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Coup de vieux sur les outre-mer

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Les députées Ericka Bareigts et Stéphanie Atger ont rendu, le 6 février, un rapport consacré au grand âge et à la dépendance dans les territoires ultramarins français. Une étude nécessaire alors qu’un vieillissement rapide et d’ampleur de la population touche les Antilles et la Réunion. Leur travail met en exergue les défis auxquels font déjà face les outre-mer.

« Le vieillissement de notre population soulève un défi (…), celui du grand âge, de la dépendance, sujet qui, tout à la fois, nous bouleverse, et que beaucoup d’entre nous voudraient tenir à l’écart. (…) La dépendance est là, et ce nouvel âge vulnérable de la vie est en train de s’installer. Ne pas le voir ou considérer que ce serait l’affaire de quelques-uns, c’est ne pas nous traiter dignement nous-mêmes. » Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron. Le président de la République les a tenus en juin 2018 au moment d’annoncer une future loi « grand âge et autonomie ». Depuis, toujours pas de loi.

En 2050, la Martinique sera le département le plus âgé de France

Les rapports se sont en revanche succédé. Et les propositions avec. S’ils ont tous le mérite de démontrer l’urgence de la situation, ces rapports ont un point commun : ils ne parlent pas (ou très peu) de la situation en outre-mer. Une absence dommageable car les territoires ultramarins sont eux aussi confrontés au vieillissement de leur population. Un phénomène particulièrement rapide et d’une ampleur très importante. Ainsi, en 2050, la Martinique sera le département le plus âgé de France (elle n’était que 74e en 2013). La part des personnes âgées de 65 ans et plus représentera 42,3 % de la population, contre seulement 16,9 % en 2013. Les outre-mer sont donc particulièrement concernés par ce « défi du grand âge » évoqué par le chef de l’Etat. Après des mois de travail, plus de 70 acteurs nationaux et locaux auditionnés, un déplacement à La Réunion, la députée Stéphanie Atger (Essonne) et Ericka Bareigts (La Réunion) viennent de combler ce manque. Elles ont publié, le 6 février, un véritable état des lieux du vieillissement et des politiques de prise en charge de la dépendance en outre-mer.

Premier constat, clinique et précis : « Il y a urgence », assure Stéphanie Atger. Si les situations démographiques ne sont pas identiques à tous les territoires ultramarins, ceux-ci sont tous concernés, « à échéances variables », par ce phénomène du vieillissement. Concrètement, « les départements d’outre-mer peuvent être divisés en deux situations distinctes », écrivent les députées dans leur rapport. D’une part, les deux départements antillais (Guadeloupe et Martinique) et La Réunion, après avoir effectué une première « révolution démographique » à la fin du XXe siècle, commencent à être confrontés au rapide et massif vieillissement de leur population. D’autre part, la Guyane et Mayotte sont encore relativement épargnés par les phénomènes de vieillissement, notamment grâce à des taux de fécondité élevés et une immigration importante. Dans les faits, la Martinique sera donc en 2050 le département le plus âgé de France. La Guadeloupe, de son côté, sera classée en 6e position alors qu’elle était 86e en 2013. Dans ce département, la part des personnes âgées de 65 ans et plus représentera 37,7 % de la population, contre 15,2 % en 2013. Le phénomène est assez similaire à La Réunion. Mais en raison d’un taux de fécondité un peu plus élevé et d’une moindre propension des jeunes Réunionnais à quitter l’île, le vieillissement est moins marqué qu’aux Antilles. La population âgée de 65 ans et plus a toutefois triplé entre 1980 et 2013. De plus, alors que les plus de 60 ans représentaient 14 % de la population en 2013, leur nombre devrait doubler d’ici à 2030.

« La situation est incomparable à ce que peut connaître la métropole », estime Maude Crouzet, doctorante en démographie à l’université de Strasbourg. Et celle dont l’intitulé de thèse était « Incapacité et perte d’autonomie des personnes âgées dans les départements d’outre-mer » pointe la première cause de ce vieillissement : la baisse de la fécondité. « Au début des années 1960, on était à des niveaux de fécondité de cinq ou six enfants par femme, assure-t-elle. Aujourd’hui, on est à des niveaux comparables à ceux de la métropole, à savoir autour de deux enfants par femme [précisément 2,1 enfants par femme en Guadeloupe et 1,9 en Martinique, ndlr]. Avec toutefois un taux un peu plus élevé à La Réunion [2,5 enfants par femme, ndlr]. » La seconde raison du vieillissement massif et rapide de ces trois territoires ultramarins est la migration, l’exode massif des jeunes vers la métropole. Ainsi, au recensement de 2012, parmi les natifs de la Guadeloupe et de la Martinique âgés de 18 à 34 ans, 46 % vivaient en Europe. Si ce phénomène est d’une moindre ampleur à La Réunion (seulement 20 % des natifs de 18-34 ans vivaient dans l’Hexagone à ce même recensement), l’impact est le même sur les structures démographiques.

