Hier, quand je suis rentré de l’école, j’ai trouvé une lettre qui m’attendait sagement sur la table de la cuisine. Une lettre avec un joli timbre, et une écriture que je reconnaîtrais entre mille. Une lettre de ma mère.
« Mon cher Florestan,
Je ne t’ai jamais parlé beaucoup de ma maman, ta mamie Jeanine. Ma maman habite la belle Madinina, mon île loin. Très loin. Trop loin. Maman, elle est un peu âgée et, surtout, elle est seule. Ses parents sont morts depuis longtemps, son frère aussi, et elle n’a ni mari ni d’autre enfant que moi. Ta mamie Jeanine, elle a fait un bébé toute seule, et c’est elle qui se retrouve seule maintenant.
Là-bas, dans mon île aux fleurs, les jeunes ne restent pas. Ils vont en métropole, pour étudier, pour travailler, et puis ils se marient, ils font des enfants… et ils ne reviennent pas toujours.
Moi, j’ai fait comme les autres. J’ai grandi là-bas, et puis ma maman m’a envoyée ici pour faire des études, parce qu’elle pensait que savoir était un grand trésor. Alors je suis partie, j’ai étudié un peu, et puis j’ai rencontré ton père, j’ai arrêté mes études, et puis tu es né, et puis… La suite, tu la connais. C’est compliqué. Mais la vie ne m’a pas laissé le choix.
Mon petit Florestan, aujourd’hui, ma maman est vieille et malade. L’âge est un dernier long voyage, et ta mamie Jeanine est déjà presque au bout du chemin. Et moi, je suis loin, tellement loin.
Tu sais, c’est compliqué là-bas. Ma maman n’est pas très riche, sa maison est isolée et pas très confortable, et elle est seule, tellement seule. Alors voilà, je vais partir, parce qu’elle a besoin de moi. Je vais partir, et revenir, dans quelques semaines, ou quelques mois, je ne sais pas. Je m’offre une parenthèse, un sursis, pour moi, pour elle, pour voir ce que je peux faire. Pour trouver de l’aide, aménager un peu la maison, ou visiter quelques Ehpad, je ne sais pas encore. Pour être là, tout simplement. J’ai été une mauvaise mère, je ne veux pas être aussi une mauvaise fille.
Mon cher Florestan, je pars mais je reviendrai, je te le promets. S’il te plaît, ne m’en veux pas.
Ta maman qui t’aime »
J’ai lu et relu la lettre. Et puis je l’ai froissée, jetée, ramassée, défroissée, et je l’ai relue encore et encore. Et j’y ai répondu.
« Chère maman,
Ne t’inquiète pas trop. Moi j’ai quelques amis qui me laissent jamais tomber, ma famille d’accueil est gentille et je travaille bien à l’école, alors je vais attendre sagement ton retour. De toute façon, ça fait des années que j’attends, des années que j’espère. Faut du cœur et faut du courage, tu me le dis bien assez souvent. Un jour, je sais que tu m’emmèneras avec toi pour me montrer cette île que je ne connais pas et ces autres vies que je ne sais pas. Un jour, tu viendras me chercher chez moi, et nous irons chez toi. Je t’embrasse très, très fort et te fais plein de câlins.
Florestan »
J’ai lu et relu ma lettre. Des jolis mots et des jolis mensonges pour une réponse calme et polie, comme moi. Mais en vrai, ce n’est pas moi. Parce qu’en vrai, j’ai juste envie de pleurer et de crier. Juste envie que ma mère soit là pour moi et qu’elle me serre fort dans ses bras… Et surtout, j’ai juste envie de lui dire : « Me laisse pas là, emmène-moi … »