Demandes de logement social, Pôle emploi, dématérialisation de délivrance des titres en préfecture… Cette année, la Cour des comptes choisit dans son rapport de mettre l’accent sur ces trois sujets. Elle appelle l’Etat à ne pas oublier la fracture numérique qui laisse de côté des usagers non équipés. Ou ceux qui sont tout simplement mal à l’aise avec les outils informatiques.
Numériser pour mieux gérer la masse des demandes est la stratégie adoptée par l’Etat au lendemain de la crise de 2008, en particulier face à la forte augmentation du nombre de chômeurs. La transformation numérique amorcée par Pôle emploi a même « modifié de manière profonde la nature et les modalités du service rendu par l’opérateur et constitue désormais l’un de ses principaux axes stratégiques ». Comme le relève la Cour, « le développement des services numériques répond non seulement à la nécessité d’accompagner l’augmentation de l’activité, mais il doit aussi tenir compte de la complexité des missions de l’opérateur ». Ce dernier doit s’adapter en permanence à la diversité des profils auxquels il fait face, des employeurs aux demandeurs d’emploi, en plus d’une haute technicité des règles en vigueur.
Les services numériques de Pôle emploi semblent particulièrement concernés par la question de la fracture numérique : « Certaines catégories de la population (seniors, personnes peu qualifiées, habitants des territoires ruraux et des quartiers prioritaires de la politique de la ville) sont plus exposées que d’autres », rappelle la Cour des comptes. L’institution relève à ce sujet que l’opérateur « déploie des efforts importants pour prendre en charge ces publics peu familiers du numérique ». Pour cela, il a recours à 3 200 volontaires du service civique placés dans les espaces d’accueil des agences qui informent et aident les demandeurs d’emploi. La Cour relève cependant une limite à la politique volontariste de Pôle emploi : « L’approche que développe aujourd’hui l’opérateur comporte le risque de confondre autonomie dans l’usage du numérique et autonomie dans la recherche d’emploi. Or beaucoup de personnes autonomes du point de vue numérique ne sont pas capables de définir elles-mêmes ce dont elles ont besoin pour leur parcours. »
En faveur des usagers de Pôle emploi, la Cour des comptes recommande d’améliorer, d’une part, « la détection précoce des personnes en difficulté dans l’usage des services numériques » et, d’autre part, « le pilotage de l’offre des services numériques » pour « la centrer sur les outils les plus efficaces à la recherche d’un emploi ».
La Cour des comptes passe rapidement sur les réels progrès pour l’usager qu’a permis la numérisation de la demande de logement social, pour se concentrer sur les limites actuelles. Bien que le portail connaisse un usage croissant et que les réformes aient permis de rendre « la procédure plus sûre et plus transparente », « la gestion numérique des demandes présente encore des risques et doit être mieux maîtrisée », suggère la Cour, qui met l’accent sur les difficultés de la relation en ligne avec le demandeur.
Elle relève d’abord « les faiblesses » de l’ergonomie du portail grand public. En résumé, ce portail n’est pas très intuitif et ne permet pas d’apporter à l’internaute toutes les aides nécessaires pour qu’il mène à bien sa demande. Plus précisément : « La navigation est difficile par manque de logique d’enchaînement des pages visibles à l’écran » et « le niveau de langue rend le contenu difficilement compréhensible pour des usagers peu familiers des termes administratifs ou ayant des difficultés en français ». Et sans s’être encore posé la question du site, le ministère chargé du logement travaille déjà sur le développement de l’accès au portail via les smartphones. Pour la Cour, « le ministère devrait préalablement résoudre les défauts d’ergonomie et de lisibilité constatés ». Autre difficulté : le demandeur ne peut pas suivre l’avancement de sa demande. Pour la Cour des comptes, ceci est principalement causé par le manque de volonté des bailleurs, qui ne mettent pas en ligne toutes les informations nécessaires. Plutôt que de demander à l’Etat d’exiger d’eux « d’utiliser de façon plus rigoureuse et plus intense ce système d’enregistrement », la Cour des comptes demande plutôt à l’Etat de les convaincre, d’autant qu’il semble que les réticences de certains bailleurs « pourraient expliquer les écarts de traitement entre les deux types de demandes » : numérique et papier.
