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Les CMP au bord de la crise de nerfs

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« Le CMP, mission un possible… », tel était l’intitulé des Carrefours de la psychiatrie, organisés à Paris le 7 février. En toile de fond des débats, le manque de moyens du dispositif confronté à une explosion des demandes et à des délais d’attente de plus en plus longs pour obtenir un rendez-vous.

Depuis leur création dans les années 1970, les CMP (Centres Médico-Psychologiques) ont été pensés comme le « pivot du secteur infanto-juvénile ». Mais vont-ils pouvoir continuer à assurer cette mission de service public ? C’est la question posée le 7 février à Paris, dans le cadre du rendez-vous annuel des Carrefours de la pédopsychiatrie.

L’enjeu est de taille. Lieux de prévention, de diagnostic et de soins précoces en santé mentale, les 1 500 CMP existants en France accueillent gratuitement chaque année quelque 400 000 enfants et adolescents. « Nous n’en pouvons plus. En Haute-Garonne, 1 600 enfants sont en attente d’un rendez-vous, et nous ne sommes pas la région la plus mal dotée », alerte le professeur Jean Philippe Raynaud, chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Supea), à Toulouse.

Et le spécialiste de préciser qu’il s’écoule onze mois entre le premier contact avec un CMP et le premier soin, le double du temps officiellement recommandé : « C’est une perte de chance pour les enfants. Un jour, des parents vont porter plainte contre nous car nous n’aurons pas dépisté précocement les troubles de leur enfant. »

Plus d’un an d’attente

Ce cas n’est pas isolé. Selon un rapport de l’Igas publié en 2018, les délais d’attente dépassent fréquemment un an. A Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), ils peuvent même atteindre deux ans. Pour cause, depuis une dizaine d’années, les demandes ont augmenté de 13 % au plan national et le nombre de jeunes pris en charge de 17 %. Une hausse qui s’explique par une amélioration du dispositif (par exemple, mise en place d’outils spécifiques concernant l’autisme, professionnels formés à des techniques de soins post-traumatiques comme l’EMDR…), par un meilleur repérage des enfants en difficultés psychiques, par l’accessibilité du dispositif, mais aussi par le démantèlement des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).

« La clinique quotidienne nous rappelle la prépondérance des facteurs socio-économiques de l’environnement. La précarité, ça parle quand on travaille en CMP. Or l’offre sanitaire et sociale est inégalement répartie sur le territoire et nous sommes confrontés à de plus en plus de situations complexes et de familles en souffrance. Des parents viennent nous voir en première intention. Trouver un généraliste dans l’agglomération de Dunkerque n’est pas facile et nous n’avons que trois ou quatre psychiatres pour 200 000 habitants », souligne le pédopsychiatre Eric Salomé, praticien hospitalier responsable de deux CMP dans les Hauts-de-France.

Les CMP ne discriminent pas et reçoivent le « tout-venant » : la fillette de 5 ans dont le père est en prison ; le garçon de 12 ans en situation de handicap ; l’adolescente dont la meilleure copine s’est suicidée ; le jeune réfugié tchétchène ; l’adolescent ayant des troubles du comportement ; l’enfant angoissé par le divorce de ses parents…

Si la liste des patients en attente ne cesse de croître, les moyens alloués à ces structures, eux, ne gonflent pas. La tendance est même à la baisse. Résultat : les CMP ont la sensation d’être laissés-pour-compte, et la tension monte entre la volonté d’accueillir rapidement les jeunes patients et celle de faire un soin de qualité, lequel prend du temps. « En psychiatrie, la complexité est la règle, le trouble isolé l’exception », prévient Christophe Libert, président de l’Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API). Jean-Philippe Raynaud n’hésite pas à parler de soins « dégradés » : « Un bon soin nécessiterait deux prises en charge par semaine, une séance de psychothérapie et un atelier adapté au trouble. C’est impossible. Nous avons un besoin criant de moyens humains, neuf postes de pédo-psychiatres à temps plein ne sont pas pourvus dans mon secteur. »

D’autres professionnels manquent aussi cruellement. « Chez moi, il n’y a pas loin d’un an d’attente pour avoir un rendez-vous avec un psychomotricien, et trois à six mois pour un orthophoniste », affirme Eric Salomé. Dans ces conditions, difficile d’assurer la continuité de la prise en charge comme le préconise le programme 2018-2023 « Psychiatrie et santé mentale » de la Haute Autorité de santé.

