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Le travailleur pair, ce nouveau collègue

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Si les politiques publiques promeuvent la pair-aidance comme un recours à développer dans l’accompagnement des personnes, l’intégration de pair-aidants salariés ou travailleurs pairs au sein des équipes de professionnels du secteur social et médico-social avance à pas lents. Face à cette évolution culturelle, les résistances sont fortes.

En France, la pair-aidance s’est d’abord développée dans le champ de la santé mentale et du handicap. Elle a ensuite gagné le secteur de l’accueil, hébergement et insertion (AHI) et de l’urgence. Ainsi, le plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme – 2018-2022 – fixe, dans sa mesure 35, l’objectif de « développer les pratiques de pair-aidance et la reconnaissance des savoirs d’expériences au sein des structures et des équipes d’accompagnement ». Dans le champ du handicap, l’axe 3 de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous (RAPT) » prévoit également la création d’une dynamique d’accompagnement et de soutien par les pairs. « Il s’agit de valoriser l’expertise des personnes concernées par un handicap, leurs familles ou les associations qui les représentent (elles sont souvent en appui à côté des professionnels, pour faciliter une réponse la plus adaptée possible au projet de l’enfant ou de l’adulte) : former des personnes vivant avec un handicap afin qu’elles puissent être présentes dans les formations des professionnels, dans les établissements et les services médico-sociaux, mettre en place une dynamique de médiation ou de coaching par les pairs (personnes handicapées ou proches aidants), renforcer l’information et la consultation des associations représentatives (au plan local, régional ou national). »

Approche expérimentale

« La pair-aidance est connue et reconnue par les acteurs du social et médico-social. En revanche, en termes de reconnaissance du travailleur pair comme un métier en soi, le mouvement reste encore émergeant. Ainsi, peu de dispositifs médicaux ou sociaux font appel au travail pair. Celui-ci apparaît encore comme une approche innovante et expérimentale de l’accompagnement médico-social », constate Sylvain Pianèse, chargé de mission « promotion et développement du travail pair » en Auvergne-Rhône-Alpes. « Sur la région, d’après notre observatoire, il y avait 2 travailleurs pairs en 2012 et 48 aujourd’hui et une dizaine d’embauches prévues cette année. La reconnaissance s’opère au long cours, l’acculturation est progressive. Dans toutes les structures, elle passe par les équipes et les professionnels, les cadres et les publics », poursuit-il.

La dernière définition du travail social, co-construite avec les acteurs du travail social et parue le 6 mai 2017 dans le code de l’action sociale et des familles, insiste sur la nécessaire complémentarité des savoirs académiques, techniques et issus du vécu pour augmenter l’efficience de l’intervention sociale. « L’articulation des savoirs techniques, académiques, et expérientiels apporte une valeur ajoutée à l’intervention sociale dès lors que ces savoirs se reconnaissent mutuellement comme légitimes », assure Eve Gardien, responsable scientifique du programme de recherche EXPAIRs, maître de conférence en sociologie à l’université Rennes 2. L’embauche de travailleurs pairs au sein des équipes sociales et médico-sociales a démontré que « vivre la situation fonde la possibilité de diagnostiquer des problèmes et inventer des solutions, de développer une expertise spécifique ». Comme le rappelle la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) dans son guide-repère « La pair-aidance dans les établissements et services accompagnant des personnes en situation de handicap », publié en décembre dernier, le pair-aidant ne remplace pas les professionnels de l’accompagnement.

Quels sont les ingrédients de la réussite de l’intégration d’un pair-aidant au sein des équipes ? Préparer les équipes, encadrer le travailleur pair dans des conditions sereines, assurer une coordination constante, penser le fond de l’intervention, la manière dont ils peuvent intervenir en horizontalité avec des travailleurs sociaux ou médico-sociaux. « Si la place du pair n’est pas pensée, il est ajouté comme un greffon au sein des équipes. Il peut y avoir également un effet cosmétique d’embaucher un travailleur pair sans penser réellement sa place, et en limitant son rôle à une délégation du “sale boulot” avec des missions peu intéressantes et une place peu déterminée ce qui conduit à l’échec. L’idéal est d’avoir un consensus, une adhésion de la part des professionnels. Si la démarche est imposée verticalement, venant du conseil d’administration, de la direction, ou des cadres vers les équipes, sans en expliquer le sens a priori, cela génère des résistances sur le terrain », avertit Sylvain Pianèse. Le chargé de mission met également en avant certaines dérives dans les pratiques. « De plus en plus d’appels à projets valorisent l’intégration d’un travail pair, c’est notamment le cas dans le programme “Un chez-soi d’abord”, pour lequel c’est une condition sine qua non. Si l’embauche d’un travailleur pair est prévue, le projet serait plus facilement retenu. Cela peut conduire certains porteurs de projets à recruter un travailleur pair pour renforcer leurs chances mais sans réelle préparation à cette intégration. »

