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Assistance sexuelle : entre fantasmes et réalités

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Sophie Cluzel a relancé le débat sur l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap. Le gouvernement se refuse pourtant à trancher la question par la loi et saisit une nouvelle fois, après 2011, le Comité consultatif national d’éthique pour savoir quelle position adopter sur la question. Si cette activité existe déjà depuis plusieurs années, elle suscite toujours débats et discordes chez les principaux concernés.

Le sujet a toujours suscité la polémique. La sexualité des personnes en situation de handicap, et plus précisément la question de l’assistance sexuelle, est restée jusqu’à présent la source de vifs débats. Et la récente prise de position de Sophie Cluzel sur le sujet a ravivé les braises. Le 8 février, la secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargée des personnes handicapées a rouvert ce sujet sensible en saisissant le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). « Les souffrances rencontrées par les personnes en situation de handicap, les dilemmes éthiques auxquels sont confrontées les familles, les positions de faiblesse vécues par des personnes handicapées propices à des violences et abus subis doivent inciter la société à approfondir la réflexion », écrit-elle au CCNE. Elle ajoute qu’il lui apparaît « indispensable de rouvrir la réflexion […] avec une vision renouvelée ».

En 2011, Roselyne Bachelot, alors ministre en charge des personnes handicapées, avait déjà saisi le CCNE. En septembre 2012, celui-ci s’était dit défavorable à la création de services d’assistance sexuelle. « Il n’est pas possible de faire de l’aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non-utilisation marchande du corps humain », avait-il considéré dans son avis. Et de souligner : « La complexité de ce qui y est mis en jeu nous oblige à entendre les questions dérangeantes sur la dignité, la vulnérabilité et les limites de ce qui est éthiquement acceptable », jugeant « difficile d’admettre que l’aide sexuelle relève d’un droit-créance ». Ainsi, juridiquement parlant, toute personne ayant recours à l’assistance sexuelle peut être poursuivie pour l’achat d’actes sexuels, puni d’une amende de 1 500 € (3 750 € en cas de récidive) depuis la loi sur la prostitution du 13 avril 2016. Concrètement, l’activité d’assistant sexuel, si elle n’est pas reconnue, est donc tolérée puisqu’elle s’apparente à de la prostitution, et que la prostitution est permise en France. « En revanche, les mises en relation que nous faisons sont, elles, illégales car considérées comme du proxénétisme. De même, les personnes qui bénéficient d’accompagnement sexuel sont pénalisées, en vertu de la loi sur la prostitution », explique Jill Prévôt-Nuss, présidente de l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas).

« Ghettoïsation du handicap »

Pour le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), la situation ne doit pas évoluer. Dans un communiqué du 11 février, il « s’oppose fermement à la proposition d’aidants sexuels pour les personnes handicapées ». L’instance estime que « légaliser l’achat de services sexuels serait contraire à notre législation contre l’achat de prostitution ». Et d’argumenter : « Poser comme principe qu’il y a une sexualité spécifique des personnes handicapées qui réclame une réponse spécifique est une erreur et conduit – une fois de plus – à la ghettoïsation du handicap. » Un raisonnement repris par Annick Billon, sénatrice de Vendée (UDI). « Je ne nie absolument pas le besoin des personnes en situation de handicap d’avoir une vie sexuelle. Je le comprends, assure la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Mais je ne pense pas que ce soit la bonne réponse. Cela voudrait dire qu’à partir du moment où vous êtes une personne en situation de handicap, vous avez besoin d’une assistance sexuelle. Pour moi, c’est une ghettoïsation de ces personnes. »

L’assistance sexuelle existe pourtant. C’est pourquoi de nombreuses associations demandent depuis plusieurs années un statut spécifique pour les accompagants sexuels, une reconnaissance en tant que métier, comme c’est déjà le cas par exemple en Suisse, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Ainsi, le Collectif handicap et sexualité Ose (CH[s]OSE) revendique une exception aux dispositions relatives au proxénétisme et à la pénalisation du client pour organiser des services d’accompagnement sexuel. Elle souhaite aussi expérimenter, en lien avec le secrétariat d’Etat, l’autorisation d’organiser la mise en œuvre d’un service d’accompagnement sexuel. « On ne demande pas de changer la loi d’un coup de baguette magique, mais d’avoir une étape qui permette d’enfin regarder les choses de manière apaisée, dans un esprit de recherches. Et pas uniquement avec pour volonté de condamner », plaide Pascal Prayez, docteur en psychologie et cofondateur de l’association.

