« La première chose que j’ai pu observer, c’est que les Antilles sont très en retard en matière de professionnalisation des métiers de l’aide à domicile. Lorsque je suis arrivée en 2012, la prise en charge à domicile datait des années 1990. C’est-à-dire que l’on faisait uniquement du service confort. Mais tout ce qui relevait de l’accompagnement à domicile, du maintien de l’autonomie de la personne n’était pas encore tout à fait au point. Les personnes qui géraient le secteur étaient elles-mêmes des anciennes aides à domicile, non formées à ce qui relève de la coordination sur le territoire. Il a donc fallu commencer par encadrer quelque peu ces métiers. »
« Une autre problématique est que, sur ces territoires, tout le monde se connaît. Le positionnement professionnel est donc très compliqué. Les personnes se tutoient, ce qui ne facilite pas le travail des aides à domicile. Elles n’arrivaient pas à se positionner en tant que professionnelles. Difficile, dès lors, de mettre en place un véritable accompagnement visant à favoriser l’autonomie de la personne âgée. Autre difficulté : un tiers de la population présente des troubles psychiatriques. Ce qui complique encore plus l’accompagnement. D’autant que les aides à domicile ne sont pas formées, n’ont pas de diplômes pour gérer ces problématiques. Il est donc urgent de les professionnaliser.
S’il y a très peu d’Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] en Guadeloupe, cinq sont actuellement en construction. Le département semble avoir compris que la population commençait à vieillir et qu’il fallait permettre à certaines personnes âgées dépendantes de vivre en structure. Mais, en réalité, tout est mal fait, mal organisé. A tel point que les personnes meurent dans les trois mois qui suivent leur entrée. Les autorités sont donc probablement en train d’observer l’échec de l’ouverture des Ehpad sur le territoire. L’une des explications étant que les personnes âgées sont accrochées à la vie à domicile. Ce sont des repères qu’elles ont. Elles sont perturbées par la vie en établissement. »
« Il faut poursuivre la professionnalisation à domicile, mais aussi favoriser la coordination entre les différents partenaires. J’ai pu le constater dans les diverses associations pour lesquelles j’ai travaillé. Par exemple, parfois, les kinésithérapeutes intervenaient à 8 heures. Ils faisaient marcher la personne âgée pendant trente minutes. L’aide à domicile arrivait ensuite. Elle venait pour favoriser l’autonomie de la personne, lui permettre de réaliser les activités de la vie quotidienne. Mais, en réalité, elle cassait le travail du kiné en annihilant les exercices faits auparavant. D’où l’importance de la communication, de la coordination entre les services.
Il y a aussi un problème de reconnaissance du service d’aide à domicile aux Antilles, qui fait que c’est compliqué de se positionner en tant que partenaire important de la prise en charge. Il faut valoriser les métiers de l’aide à domicile en les professionnalisant. La problématique de fond est que le regard porté sur la personne âgée ne va pas. Elle est considérée comme étant en déchéance totale, malade. On part du principe qu’il faut lui apporter de l’aide. On oublie qu’elle a un potentiel, un savoir-faire, qu’elle connaît des choses (par exemple, en jardinage, en bricolage, en chant, en danse…). Et, du coup, on ne s’appuie pas dessus. Il faut modifier ce regard sur la personne âgée et aller rechercher chez elle ce qu’elle a laissé dormir dans ses placards. »