« Nous encaissons depuis des années »

Une enquête, réalisée en janvier 2020, par l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) révèle que 48 % des enfants sont sans suivi pendant trois mois, un délai qui passe à six mois quand un adolescent quitte à 18 ans le CMP pour rejoindre la psychiatrie adulte. Après un diagnostic, l’orientation vers des soins ciblés peut prendre jusqu’à neuf mois, davantage pour 10 % des jeunes patients. A l’avenir, le tableau risque encore de se noircir : la moyenne d’âge des pédopsychiatres étant de 62 ans, beaucoup vont partir en retraite.

Pourtant, les CMP n’ont cessé de s’adapter pour pallier les difficultés. Nombre d’entre eux ont mis en place des stratégies telle que la répartition des tâches entre les médecins et les équipes. « Des infirmiers et des psychologues ont été formés pour pouvoir assurer la consultation d’accueil à ma place, précise Eric Salomé. Cela nous a permis de réduire les délais d’attente. » De même, quand les familles appellent pour leur enfant, des procédures d’évaluation de la problématique ont été établies : « Dans la conversation, la secrétaire recherche des mots cibles pour détecter une situation urgente pouvant évoquer un risque de passage à l’acte ou un trauma très récent », explique le médecin. Malgré tout, le ras-le-bol n’est pas loin : « Nous encaissons depuis des années l’humiliation infligée par les politiques publiques. Nous avons fait tout ce que l’on nous demandait, nous avons renoncé à la prévention, à la recherche, nous avons étendu nos horaires, délégué… Mais, le soir, nous culpabilisons en rentrant chez nous, c’est inacceptable », assène Jean-Philippe Raynaud. Au manque de reconnaissance des soignants s’ajoute la crainte de ne plus pouvoir accueillir tout le monde.

En effet, la mixité sociale baisse dans certains CMP : pour être reçus rapidement par un professionnel, les parents les mieux nantis se dirigent vers les professionnels en libéral. « Ceux qui viennent n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. Mais les CMP ne doivent pas faire que du social », défend le docteur Jean Chambry, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associés (SFPEADA). Ce dernier appelle, par ailleurs, à la vigilance afin que ces centres ne soient pas « dépassés ». L’inquiétude est fondée : d’autres dispositifs sont en train de voir le jour, comme les plateformes d’orientation et de coordination concernant les troubles neurodéveloppementaux pour les enfants de moins de 7 ans, lancées en 2018 dans le cadre de la stratégie « autisme ».

Des pistes sont à l’étude au ministère de la Santé pour faire des CMP un outil plus performant. Bien que ce soit déjà souvent le cas sur le terrain, ces derniers pourraient ainsi voir leur mission se scinder en deux : une consacrée à l’accueil et à l’évaluation rapide des premières demandes de consultation ; une autre dédiée spécifiquement au soin. « Il va falloir obligatoirement se pencher sur le repérage, l’adressage et le diagnostic, assure Eric Salomé. Un gosse a-t-il besoin d’être pris en charge au CMP parce que ses parents sont en train de se séparer ? En même temps, c’est compliqué car la rupture conjugale révèle peut-être chez lui une faille qu’il faut considérer. » On le sait, la psychiatrie est le parent pauvre du système de santé en France. Le traitement des CMP n’en serait-il qu’un des révélateurs ? Car contrairement à d’autres pays européens, en France, la pédo­psychiatrie n’est pas considérée comme une spécialité. Pour Eric Salomé, « il est temps d’élaborer un plan de santé mentale où on écoute les pédo­psychiatres mais aussi une partie des familles que l’on rencontre et qui n’ont pas forcément les moyens de s’organiser en associations et de se faire entendre ».

Évolution du profil des patients

Entre 2010 et 2016, les patients suivis dans les CMP-IJ (infanto-juvéniles) sont plus souvent atteints de troubles psychoaffectifs, autistiques, d’hyperactivité, note le rapport de l’Igas publié en 2018. Une symptomatologie émotionnelle et du comportement apparaissant dans l’enfance, des troubles anxieux et dépressifs sont également à la hausse. A contrario, il y a moins de troubles de la personnalité, de retards mentaux moyens et graves et de troubles schizotypiques (paranoïa, anxiété sociale…). Des données à manier avec précaution, qui peuvent être aussi bien le fait d’un élargissement de la définition de certaines pathologies que d’une augmentation de la vulnérabilité dépressive adolescente, d’une psychologisation et médicalisation de problématiques sociales, voire d’une moindre tolérance des parents face à des enfants qui ne seraient pas dans la norme.

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