« La situation est catastrophique »

Ce vieillissement des populations n’est pas sans conséquence, surtout au niveau sociétal. « Avant, dans les îles, il y avait une forte solidarité familiale, beaucoup plus qu’en métropole, souligne Guy Loudière, secrétaire général de la Fédésap. A La Réunion, par exemple, tout un système (parents, enfants, petits-enfants) était mis en place pour s’occuper des gramounes, les personnes âgées. C’était complètement intégré dans la culture. Aujourd’hui, avec le manque de travail, le fort taux de chômage, les enfants ont tendance à partir ailleurs. » Quand Maude Crouzet affirme : « En outre-mer, mettre ses parents dans une maison de retraite est mal perçu. Pour les enfants, cela revient à abandonner ses parents, Mais si les solidarités familiales sont fortes, un changement s’opère. Les jeunes partent et ne sont plus autant impliqués dans la vie familiale qu’ils ne l’étaient il y a quelques décennies. » Ces migrations de jeunes adultes entraînent nécessairement un déficit d’aidants. « C’est particulièrement le cas aux Antilles, où 15 % des 60-69 ans n’ont plus aucun de leurs enfants résidant dans le département », avancent les députées Atger et Bareigts dans leur rapport. La réduction du nombre d’aidants familiaux est d’autant plus préoccupante que les outre-mer sont sous-équipés en établissements d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad). « En 2015, l’offre en Ehpad, déjà jugée insuffisante au niveau hexagonal, était deux à trois fois inférieure dans les outre-mer à ce qu’elle était au niveau national. (…) Ainsi, il existait à la Guadeloupe 35,6 places en Ehpad pour 1 000 personnes de plus de 75 ans, contre 122,6 places en moyenne nationale », soulignent les députées. « Par ailleurs, sur ces territoires, la majorité des établissements sont très vétustes, voire délabrés, et ne répondent pas aux normes en vigueur », ajoute Stéphanie Atger. Et de déplorer : « La situation est catastrophique. »

Dès lors, dans les territoires ultramarins plus encore qu’en métropole, les services à la personne sont amenés à se développer. D’autant que, face à un taux de chômage plus élevé que dans l’Hexagone, ils apparaissent comme une source non négligeable d’emplois. « Les outre-mer ont une particularité : ils ont énormément recours au système du particulier employeur, qui embauche principalement des membres de sa famille. Cela représente près de 70 % du marché, explique Guy Loudière. Ce sont essentiellement des petits contrats de travail, d’une vingtaine d’heures, parfois même moins, avec donc de faibles revenus. » Une situation problématique, car ces personnes ne sont pas formées. Un manque de formation unanimement déploré. Tous les acteurs le disent, la professionnalisation est un élément incontournable d’une bonne prise en charge de la dépendance. Et plus généralement, comme l’indique Stéphanie Atger : « Il faut développer les services à la personne, multiplier les centres de formation, accentuer l’apprentissage et revaloriser les métiers du grand âge. » Et la députée de l’Essonne de conclure : « Concrètement, en termes de prise en charge de la dépendance, d’accompagnement des personnes âgées, tout est à moderniser, à repenser dans les territoires ultramarins. Il faut intégrer dans les politiques publiques que le vieillissement de la population est un fait réel. Il faut avoir le réflexe de se dire que la population est âgée, qu’il faut s’en occuper. Et que, surtout, c’est prioritaire. » La future loi devra en tenir compte.

Un rapport, 40 préconisations

Comme les rapports précédents (« Libault », « El Khomri », « Dufeu-Schubert »), celui des députées Bareigts et Atger contient de nombreuses préconisations. Au total, ce sont 40 recommandations dont l’objectif est de « prendre en considération la spécificité de l’outre-mer dans la prise en charge de la dépendance ». Parmi elles, « l’adaptation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) aux outre-mer en abaissant, dans les territoires ultramarins, l’âge de calcul à 65 ans au lieu de 75 ans pour tenir compte de l’espérance de vie et de survenue de la dépendance dans les outre-mer ». Plus généralement, il est question de « faire du grand âge un priorité nationale », de « favoriser l’attractivité des services liés au grand âge », de « moderniser les services aux personnes âgées dépendantes » ou encore de « reconnaître le rôle indispensable des aidants ».

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