Au-delà des difficultés pour l’usager, les magistrats relèvent des risques plus techniques. D’abord, les données manquent apparemment de fiabilité : purement déclaratives, les informations issues de la demande ne sont pas vérifiées avant l’inscription des dossiers à une commission d’attribution des logements. « Le demandeur doit produire une simple copie de sa pièce d’identité, soumise à un contrôle minimal de cohérence, et il peut renouveler sa demande sans mettre à jour son dossier, note la Cour. En conséquence, des demandeurs inéligibles (par exemple en raison de leurs revenus) peuvent être comptabilisés et augmenter indûment le nombre de demandes de logement social. Légitime, cette recherche de simplicité pour l’usager nuit aujourd’hui à la fiabilité globale du système national d’enregistrement et à sa mission statistique prévue par la loi. »
Peu fiables, les données sont en plus mal protégées. Ce sujet est principalement lié aux « insuffisances de l’application en matière de sécurité des données », note la Cour des comptes. Pire encore, le service est en infraction au regard du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) de 2016 du fait de « l’impossibilité de retracer les interventions successives sur un dossier, conduisant le cas échéant à des modifications des informations personnelles des demandeurs ».
La Cour des comptes se comporte parfois en actionnaire de l’Etat. Cela apparaît grandement dans son rapport sur la dématérialisation de la délivrance de titres par les préfectures. Une transformation numérique devenue quasiment indispensable, alors que l’Etat augmente leurs prérogatives et leurs missions tout en diminuant les effectifs de fonctionnaires. Le ministère de l’Intérieur a concentré les efforts de dématérialisation sur les titres mobilisant le plus d’agents : cartes d’identité, passeports, permis de conduire et cartes grises. Et c’est une réussite sur le plan financier.
Mais la transition a quelque peu été effectuée aux forceps, note la Cour, qui relève « des lacunes dans la préparation de la réforme ». Principalement, le ministère de l’Intérieur « n’a pas conduit d’évaluation détaillée des conséquences d’une dématérialisation intégrale » pour les usagers ayant des difficultés d’accès aux services numériques, que ce soit en raison d’illettrisme, d’illectronisme ou d’un handicap. Encore aujourd’hui, la Cour des comptes relève que l’enjeu est bien de porter plus d’attention aux usagers. Des chiffres permettent un certain optimisme, en particulier ceux du centre de contact citoyens, qui permet aux usagers de contacter une personne réelle pour l’aider dans ses démarches : son taux de réponses est passé de 47 % en 2017 à 71 % en 2018, alors même que le nombre d’appels s’accroît.
Dans sa politique de numérisation des démarches, le ministère de l’Intérieur oublie cependant un public majeur, qui continue à occuper les files d’attente interminables aux marches des préfectures : les étrangers qui souhaitent renouveler leur titre de séjour. La Cour des comptes ne mentionne même pas ce public qui pourrait être très intéressé par une numérisation. Les services « étrangers » n’ont que trop peu bénéficié de la numérisation des autres services, même si l’administration y a affecté 400 agents des effectifs prévus à l’origine pour renforcer les quatre missions prioritaires.
Voilà bien un sujet qui n’a pas encore été parfaitement numérisé, mais a tout de même intéressé la Cour des comptes, car il reste très coûteux : celui des aides personnelles au logement. Depuis cinq ans, les réformes des aides personnelles au logement opérées depuis cinq ans ont permis une meilleure maîtrise des dépenses, mais ont complexifié le dispositif. Ces aides redistributives coûtent 15 milliards d’euros en 2020, soit plus de 40 % des dépenses publiques pour le logement. Depuis la réforme de 2015, qui a profondément simplifié leurs financements, ces aides sont aujourd’hui principalement financées par l’Etat. La majorité élue en 2017 a lancé d’autres économies, notamment par la très impopulaire baisse uniforme de 5 €. Selon la Cour, « le manque de vision précise à moyen terme a conduit à des négociations récurrentes ». Ces négociations, qui n’ont toujours pas été menées à terme, posent des difficultés aux organismes de logement social, note la Cour des comptes. Les allocataires pâtissent eux aussi des réformes qui ont rendu le dispositif plus complexe.
Mais les magistrats notent que les projets à venir permettront de rendre le régime des aides « plus simple, durable et accessible » : d’une part, le mécanisme de prise en compte contemporaine des ressources ; d’autre part, la création du revenu universel d’activité, qui vise à fusionner plusieurs prestations sociales pour une meilleure lisibilité et cohérence.