La Cravate solidaire est née d’un constat. « Lorsque l’on vient tout juste de finir ses études, acheter des vêtements, un costume pour un premier entretien professionnel ou pour les premiers jours de travail, représente une difficulté financière », explique Nicolas Gradziel, cofondateur et directeur des opérations de La Cravate solidaire. A l’époque, ce dernier prépare un master en management, conseil en stratégie et création d’entreprise à l’EDC Paris Business School. Impliqué dans le monde associatif depuis plusieurs années et passionné par l’entrepreneuriat social, il a l’idée, avec deux autres étudiants, d’aider les plus démunis à franchir le cap du premier rendez-vous d’embauche. Avec le costume qui va bien. Les compères retournent à La Défense, lieu de leurs études, afin d’inciter les salariés des entreprises à trier leurs armoires. « Nous avons récolté les vêtements qui n’étaient plus portés pour les offrir à ceux qui en avaient besoin pour décrocher un premier poste », se souvient Nicolas Gradziel.
En janvier 2012, La Cravate solidaire est lancée. Les trois jeunes entrepreneurs s’entourent alors de bénévoles. Spécialistes des ressources humaines (RH) et conseillers en image vont les rejoindre et s’investir. Pas question de n’être qu’un vestiaire. La gestuelle, le langage, la confiance en soi sont tout aussi cruciaux pour convaincre un recruteur. « Nous sommes là pour leur prodiguer des conseils, explique Séverine, bénévole et professionnelle RH. Comment parler de son parcours, le valoriser. Dans les PME, l’entretien portera plutôt sur l’aspect opérationnel. Dans les grands groupes, les valeurs de l’entreprise et le projet sur le long terme seront davantage évoqués. » Les observations des bénévoles sont décisives pour guider au mieux les demandeurs d’emploi. « Pour autant, l’échange reste détendu, chaleureux et sans a priori. Nous sommes à l’écoute et nous devons permettre au bénéficiaire de se projeter car le public qui vient nous voir a déjà un projet », insiste Nicolas Gradziel. Les structures publiques ne tarderont pas à leur faire également confiance. Actuellement, 75 % des participants aux ateliers sont orientés par des structures d’insertion partenaires : Ecole de la 2e chance, missions locales, Pôle emploi… « Nous sommes la dernière brique du parcours d’insertion », souligne le jeune fondateur. Côté entreprises, le Groupe ADP, Christian Dior Couture, BNP Paribas, PricewaterhouseCoopers ou encore Klesia soutiennent La Cravate solidaire. Au total, une quarantaine de partenaires du privé et du public participent financièrement à cette action d’insertion. Les membres de La Cravate solidaire sensibilisent près de 150 entreprises sur la lutte contre les discriminations. Depuis son lancement, plus de 25 tonnes de vêtements ont été récoltées.
Née à Paris, La Cravate solidaire distille aujourd’hui son accompagnement dans une dizaine de villes en France, parmi lesquelles Bordeaux, Lille, Lyon ou encore Clermont-Ferrand. Et même en Belgique. En 2018, environ 1 700 personnes ont bénéficié de cet accompagnement, dont 800 dans les locaux de la capitale. Elles étaient 2 700 l’année suivante. Fort de ce succès, Nicolas Gradziel et ses équipes ont créé La Cravatesolidaire mobile, afin d’aller à la rencontre du public le plus éloigné de l’emploi. Depuis mai 2019, le véhicule mobile sillonne trois fois par semaine les routes des départements de la Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise, avec l’objectif de contribuer à l’égalité des chances.
Ce jour-là, le véhicule pourpre de l’association s’est installé sur le parking du Pôle emploi de Saint-Gratien (Val-d’Oise). Café, bonbons et petits biscuits sont disposés sur la table basse de l’espace accueil du camion aménagé. Aminata, Yann et Samuel se sont inscrits parmi d’autres, sur les recommandations de leur conseiller Pôle emploi, à un atelier « Coup de pouce » gratuit. Au programme : conseils en image avec un coach dans l’espace « dressing » et simulation d’entretien avec un bénévole professionnel des ressources humaines dans l’espace « bureau ». Un dernier échange aura lieu dans l’espace « accueil », avec photographie professionnelle à mettre sur le CV ou les réseaux sociaux. Samuel, 20 ans, recherche un poste en menuiserie. Il a travaillé dans l’aménagement de véhicules mais ne veut plus être sur une chaîne. Il aime le travail minutieux du bois mais n’a pas d’expérience et manque de confiance en lui. « En entretien, les employeurs le voient », précise-t-il. « Il faut illustrer ton propos, montrer que tu as le souci du détail et préciser que tu es autonome », lui conseille Mathilde, chargée de mission au sein de La Cravate solidaire mobile. Après ce premier débriefing, Samuel prend la direction de l’espace dressing. Costumes, pantalons et chemises sont suspendus par des cintres et étiquetés comme dans un vrai magasin. Isabelle, coach, lui propose plusieurs vêtements. Des dons émanant de salariés d’entreprises ou de magasins qui ont cédé leurs invendus. Avant de passer sa simulation d’entretien, Samuel est transformé. Il a troqué blouson, tee-shirt, jean noir et baskets contre une veste et un pantalon de ville gris, un pull à la mode et des chaussures cirées. Le contraste est saisissant. « Je me sens élégant. Cela me donne de l’assurance, mais le costume ne fait pas tout », commente Samuel, qui va maintenant rencontrer la coach RH.
C’est le conseiller Pôle emploi qui a parlé à Aminata de ce concept. Vêtue d’un tailleur noir et d’une chemise blanche, elle s’est préparée comme pour un vrai entretien. « J’ai juste pris un chemisier supplémentaire dans le dressing du camion. C’est surtout la simulation de l’entretien qui m’intéresse. Je suis un peu stressée mais une fois lancée, ça va aller », assure-t-elle avec un grand sourire. Lasse des missions d’intérim qui surviennent au dernier moment et lui interdisent toute organisation à l’égard de ses enfants, Aminata s’est orientée vers une formation pour devenir agente de sécurité incendie et trouver un CDI. « L’atelier va m’apporter un plus. Je veux pouvoir me présenter de la meilleure façon possible face à un recruteur, travailler mes défauts, valoriser mes qualités et reprendre confiance en moi », poursuit-elle. Le but de La Cravate solidaire mobile est d’accompagner 900 personnes jusqu’en 2021. Et d’aller au-delà de l’accompagnement à l’entretien d’embauche en travaillant à l’intégration pérenne dans l’emploi. Le taux de réussite des candidats passés par l’association est de 70 %. Nicolas Gradziel fourmille d’idées et ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin. D’autres ateliers de sensibilisation à l’utilisation des outils digitaux sont prodigués, ainsi que des cours de maquillage et des ateliers de sophrologie. Des projets plus personnalisés sont aussi envisagés afin d’accompagner les personnes en situation de handicap et les réfugiés.
de l’association, Jacques-Henri Strubel (à gauche), Nicolas Gradziel et Yann Lotodé, devant le bus du dispositif mobile qui achemine leurs ateliers « Coup de pouce » sur les territoires de la Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise, principalement à destination des jeunes.