Réticences et résistances

Tous pour la pair-aidance entre les murs des établissements et services ? Pas si sûr. L’émergence dans la sphère du travail social, de ce nouvel atome, voire de cet « électron libre » au regard des plus réticents, ne se fait pas sans résistances de la part de certains professionnels. Cela peut se traduire par le refus d’intégrer un travailleur pair sous prétexte d’employer un « travailleur social au rabais » ou le reléguer dans une position subalterne. « Le fait de déqualifier le travail pair, que ce soit via des statuts précaires et peu payés, peut être perçu légitimement par les travailleurs sociaux comme une concurrence au rabais. Dans les structures où cela se passe bien, les travailleurs pairs perçoivent un salaire a minima de moniteur-éducateur et sont en CDI », analyse Sylvain Pianèse. Et d’ajouter : « Le travail social est traversé tous les cinq ans par des nouvelles réformes où on explique aux professionnels qu’ils font n’importe quoi et qu’il y a une nouvelle façon de faire. Et voilà qu’à présent, on leur parle d’empowerment, de pouvoir d’agir, de pair-aidance. Se voir imposer à chaque fois de nouveaux dispositifs peut générer de l’usure chez certains. » Alain Bonnami, responsable de formations supérieures et de formation à la pair-aidance à l’IRTS de Montrouge-Neuilly-sur-Marne, et auteur de « Le pair-aidant : un nouvel acteur du travail social ? » (éd. ESF, 2019) expliquait dans les ASH(1) : « Les pairs-aidants interrogent les travailleurs sociaux sur leur place à côté d’eux, leur statut, leur rôle dans la relation d’aide. La question de leur légitimité est évoquée : les pairs-aidants ne sont pas des professionnels, dans le sens où ils ne sont pas diplômés d’Etat. Au nom de quoi agiraient-ils ?, se demandent certains. Dans un contexte de forte professionnalisation des travailleurs sociaux, et même si la pair-aidance est une illustration de la volonté de faire participer les personnes aux dispositifs d’accompagnement et aux centres de formation, cela peut créer des tensions. Les jeunes professionnels arrivant sur le marché ont un niveau de qualification beaucoup plus élevé qu’avant, les pairs-aidants n’ont pas le même bagage. »

Cette pratique amène à une refonte des organisations et des pratiques, parfois ancrées depuis des années. « Il y a dans le travail pair, quelque chose de questionnant, de frontal mais qui doit être justement favorisé », juge Bruno Torregossa, ancien coordinateur et cadre socio-éducatif au sein du dispositif ACT « Un chez-soi d’abord » à Paris et qui mène actuellement un master 2 en travail social sur le processus de construction du savoir expérientiel chez les pairs aidants. Lors de son intervention au cours du colloque « De pairs à pairs, aujourd’hui et demain », organisé au ministère des Solidarités et de la Santé, le 27 janvier, il insiste sur la « plus-value » de la pair-aidance « c’est la dimension politique qui est intéressante à prendre en compte. Comment des institutionnels, des professionnels de l’encadrement se saisissent et défendent cette position politique d’accueil. » Et de poursuivre : « L’enjeu d’un collègue pair-aidant va être aussi de requestionner les pratiques, voire parfois de repositionner le questionnement des professionnels quels qu’ils soient, requestionner aussi la position de cadre dans une prise de décision, pour replacer les personnes réellement concernées à une juste place en termes d’accompagnement et de posture de chaque professionnel », défend-il.

Des professionnels démunis

Les établissements et services sociaux et médico-sociaux disposent de peu d’outils pour s’engager dans le virage de cette innovation managériale. « La plateforme travail pair en Auvergne-Rhône-Alpes(2) permet de penser ce qui fait levier, ce qui fait frein dans chaque équipe. Mais aussi d’accompagner les structures, d’être un soutien pour les professionnels et les professionnels de terrain quand ils sont en difficulté. Nous faisons de la supervision, nous sommes en soutien extérieur. Des réunions de pairs permettent de faire émerger une communauté de pratiques et de faire rayonner le travail pair sur la région », explique Sylvain Pianèse. Des initiatives du genre encore trop rares sur le territoire.

« Il y a de la résistance active dans certaines organisations mais il y a beaucoup de méconnaissance mais surtout une difficulté à faire même quand on le souhaite. Dans la réponse accompagnée pour tous, beaucoup de professionnels très engagés ont compris le concept de la pair-aidance, ont envie d’y aller, mais se sentent démunis car ils n’ont pas forcément les outils », reconnaît Marina Drobi, cheffe de projet au Comité interministériel du handicap, en charge de la coordination nationale de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous ». Et de poursuivre : « Le rôle des pouvoirs publics est d’outiller en décloisonnant. Il est important sortir de l’expérimentation en soutenant les initiatives pour faire monter ce mouvement des pairs. » Au programme : un cahier des charges de la formation socle des intervenants pairs dans le champ du handicap, un recensement des formations existantes. Autant de moyens de « poser un cadre structurant et d’impulser une dynamique qui toucherait au-delà du cercle des convaincus. »

Notes

(1) Voir ASH n° 3117 du 28-06-19, p. 30.

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