« Le gouvernement veut faire de nous une exception légale »

Car faut-il légiférer ? Est-il nécessaire d’en passer par la loi pour faire évoluer les choses ? Pour certains, la situation telle qu’elle existe actuellement, même si elle est en marge de la société, est suffisante. Inutile d’édicter une réglementation particulière. « Tous les témoignages de terrain montrent que cela se passe bien. Ce n’est donc pas essentiel de passer par la loi. C’est du domaine de l’intime. Cela ne regarde que la personne en situation de handicap. Pourquoi faut-il que l’Etat s’en mêle ? Aujourd’hui il n’y a eu aucun procès, aucune poursuite pour cette pratique. Il faut simplement reconnaître que la société accepte des conditions particulières, dans des situations particulières », estime Jean-Luc Letellier, président fondateur du Centre de recherche et d’étude sur le droit à la vie sexuelle dans le secteur médico-social (Crédavis).

Le débat est également très vif entre les principaux concernés. Céline, myopathe et militante au sein du collectif handi-féministe Les Dévalideuses, s’oppose farouchement à l’assistance sexuelle telle qu’elle est présentée par le gouvernement. « Ce qui me choque c’est que le gouvernement veut faire de nous une exception légale. Faire un distinguo entre les besoins sexuels des personnes valides et handicapées me semble être une erreur, affirme-t-elle. Cela revient à dire que, pour nous, ce serait la seule possibilité d’avoir accès à une vie sexuelle. Nous ne sommes pas de méchants pervers qui veulent aller aux putes. Nous ne sommes pas des petits handicapés frustrés. » Et d’ajouter : « L’assistance sexuelle est un sparadrap sur une plaie. Cela évite de réfléchir à l’existence d’une telle difficulté. Effectivement, il y a des problèmes, des souffrances. Je ne les nie pas. L’assistance sexuelle peut être une des solutions. Mais pas « la » solution. Il faut vraiment réfléchir plus globalement. »

Sources d’inspiration

L’inspiration pourrait d’abord venir de l’Organisation des Nations unies. Cette problématique est évoquée dans la Convention des Nations unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées. L’article 25 de cette convention précise que « les Etats parties reconnaissent que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination. Ils prennent toutes les mesures pour leur assurer l’accès à des services de santé qui prennent en compte les sexospécifités. »

Elle pourrait aussi venir de l’étranger, et plus particulièrement de Suisse, de Belgique, du Danemark, des Etats-Unis, d’Allemagne ou encore des Pays-Bas. Des pays qui autorisent déjà l’assistance sexuelle. Mais, pour Céline, « la grande différence, c’est que dans ces pays, la prostitution, de façon globale, est abordée différemment. C’est donc un problème plus général. » Elle n’est pas la seule à le penser. Si un consensus se dégage pour affirmer que la sexualité des personnes en situation de handicap est un vrai sujet (dont elles sont d’ailleurs bien souvent exclues), nombre d’acteurs estiment qu’il ne faut pas réfléchir par le seul biais des assistants sexuels. Selon eux, plutôt que d’exciter les foules en ressortant cette thématique, le gouvernement aurait dû aborder ce thème en se plaçant sur le terrain de l’intimité spécifique lié à la sexualité des personnes en situation de handicap.

« Dans ce débat, il ne faut pas oublier que ces personnes sont diverses. Et que les besoins le sont aussi. Certaines personnes en situation de handicap n’ont pas besoin qu’on leur tienne la main pour faire l’amour », nuance Jean-Louis Garcia, président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh). « Dès lors, les assistants sexuels peuvent être une réponse aux besoins des personnes. Mais cela ne peut pas être la seule façon d’entrer dans le sujet. Cela reviendrait in fine à nier leur sexualité. »

« Pays de faux-culs »

Que se passe-t-il dans les établissements ? Comment accompagne-t-on les personnes ? Comment dépasser les tabous des aidants et des soignants ? Comment cela se passe-t-il dans les familles ? Autant de questions pour autant de difficultés. « Je suis effaré d’entendre certains parents expliquer qu’ils masturbent leur fils ou leur fille parce qu’ils ne savent pas comment répondre à cette problématique », déplore le président de l’Apajh. Et de s’emporter : « Nous sommes dans un pays de faux-culs, d’hypocrites. Il y a longtemps que l’on connaît ce sujet. Donc il y a longtemps que l’on aurait dû le traiter. » L’assistance sexuelle apparaît finalement comme une solution par défaut, faute d’une loi sur la prostitution plus souple et de l’acceptation de ces sexualités différentes. Pour Jill Prévôt-Nuss, « il serait préférable que l’on n’existe plus à l’avenir. Il ne faut plus qu’il y ait ce genre de débats. C’est certainement utopique, mais j’aimerais que les personnes en situation de handicap soient tellement incluses dans la société que l’on ne se pose même plus la question de leur sexualité. Cela doit devenir une norme. »

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