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Quand la parole des seniors n’est pas entendue

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La participation des personnes âgées dans l’élaboration des politiques publiques qui les concernent est censée être acquise. C’est en tout cas ce que disent les textes de loi. Mais, sur le terrain, de nombreux obstacles demeurent. A tel point que, dans les faits, les seniors ne sont que rarement considérés.

Inclusion, inclusivité, inclusion sociale, transition inclusive, société inclusive. Mais aussi ville inclusive, école inclusive, écriture inclusive… Difficile d’échapper au phénomène : l’inclusion est déclinée à toutes les sauces. En réalité, cela ne date pas d’aujourd’hui. En 2002, déjà, l’Organisation des Nations unies (ONU) lançait le slogan « Une société pour tous les âges ». Près de vingt ans plus tard, la recherche d’une société plus inclusive continue d’alimenter les débats, de nourrir les politiques publiques et d’interroger les chercheurs. Cette quête d’une société inclusive dépasse la seule question des aînés et rejoint le rapport des sociétés contemporaines à la diversité.

C’est en tout cas ce qu’ont voulu démontrer les participants au 6e colloque international du Réiactis (Réseau d’études international sur l’âge, la citoyenneté et l’intégration socio-économique). Organisée à Metz du 4 au 6 février, cette conférence avait pour thématique « Société inclusive et avancée en âge ». Avec l’objectif d’ouvrir un débat large et pluridisciplinaire sur la manière d’appréhender un environnement inclusif pour les personnes âgées. Mais cette logique questionne aussi l’élaboration des politiques publiques. Concrètement, la première des inclusions serait que la parole des personnes âgées soit prise en compte dans l’élaboration des politiques qui les concernent. Est-ce le cas ? La réponse est dans la question.

Dans les textes, la loi du 2 janvier 2002 (code de l’action sociale et des familles, art. L311-3) reconnaît à l’usager « citoyen » des droits, dont celui de « la participation directe ou avec l’aide de son représentant légal à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui le concerne ». On le voit, la formulation apportée par le texte de loi indique bien qu’il s’agit d’une participation directe qui implique la présence physique de l’usager ou, au moins, l’expression explicite de sa volonté. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), entrée en vigueur le 1er janvier 2016, est venue renforcer ces droits. Les personnes âgées résidant dans des établissements médico-sociaux ou faisant appel à un service médico-social ont en effet désormais la possibilité de désigner une personne de confiance dans le cas où elles rencontreraient des difficultés dans la compréhension de leurs droits. Pourtant, « si cela peut paraître comme une évidence que les personnes concernées soient entendues, soient prises en compte, on sait bien que, dans l’histoire même du secteur social et médico-social, cela n’a jamais été le cas », déplore Dominique Argoud, sociologue, doyen de la faculté des sciences de l’éducation, sciences sociales et Staps à l’université Paris-Est Créteil.

L’un des obstacles majeurs à la participation des personnes âgées dans leur accompagnement est la nature même de leur statut. « Dans le secteur social et médico-social, les publics sont pris en charge parce qu’ils sont en situation de vulnérabilité. Cela renforce donc le fait que leur parole est moins entendue, moins valorisée », assure le sociologue, également président du conseil scientifique de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Pour démontrer ses propos, il prend un exemple concret : « Les personnes âgées en Ehpad sont moins prises en compte que celles des associations de retraités. Leurs paroles ont beaucoup moins de poids. » Pourtant, la prise en compte de l’avis des usagers devrait être indispensable afin de s’assurer qu’ils adhèrent bien aux dispositifs d’accompagnement mis en place. Une prise en compte de leur parole nécessaire également pour apporter des réponses plus ajustées à leurs besoins.

« La personne âgée n’est pas prise en considération dans la décision »

Présentes au colloque Réiactis, Annie Dussuet et Clémence Ledoux, maîtresses de conférences à l’université de Nantes, ont exposé les premiers résultats d’une enquête effectuée entre 2017 et 2018 auprès des agents en charge de l’attribution de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) à domicile. Plus précisément, leur problématique était de savoir si les personnes âgées ont une place décisionnaire dans le processus d’attribution de cette allocation. « Etant donné que celle-ci a été élaborée, construite, conçue pour favoriser le libre choix par les personnes âgées de la manière d’être accompagnées dans leur domicile, nous nous sommes interrogées sur la place qu’elles occupent dans la définition de cette aide », renseigne Annie Dussuet, sociologue, spécialiste des questions d’emploi dans les services à la personne. Première constatation : les personnes âgées sont rarement à l’origine de la demande d’APA. Le plus souvent, il s’agit de la famille. Mais la requête peut aussi être faite par des services sociaux, en particulier les centres locaux d’information et de coordination ou les centres communaux d’action sociale. « En quelque sorte, le monde médical se substitue aux personnes âgées pour faire la demande d’APA. On constate donc que la personne âgée possède une place résiduelle dans ce processus », critique-t-elle.

Autre constat : dans l’élaboration même du plan d’APA, dans la définition des besoins des personnes âgées et de ce qu’il est possible de financer, les agents départementaux occupent une position tutélaire. « Par exemple, un agent peut estimer que la personne n’a besoin que de deux heures de ménage, et non de trois. Ou encore, si une personne âgée demande qu’un aide à domicile s’occupe de faire son petit déjeuner tous les matins alors qu’elle est jugée en capacité de le faire, elle peut se voir refuser cette aide », souligne Annie Dussuet. In fine, « la personne âgée n’est pas prise en considération dans la décision ». Entre ce que dit la loi et la réalité du terrain, un écart existe, souvent dénoncé par les professionnels eux-mêmes. Les obstacles déjà mis en avant ne sont pas les seuls. Ainsi, des questions demeurent : comment faire avec les personnes qui ne parlent plus ou dont les propos sont incohérents ? Pourquoi et comment susciter la parole chez des personnes qui n’ont pas été habituées à s’exprimer librement ? Quid des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ?

La future loi « grand âge et autonomie » permettra – peut-être – de répondre à ces interrogations et de faire en sorte que la parole de la personne âgée soit réellement prise en compte. Même si, selon Dominique Argoud, ce n’est pas une loi supplémentaire qui fera évoluer les mœurs. « Le législateur a ses limites. Il ne faut pas lui en demander plus que ce qu’il peut faire, estime-t-il. Pour moi, on entre dans une phase où l’évolution des pratiques dépendra plutôt de la prise de conscience par les acteurs eux-mêmes de ce qui doit évoluer. C’est là où nous, sociologues, universitaires, avons un rôle à jouer. » Et de conclure, lapidaire : « Ce n’est pas le législateur qui, d’un coup de baguette magique, résoudra ces problématiques. »

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