Vieillir dans un département rural peut s’avérer laborieux. Voilà plusieurs années, l’ancien maire de Liffré (Ille-et-Vilaine) constate qu’un nombre croissant de seniors vivent isolés en campagne. Et que très peu de projets liés à cette problématique voient le jour. Les remontées de terrain font ressortir une réelle volonté de se rapprocher de la ville. L’idée d’un habitat intergénérationnel fait alors son chemin, et un questionnaire sur le projet reçoit de nombreuses réponses. Guillaume Bégué, actuel maire de la commune, a beaucoup entendu parler des débuts du projet Kanata : « Il n’est jamais simple de constituer un bâtiment adapté. Pour le promoteur privé de l’époque, la demande sortait de l’ordinaire. Ceux qui passent devant le bâtiment sans le connaître ne peuvent pas deviner qu’il y a des logements adaptés. »
La construction sort finalement de terre, forte au total de 37 logements (dont plusieurs privés) en plein cœur de ville. Dans le détail, elle comprend 11 appartements adaptés (8 T2, 2 T3 et 1 T1) gérés par le centre communal d’action sociale (CCAS).
Aujourd’hui, le Kanata comprend 14 locataires répartis sur ces logements. Tout y a été pensé pour un environnement serein. Adaptations pour une circulation fluide, cuisine aménageable pour les personnes en fauteuil roulant, couleurs des parties communes adaptées aux problèmes de vision de certains résidents, handivasques et toilettes suspendus, d’où l’on peut enlever si besoin la cloison pour rajouter une barre d’appui, lumière douce, chambres et salles de bains aux larges dimensions… Des logements autonomes modulables, avec un service de portage de repas à domicile. Mais le Kanata a d’autres atouts en poche. « Il s’agit d’apporter un service permettant le maintien à domicile, mais également de proposer une mixité fonctionnelle », explique Guillaume Bégué. Le bâtiment comprend aussi une crèche intercommunale, des commerces et une salle communale avec cuisine à disposition des résidents et des associations de la commune.
En inuit, kanata signifie « village ». Un petit village dans la ville, donc, accessible selon des critères assez larges (conditions de ressources, inadaptation au logement actuel, rapprochement familial, obligation d’avoir plus de 60 ans) et qui a reçu beaucoup de demandes. L’âge moyen d’entrée y est de 77 ans et les résidents sont âgés en moyenne de 83 ans. « Le Kanata s’inscrit dans un projet de renouvellement urbain depuis 2011. Il y a une vraie politique d’animation et d’accompagnement de nos seniors sur le territoire, avec une volonté d’intégration dans la commune, assure le maire. L’idée est qu’il y ait tout le temps un peu de vie. »
Toutes les associations ont donc accès à cette salle communale, et la volonté de la crèche de rencontrer les personnes âgées est visible. Les résidents du Kanata peuvent également se servir de la salle pour y faire une fête de famille ou toute autre activité. Il existe même un « club du Kanata », géré par des bénévoles, qui propose des belotes-goûters les mercredis. Et le concept fonctionne. L’habitat intergénérationnel « répond toujours à une demande aujourd’hui, observe l’élu. Les gens s’y plaisent et y restent ». Certains sont là depuis l’ouverture. Les seuls « départs » sont liés à un décès ou à la nécessité d’aller en Ehpad, situé non loin du Kanata. Le CCAS, lui, porte la gestion du Kanata et récupère les loyers. « Mais pas seulement, complète Laurence Le Nel, directrice du CCAS. S’il y a le moindre souci dans le logement, les résidents savent qu’ils n’ont qu’à nous appeler. Ça les rassure et les sécurise. Ils n’ont pas à se soucier des petits problèmes du logement. »
La demande de résidences adaptées demeure constante, et la communauté de communes montre sa volonté d’y répondre positivement. « Nous sommes sollicités pour de nouveaux projets, remarque Guillaume Bégué. Il faut que ces projets mûrissent et, surtout, qu’ils se pérennisent. »
