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Des droits plus formels que réels ?

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La dernière grande avancée législative a été structurante. Elle a redéfini le handicap et placé la personne au centre des dispositifs. Pour autant, les révolutions ont été plus de papier que de terrain. Il reste beaucoup à imaginer pour l’établissement d’une société réellement inclusive.

« Le grand dessein de la loi du 11 février 2005 tenait à l’égalité des chances et dans la notion de projet de vie », selon Marie-Anne Montchamp, alors secrétaire d’Etat chargée de l’élaboration du texte, aujourd’hui présidente du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. « Son titre était long [loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ndlr] mais il fixait des objectifs clairs », renchérit Cécile Meignien, présidente de Sésame Autisme.

Clairs et attendus. La loi « handicap » précédente, de 1975, avait 30 ans. C’est dire combien le texte a, en son temps, suscité espoirs, des négociations parfois âpres et des débats de fond. Pouvoirs publics autant qu’associations reconnaissent aujourd’hui dans ce texte une loi structurante. Mais 15 ans plus tard, son bilan demeure contrasté et nombreux sont ceux qui en appellent à franchir une étape supplémentaire pour que des droits affirmés deviennent effectifs.

Compensation et accessibilité : les deux piliers de la loi

Le premier objectif consistait à mettre la personne handicapée au centre du dispositif. Ce qui a conduit à la redéfinition même de la notion de handicap, pour y intégrer une dimension environnementale. Plus que d’une incapacité, le handicap résultait alors des obstacles dressés sur la route des individus devenant, du même coup, des personnes en situation de handicap. Le texte a en outre – enfin – reconnu l’existence trop longtemps ignorée des handicaps psychiques, aux côtés des déjà admis handicaps sensoriels, moteurs et mentaux.

De ce positionnement nouveau des individus découlaient ce qui pour beaucoup étaient les deux piliers de la loi : la compensation du handicap et l’accessibilité. « Les deux étaient inséparables, l’un donnant des droits individuels, l’autre conduisant la société à bouger », explique Marie-Sophie Desaulle, alors présidente de l’Association des paralysés de France (aujourd’hui APF France handicap), farouche négociatrice du texte. Aujourd’hui présidente de Vivre et devenir et de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap), elle se souvient : « A l’époque, à l’APF, nous pensions que tout le monde serait d’accord sur le principe de l’accès à tout pour tous, et qu’il serait difficile de faire passer l’idée d’un droit à compensation universelle. Or, c’est l’inverse qui s’est produit. Finalement, le droit à compensation était déjà admis, dans une logique de l’aide tandis que les administrations, les politiques, les lobbies privés n’étaient pas prêts à rendre tout accessible. »

Le principe de compensation intégrale des conséquences du handicap visait à offrir les aides humaines, techniques (fauteuils roulants, équipements informatiques adaptés…), animalières ou d’équipement des logements ou véhicules nécessaires. Ce droit à compensation devait être individualisé, basé sur une évaluation pluridisciplinaire des besoins des personnes. C’était le rôle des commissions départementales de l’autonomie des personnes handicapées, et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) furent créées simultanément, pour devenir un guichet unique des demandes liées au handicap. « Globalement, les engagements pris ont été tenus, avec des augmentations régulières des sommes versées par les départements aux personnes dans ce cadre », estime Marie-Sophie Desaulle. Pour autant, elle fait observer que la compensation n’est ni universelle ni intégrale, et que les restes à charge demeurent importants, davantage qu’en matière d’assurance maladie, pointe-t-elle. Ce que confirme Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d’APF France handicap, qui déplore que nombre de personnes concernées fassent actuellement part de diminutions de leurs plans d’aide.

Promesse non tenue

L’accessibilité a, elle, d’entrée de jeu, été malmenée. C’est sans doute « la » promesse non tenue de la loi. Tous les établissements recevant du public devaient être accessibles en… 2015. On en est loin, en raison de la multiplication de dérogations. « On a perdu les combats sur les logements et les transports », regrette Marie-Sophie Desaulle. « C’est lamentable de voir où nous en sommes en 2020. Il n’y a pas une politique publique qui se pose la question de savoir si les personnes handicapées pourront accéder aux droits qu’elle crée », tempête Cécile Meignien.

Une exception confirme sans doute la règle de cette accessibilité mal prise en compte : la loi du 11 février 2005 a rendu obligatoire l’inscription de tous les enfants dans l’école de leur quartier. « On passait pour des idiots en instaurant cette mesure », sourit Marie-Anne Montchamp. Aujourd’hui, l’accord est assez unanime pour voir là l’un des plus importants progrès portés par cette législation.

