Yolande, c’est ma tante, ma tatie, ma tantine, ma tata. C’est Yolande la gourmande, Yoyette en guoguette et Yoyo des loupiots. C’est ma Tata Yoyo, elle n’a pas de grand chapeau, mais dans sa tête y a des tas d’oiseaux.
Yolande, elle est un peu malade, un peu fatiguée, un peu vieille… et un peu seule. Tonton Fernand, ça fait des années qu’il est parti et qu’il n’est pas revenu. Ses enfants, ça fait des années qu’ils sont grands, et mariés, et occupés. Ses amis, ça fait des années qu’ils sont vieux, ou morts. Alors pour ma petite tatie, toute seule dans sa petite maison, avec sa petite retraite, c’est compliqué.
Faire les courses, c’est compliqué, parce que c’est loin, parce que c’est Fernand qui conduisait la voiture, parce que les sacs sont trop lourds à porter… Alors on n’a qu’à demander à sa belle-fille, en passant pourrait-elle lui ramener deux ou trois broutilles ?
Faire le ménage, c’est compliqué, parce qu’elle ne voit pas la poussière, parce que l’aspirateur est trop lourd, parce qu’elle est fatiguée… Alors on n’a qu’à demander à sa belle-fille, parce qu’elle est tellement gentille.
Faire la cuisine, c’est compliqué, parce qu’elle n’a jamais vraiment faim, parce qu’elle n’a plus envie de rien, parce qu’elle est toute seule… Alors on n’a qu’à demander à sa belle-fille, elle lui fera un plat de saucisses aux lentilles.
Sa belle-fille, c’est Florette, la femme de mon cousin Flobert, la pièce rapportée de la famille. C’est Florette la pipelette, Floflo sans boulot, la fifille bien gentille.
Alors Florette fait les courses, le ménage et la cuisine. Des vétilles. Et plus Florette en fait, plus Yolande en demande, parce qu’elle est un peu malade, un peu fatiguée, un peu vieille… et un peu seule. Mais Florette, elle commence à fatiguer un peu, parce qu’en plus de belle-maman elle doit aussi s’occuper de sa maison, de son mari et de ses enfants.
« C’est normal, lui dit Flobert. Moi je travaille, je ramène l’argent à la maison, alors que toi… Et puis bon, les courses, le ménage, la cuisine, c’est un truc de femme, tout le monde sait ça ! » « C’est normal, lui dit sa belle-famille. Ton mari n’a pas le temps, alors que toi… Et puis quand même, tu peux bien faire un effort pour ta belle-mère, non ? »
« C’est pas normal, lui dis-je. Yolande n’est pas ta mère, tu ne lui dois rien, aider les gens, c’est un vrai boulot ! »
Et c’est vrai que c’est du boulot. Un boulot qui prend du temps et de l’énergie. Elle le sait bien, Florette, ça fait des mois qu’elle nous le dit. Mais franchement, quelle autre solution ? Il y aurait bien l’Ehpad… Mais c’est cher, trop cher pour Yolande, trop cher pour ses enfants, il faudrait vendre la maison, et ça, c’est hors de question. Il y aurait bien le service d’aide à domicile… Mais on ne sait pas sur qui on va tomber, et puis c’est un peu délicat, Yolande n’a pas toujours un caractère facile.
Alors Florette continue comme avant : elle fait les courses, le ménage et la cuisine. Flobert continue comme avant : il travaille, il n’a pas le temps, et puis mieux vaut laisser les bonnes femmes entre elles. Et Yolande ? Yolande, rien. On ne lui a rien demandé, de toute façon. Alors pendant que Florette est là et que Flobert n’est pas là, Yolande s’échappe, loin loin loin, elle rêve de voyages et de samba, de robe à fleurs et de parasol, et dans sa tête ça fait ding ding digue ding…