C’est une logique gagnant-gagnant dont se félicitent tous les acteurs. Le programme « Hope », « espoir » en anglais et acronyme d’hébergement, orientation, parcours vers l’emploi, est né d’un double constat. D’une part, même si les réfugiés relèvent du droit commun, ils accèdent difficilement à l’emploi et au logement ; d’autre part, les entreprises ont des difficultés à recruter sur les métiers en tension et à faible niveau de qualification. A cela s’ajoute la nécessité de fluidifier le dispositif national d’accueil, notamment les centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) et les centres provisoires d’hébergement dédiés aux réfugiés. Lancé en mai 2017, après une expérimentation dans les Hauts-de-France et en Ile-de-France, le programme « Hope » se veut une réponse à ces problématiques. Sa particularité : proposer un accompagnement global en agissant d’emblée sur tous les freins à l’insertion, à la fois l’accès au logement et à l’emploi mais aussi la maîtrise de la langue, les questions administratives, médicales ou sociales.
Imaginé par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), Hope doit sa réussite à la mobilisation d’une multitude de partenaires, tant publics que privés, autour de l’organisme de formation professionnelle : les services de l’Etat comme l’Office pour l’intégration et l’immigration (Ofii) ou Pôle emploi, huit opérateurs de compétences (Opco), près de 300 entreprises ainsi que les associations gestionnaires de centres d’hébergement. Piloté par la direction générale des étrangers en France, le programme associe également plusieurs ministères (Intérieur, Travail, Cohésion des territoires) ainsi que les délégations interministérielles à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) et à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (DiAir). Il constitue l’une des mesures phares de la stratégie nationale d’intégration des réfugiés définie en juin 2018.
Pour être éligibles au dispositif, les réfugiés doivent remplir des critères de base : avoir signé le contrat d’intégration républicaine (CIR), disposer d’un niveau de français A1 qui correspond au niveau minimal de compétences en langue et être inscrit à Pôle emploi. « Lorsqu’on fait signer le CIR, une évaluation linguistique permet de déterminer le niveau de français de tout primo-arrivant, explique Samia Khelifi, directrice de l’accueil et de l’intégration à l’Ofii. Soit les personnes ont le niveau requis et elles sont éligibles, soit on leur propose quatre types de parcours en langue, de 100 jusqu’à 600 heures depuis que la réforme de mars 2019 a doublé le nombre d’heures proposées. » L’Ofii identifie avec Pôle emploi la majeure partie des réfugiés qui prennent part au dispositif. « On capte tous les réfugiés que les préfectures nous adressent, et on travaille avec les associations d’hébergement pour qu’elles nous donnent les listes des réfugiés sans attendre le passage en préfecture qui peut être long », poursuit Samia Khelifi.
De leur côté, les centres Afpa, les Opco et les entreprises travaillent en étroite collaboration pour définir les besoins. « On démarre la formation lorsqu’on est sûr d’avoir une demande des entreprises », explique Lionel Frein, référent Hope en Bretagne et Pays de la Loire, une région, avec les Hauts-de-France et le Grand Est particulièrement dynamique sur le dispositif. « Ce sont des territoires très en demande, avec une communauté d’acteurs qui a su travailler ensemble et bousculer les cadres établis », souligne Jean-Marie Glowacki, de l’opérateur de compétences Akto, en charge du pilotage de l’ensemble des Opco.
Les formations se concentrent sur les métiers en tension : le BTP, les transports, la logistique industrielle mais pas seulement. « Pour 2020, on aura des formations d’aide de vie aux familles, d’opérateur de production en industrie, d’ouvrier sur les voies ferrées, des projets aussi dans l’industrie du luxe sur les métiers du cuir, sur les métiers du bois où il y a de forts besoins », énumère Jean-Marie Glowacki. A Saint-Nazaire, une formation doit débuter sur les énergies marines renouvelables avec le chantier d’éoliennes offshore porté par General Electric. En Vendée et en Charentes, c’est l’industrie nautique qui s’est saisie du programme « Hope ». Plus inattendus, les milieux culturels, grâce à l’engagement de structures comme la Comédie-Française, l’Opéra de Paris ou encore la Philharmonie de Paris, ont formé des techniciens du spectacle.
Une fois sélectionnés, les réfugiés débutent un parcours qui va durer jusqu’à neuf mois. Ils sont d’abord stagiaires à l’Afpa, dans le cadre de la préparation opérationnelle à l’emploi collective (Poec), financée par Pôle emploi : 400 heures où ils obtiennent une certification en français et découvrent un métier avec 15 jours de stage. Ils sont ensuite sous contrat pro ou en contrat de développement professionnel intérimaire (CDPI) pendant 450 heures et réalisent un nouveau stage de 15 jours en entreprise. Les personnes sont logées et nourries dans les centres de l’Afpa et, dès la signature du CDPI, elles travaillent à la recherche d’un logement pérenne, soit dans le parc public, soit dans le parc privé. « On traite la situation des individus dans leur globalité, et non pas en silo comme c’est souvent le cas dans les dispositifs. C’est tout l’intérêt de Hope », explique Jean-Marie Glowacki d’Akto. Point clé du dispositif : les personnes bénéficient d’un accompagnement social délivré, soit par des conseillers en insertion de l’Afpa, soit par des personnes recrutées par les agences intérimaires et financées par les Opco sur des budgets dédiés. Entreprise de travail temporaire d’insertion, Inserim accueille régulièrement des publics réfugiés. Travailler sur l’accompagnement social des personnes, c’est aussi l’une de ses missions dans le cadre de son conventionnement avec l’Etat. Mais Hope, pour sa directrice, Valérie Ménard-Guilloux, va plus loin. « On travaille en proximité de tous les acteurs, et les personnes bénéficient d’une formation. Ce qui n’est pas le cas habituellement : l’Etat nous demande de faire travailler nos candidats. » Pour une entreprise de travail temporaire classique comme Synergie, en revanche, c’est une nouveauté et un engagement. Fatiha Zouggari intervient auprès de 24 réfugiés sur tous les plans. « On les sensibilise à l’importance des soins, on les aide à ouvrir un compte bancaire, à faire valoir leurs droits à la sécurité sociale ou à la caisse d’allocations familiale, à obtenir un logement sur le contingent préfectoral. On est là pour faciliter leurs démarches et les rendre autonomes », explique la chargée d’insertion.