Le dernier en date, situé à quelques mètres du Kanata, émane de l’Ehpad Maison Saint-Michel. Début janvier a ouvert la résidence du Grand-Chêne, avec 30 logements autonomes (24 T2 et 6 T3). Une résidence déjà occupée à 80 %. Ce projet est né fin 2014, après que plusieurs constats ont été faits au sein de la maison de retraite. « Nous observions des entrées peu ou mal préparées, se souvient Julien Bachy, directeur de l’Ehpad. Comme celles de personnes avec une bonne autonomie qui avaient du mal à s’intégrer dans le quotidien d’un Ehpad et étaient un peu perdues dans un grand collectif. Mais aussi des aidants et des conjoints qui faisaient des visites régulières tout en ayant du mal à se déplacer, et qui mettaient donc leur vie sociale entre parenthèses. »
Une étude a alors été faite sur le pays de Liffré. La recherche de lien social et de sécurité est arrivée en tête des résultats. L’allongement de la durée de vie en couple a incité l’Ehpad à réfléchir à ces nouveaux besoins et à envisager des solutions intermédiaires qui faisaient défaut. « Nous avons travaillé sur les parcours résidentiels, afin de pouvoir atténuer la rupture de vie. » Pour adoucir cette rupture, l’Ehpad a réalisé une acquisition foncière en plein centre-bourg, « afin de proposer une alternative à l’institutionnalisation ». Situés à côté de l’Ehpad, ces appartements autonomes locatifs peuvent proposer du portage de repas ou un service de blanchisserie. Les locataires peuvent même, s’ils le souhaitent, manger au sein de l’Ehpad. Tout cela reste facultatif, et chacun fait comme il l’entend. La particularité du Grand-Chêne est de bénéficier, à temps plein, d’une coordinatrice de projet de vie sociale, avec un profil plutôt issu de l’animation, « pour faire vivre la maison ». Celle-ci développe la convivialité et favorise l’intégration sociale dans la commune des nouveaux arrivants. Elle crée du lien avec les commerçants, les associations et les acteurs locaux de la gérontologie. Courses en commun pour un pot-au-feu géant, gymnastique, sorties culturelles, loisirs… Tout comme le Kanata, la résidence du Grand-Chêne dispose d’une grande salle de convivialité dotée d’une cuisine équipée. « La coordinatrice n’est pas là pour faire des accompagnements individualisés, mais impulser une dynamique collective. On en voit déjà les effets au bout d’un mois », constate Julien Bachy. Au sein de Liffré, l’Ehpad Maison Saint-Michel n’est donc plus la seule alternative à la perte d’autonomie. Le Kanata et la résidence du Grand Chêne ont complété une offre pour les seniors jusqu’alors limitée à la seule maison de retraite. De quoi repenser les ruralités de demain, pour mieux s’adapter au vieillissement.
Un lieu d’innovation et d’expérimentation.
En décembre dernier, l’Ehpad Maison Saint-Michel a fait l’acquisition, grâce à son ergothérapeute, d’une tablette géante : l’Activ’Tab. Il est la première structure en France à tenter. L’Activ’Tab peut être utilisée par tous, quel que soit le degré d’autonomie. Monté sur une table roulante utilisable à la verticale ou à l’horizontale, cet outil possède une inclinaison variable permettant une meilleure adaptation et, surtout, propose un support d’animation aux menus ludiques et interactifs qui suscitent l’intérêt des résidents… et de leurs familles ! Musiques, jeux, peintures, applications faisant appel aux souvenirs et suscitant des conversations drôles ou nostalgiques… L’Activ’Tab permet de passer un moment convivial avec les salariés ou en famille. « Elle est abordable et intuitive », selon Julien Bachy, le directeur de l’Ehpad. Cette tablette stimule de manière agréable le cerveau et la motricité. La technologie au service des seniors !