« La plus grosse révolution », selon le nouveau président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), Jérémie Boroy, un « virage culturel opéré » d’après Marie-Sophie Desaulle. Mais là encore, d’aucuns craignent des reculs sur ce droit acquis, notamment du fait de la mutualisation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Le risque ? Que le temps de présence effectif de l’élève dans l’école de son quartier s’en voie réduit, à la portion congrue pour les plus lourdement handicapés : « Ce partage est dramatique pour les enfants autistes », prévient Cécile Meignien. De son côté, Luc Gateau, président de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei) recommande une plus étroite collaboration entre l’Education nationale et les établissements médico-sociaux pour permettre une scolarisation de qualité.

Or, selon lui, la loi de février 2005 promeut « une société inclusive au rabais » puisqu’elle laisse de nombreuses personnes, enfants puis adultes, sans solution d’accompagnement, selon lui en raison d’un nombre insuffisant de places dans les établissements et services médico-sociaux. De son côté, Cécile Meignien regrette que ce texte ait « freiné les innovations » dans ce secteur du médico-social. « On a voulu promouvoir une société inclusive mais en retirant les possibilités d’inventer de nouvelles formes d’accompagnement nécessaires », poursuit-elle. Ce que complète Marie-Sophie Desaulle, affirmant qu’il convient maintenant de trouver des solutions, notamment dans le fléchage des financements, pour permettre aux professionnels d’accompagner non seulement les personnes, mais aussi leur environnement. Et de citer une sensibilisation des commerçants d’un quartier à l’accueil de personnes qui s’installeraient dans des logements inclusifs, actuellement tant plébiscités dans les mots, par exemple.

Emploi et ressources

En matière d’emploi également, le législateur a voulu mettre l’accent sur le travail en milieu ordinaire. Avec un succès tout relatif, au vu des plus de 500 000 chômeurs handicapés encore comptabilisés à ce jour. Patrice Tripoteau fait remarquer que malgré les promesses de trois ministres successifs, et 15 ans après la loi, le décret d’application de l’accessibilité des locaux de travail n’est…. toujours pas paru ! De son côté, Vincent Michel, président de la Fédération des aveugles de France, pointe le fait que la suppression du critère de lourdeur du handicap engendre de plus grandes difficultés à trouver un poste lorsqu’un aménagement est nécessaire, un équipement informatique adapté à la déficience visuelle par exemple.

Quant aux personnes qui ne peuvent travailler, la question de leurs ressources a été la grande absente de la loi de février 2005 : « Nous n’avons pas réussi à ouvrir ce chantier, parce que les pouvoirs publics établissaient un lien entre l’allocation aux adultes handicapés [AAH] et les autres minima sociaux, décrypte Marie-Sophie Desaulle. Nous n’avons pas réussi à faire comprendre qu’une personne qui ne pourra jamais travailler a besoin de ressources pour choisir sa vie. » Le revenu universel d’activité, actuellement en chantier, en posant la question de l’AAH en son sein(1), montre, 15 ans plus tard, que le débat n’a pas avancé. De quoi accroître un sentiment de précarisation chez les personnes handicapées, note Patrice Tripoteau qui fait remarquer qu’aujourd’hui l’AAH est « attaquée » et qu’elle reste, de toute façon, en deçà du seuil de pauvreté.

En somme, la loi de février 2005 a certes posé des cadres nouveaux, mais certains droits semblent plus formels que réels, et les inégalités territoriales aggravent cette situation puisque, d’un département à l’autre, les plans de compensation, par exemple, sont appréciés de façons très diverses. Dès lors, les associations avancent l’urgence de l’effectivité des droits, parfois au travers de mesures peu onéreuses, comme la mise en place de contrôles de l’accessibilité des lieux recevant du public, à l’initiative des préfets.

« Il est sympathique de fêter l’anniversaire d’une loi passée. Mais ce qu’il faudrait, c’est la transcender », estime Marie-Anne Montchamp. Elle détaille : « La fabrique du droit commun doit consacrer la place des personnes différentes. Il faudrait que tous les textes de loi fonctionnent pour tous, sans que l’on se demande, après coup, comment un texte adopté peut prendre en compte les besoins des personnes handicapées. Et puis il faut exporter ce modèle au plan européen. Le rendre universel. Il faut voir les choses en grand ! » Comment ? En faisant en sorte que des lois spécifiques, comme celle du 11 février, n’aient plus lieu d’être…

Une CNH en guise de cadeau d’anniversaire

La loi du 11 février 2005 a créé une conférence nationale du handicap (CNH), qui vise à faire un bilan de la politique du handicap. Le rapport qui en est issu peut faire l’objet, ensuite, d’un débat parlementaire. Présidée par Emmanuel Macron, la prochaine aura lieu le 11 février, après avoir été repoussée à maintes reprises depuis le printemps dernier.

Des mesures fortes sont attendues, comme l’ouverture de la prestation de compensation à la parentalité, mais certains représentants associatifs confient, sous couvert d’anonymat, avoir reçu l’écho qu’il fallait s’attendre à bien peu d’annonces…

Notes

(1) Voir ASH n° 3130 du 18-10-19, p. 6.

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