Hope a parfois permis de relancer certaines formations, qui n’existaient plus faute de candidats ou de financements. A Nantes, l’Afpa a mis en place des cursus de maçon polyvalent et d’étancheur. Au grand bonheur de la société Etanchéité thouaréenne, installée près de Nantes. « Etancheur, c’est un métier physique, où l’on travaille dehors en maniant des flammes et des charges parfois importantes : on ne fait pas rêver grand monde », reconnaît le directeur Raphaël Bernard qui a fait signer trois contrats à durée indéterminée intérimaires. « Hope, je n’y vois que des avantages. L’idée a été accueillie très positivement au sein de mes équipes. On pouvait avoir une appréhension sur la sécurité, un aspect indéniable de nos métiers, avec des personnes qui maîtrisent mal le français. Et ça se passe bien, on remplace les mots parfois par les yeux. Mieux : c’est une expérience humaine pour mes compagnons. » Michaël Augereau, directeur d’agences de l’entreprise de travail temporaire Synergie, partage ce point de vue : « ça m’a redonné goût à mon métier. Voir des gens avec le sourire, qui arrivent à l’heure, disent “merci” et “bonjour”, ce sont des choses que je n’entendais plus beaucoup. » Le directeur offre bien plus que de la main-d’œuvre à ses clients. Investi pour relancer la formation d’étancheur, il fédère, en réunissant ses clients, ses équipes, les réfugiés et les formateurs autour d’événements comme un tournoi de football. Depuis 2018, son agence à Saint-Herblain, près de Nantes, a accueilli 34 personnes. Des gens comme Mortaza Alizada, 20 ans. Originaire d’Afghanistan, il partage son quotidien avec une douzaine d’autres stagiaires, des compatriotes, mais aussi des Soudanais, Somaliens ou Guinéens. Et l’entente semble bonne : « On se retrouve à jouer au foot sur le terrain à côté, à écouter de la musique et à blaguer ensemble », explique Mortaza Alizada, qui a été vendeur de vêtements dans son pays et agent de propreté en France. La formation d’étancheur ? « J’apprends beaucoup de choses, la langue, un métier. J’ai progressé et je suis très content. » Au vu des besoins, il est sûr d’avoir un emploi au terme de la formation.
Deux ans après son lancement, le programme, qui débute au printemps sa quatrième session, affiche de réels résultats. Selon les tout derniers chiffres de l’Afpa, 2 154 stagiaires ont été accueillis de 2017 à 2019 lors de 180 sessions de formation. Parmi eux, à l’issue du parcours, plus de 72 % sont en emploi ou en formation. Et 84 % d’entre eux ont un logement. « Les taux d’abandon sont très faibles, remarque Jean-Marie Glowacki. Ils sont seulement 4 % à avoir abandonné, lorsque pour des demandeurs d’emploi classiques, on est plus à 20 %. » Des résultats flatteurs, même s’ils ne concernent que peu de personnes au regard du nombre de bénéficiaires de la protection internationale. En 2019, selon la direction générale des étrangers en France, 36 500 personnes se sont vu octroyer une protection. Au mieux, 4 % d’entre eux bénéficieront du dispositif.
« Il y a un tri énorme parce qu’il y a des pré-requis, explique Samia Khelifi à l’Ofii. Sur dix personnes que l’on identifie, seulement une à deux intègrent un parcours. Soit parce qu’elles n’ont pas été sélectionnées par l’Afpa et Pôle emploi, soit parce qu’elles ont changé de région, obtenu un job dans l’intérim et qu’elles avaient besoin d’un salaire tout de suite. » Cette sélection est non seulement assumée par les formateurs mais aussi souhaitée : « Il y a un attrait pour le programme, c’est certain. Et de fait, oui, il y a de la sélection avec peu de postes disponibles. Mais nous avons la volonté d’éviter de mettre les personnes en situation d’échec », justifie Jean-Marie Glowacki. La formation, aussi, a un coût : 20 000 € par parcours, estime en moyenne Françoise Cotte, sa collègue chargée de mission des partenariats « emploi » en Pays de la Loire. Cette année, Hope prévoit d’engager 1 500 nouveaux parcours. Avec cette même force qui caractérise le dispositif depuis le début : celle du partenariat.