurs de la solidarité, la Fédération Addiction, l’Armée du salut) a transmis son plaidoyer à Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Les associations appellent notamment les pouvoirs publics à « revivifier l’offre de proximité » afin de « tisser un maillage territorial de soins et d’accompagnement ». Cette priorité doit passer par le renforcement des centres médico-psychologiques. Le collectif suggère également le développement d’équipes mobiles ressources et de prévention en appui des structures médico-sociales (dispositifs ITEP, IME), des structures et des professionnels de l’ASE et de la PJJ, de l’Education nationale et des familles. L’équipe mobile rattachée à l’unité médico-éducative pourrait être sollicitée avant admission en hospitalisation dans cette unité pour évaluation et étayage des équipes de structures d’accueil, mais aussi en aval pour faciliter l’insertion ou la réinsertion sociale, et la dynamique de soins et d’accompagnement. « Ces équipes mobiles pluridisciplinaires, gérées par l’agence régionale de santé [ARS], comporteraient à la fois des infirmiers, des psychologues et des pédopsychiatres. Elles apporteraient un renfort ponctuel à l’équipe en place au sein du lieu de prise en charge du mineur. Ces équipes se déplaceraient également au domicile pour faciliter l’accès aux soins. Leur intervention paraît pertinente durant les périodes de crise pour être une alternative à l’hospitalisation, assurer une continuité des soins après stabilisation de l’état du patient et faciliter son retour dans la structure médico-sociale ou au sein de sa famille », expliquait le sénateur Daniel Chasseing.

PTSM : cap sur la coopération ?

Autre écueil pointé par le collectif associatif : le fonctionnement en silo des différentes administrations et financeurs (départements pour la protection maternelle et infantile et l’ASE, Etat pour les jeunes de la PJJ, Education nationale, ARS pour l’offre médico-sociale et de santé) est un facteur aggravant.

Prévus par l’article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, les plans territoriaux de santé mentale (PTSM) devront être mis en œuvre dès cet été. Objectifs ? Réorganiser la santé mentale et la psychiatrie pour réduire les inégalités territoriales et favoriser une coordination de proximité entre les acteurs des champs sanitaire, social et médico-social. Selon le bilan établi en janvier par le ministère de la Santé et des Solidarités, le mouvement de déploiement des PTSM « est lancé » : 103 sont identifiés et 12 arrêtés par les ARS. « Les projets territoriaux de santé représentent une opportunité majeure pour créer, améliorer ou conforter les échanges et relations entre les différents acteurs des champs médicaux, médico-sociaux et sociaux sur un territoire qu’il leur appartient d’identifier avec une attention toute particulière. Il s’agit de mettre en place un espace de travail en commun où chacun des acteurs concernés doit trouver sa place », souligne le groupe de travail et de réflexion « psychiatrie et santé mentale » de la Fédération hospitalière de France, qui a formulé une série de propositions en faveur de la promotion et du développement de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Il y a urgence à redonner des moyens à la pédopsychiatrie, en raison notamment du fait que l’absence de prise en charge de la santé mentale des jeunes, de prévention et de repérage précoce a des incidences à long terme. Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant l’âge de 16 ans.

Expérimentation en cours

Au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, un parcours de soins coordonné des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) est expérimenté dans trois territoires (Loire-Atlantique, Pyrénées-Atlantiques, Haute-Vienne). L’expérimentation vise les enfants accompagnés par l’ASE, ceux en établissement mais également ceux accompagnés à domicile. « Elle a pour objectif de structurer un suivi médical régulier, autour de la réalisation du bilan de santé, de garantir l’accès à une prise en charge précoce en santé mentale, et de mobiliser les professionnels afin d’améliorer la coordination du parcours », explique l’Uniopss. « Concrètement, elle prend la forme d’un forfait de 430 € par enfant, qui sera versé à la structure de coordination et permettra de compléter le droit commun. Ce forfait doit financer : l’orientation et la prise en charge par des professionnels libéraux, notamment les psychologues, valoriser certains actes, et la coordination et la formation des professionnels. » Cette expérimentation sera étendue cette année et concernera dix territoires au total.

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