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“La société inclusive est un mouvement, un horizon”

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Anthropologue et professeur à l’université Lyon 2, Charles Gardou voit dans la notion de « société inclusive » un horizon à cibler. Elle est à ses yeux différente de celle d’« inclusion », qu’il rejette, comme le vestige d’une culture ancienne de la séparation des êtres et des mondes. Une culture qu’il s’agit de remplacer.
Dans quel contexte la notion d’inclusion est-elle apparue ?

Il y a d’abord la loi du 11 février 2005, dont le seul titre ouvre, sans que le mot ne soit prononcé, la voie au mouvement inclusif. Elle est dite « loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». D’autre part, la France a ratifié la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. L’essence même de ce texte international, contraignant, tient à l’objectif inclusif. Enfin, la notion de « société inclusive » s’inscrit dans le mouvement de pensée qui accorde une place essentielle aux facteurs environnementaux. L’idée selon laquelle le handicap résulte aussi du contexte où il s’inscrit porte en elle un défi social que nous devons relever collectivement.

L’inclusion serait donc un levier pour y parvenir ?

Je n’utilise pas le terme d’« inclusion ». Il se réfère à une vision mécanique, dogmatique parfois, et égalitariste souvent. Etymologiquement, il renvoie à l’idée d’enfermement, de clôture… En minéralogie, par exemple, l’inclusion consiste à introduire un matériau de nature différente de celui où il est intégré. Donc pratiquer l’inclusion, ce serait s’intéresser à des éléments différents qui, en métallurgie par exemple, sont même susceptibles d’altérer les propriétés de l’élément où ils sont pris. Bref, l’inclusion s’intéresse à un élément étranger à un milieu donné, exactement comme le mot « intégration » avant lui. Voilà pourquoi, selon moi, il convient d’abandonner cette forme nominale et de préférer l’adjectif, pour parler de « société inclusive ».

On pourrait vous reprocher de jouer sur les mots…

Pourtant, ce changement dessine des voies différentes. L’antonyme d’« inclusif » est « exclusif ». Donc penser une société inclusive, c’est vouloir lutter contre toutes les formes d’exclusivité persistantes, c’est-à-dire ce qui appartient uniquement à quelques-uns et n’est pas partagé. Bref, c’est cheminer vers une société débarrassée de ses privilèges réservés à une partie seulement de ses membres. Il s’agit d’en finir avec le « chacun chez soi, on est chez nous ». Prenez la notion d’« école inclusive ». Elle ne peut être le privilège d’enfants qui ont la chance de ne pas avoir de blessures. Plus largement, la société est un patrimoine commun, dont on hérite à la naissance. Donc il ne saurait s’agir d’y inclure qui que ce soit, tout le monde y est ! Donner un accès équitable à ce patrimoine commun, voilà ce qu’il faut faire ! L’enjeu sociétal consiste à donner une place à chacun dans la maison commune. Une maison commune qu’il faut parfois aménager, pour que personne ne s’y sente exilé.

Tout ceci n’est-il pas quelque peu utopique ?

La société inclusive est un mouvement, un horizon. L’idée de société renvoie déjà à celles d’alliance, d’union, de communauté. Le mot « inclusif » est renforçateur. On a besoin de cet adjectif puisqu’on peine à faire société : il demeure trop d’exclus, et pas seulement en raison d’un handicap, loin s’en faut. Il y a aussi les personnes précaires, les personnes âgées, des minorités… Tous ceux que l’on ignore tellement qu’ils vivent sans avoir le sentiment d’exister. Ces personnes subissent des formes de mort sociale tant elles sont mises à part. Le défi de notre société consiste à ouvrir les yeux sur ces personnes restées sur le bord de la route et, loin de la vision mécaniste qui conduit à les mettre dans un tout où elles demeurent en exil, de leur donner accès aux droits fondamentaux. La lutte contre les discriminations s’avère bien sûr essentielle. Mais elle ne peut, à elle seule, constituer un projet de société. Une société inclusive intègre cette lutte mais la dépasse, en ce qu’elle traite les causes et pas seulement les conséquences. Nous sommes là devant une question éminemment politique, qui concerne la vie de la cité.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics se délectent de cette idée d’inclusion…

La notion est quelquefois galvaudée et déformée. Certaines institutions, fermées, pratiquant l’entre-soi ou porteuses de visions compartimentées du monde social, s’affichent comme étant inclusives. Pour autant, je ne vois pas là un effet de mode. Cette expression comble un manque que l’on ressent tous : nous peinons à vivre ensemble, alors nous parlons de cette diversité, que nous vivons en réalité si mal… Nous désirons tous un autre horizon, un autre temps, composé des visages divers de l’humain. Nous parlons d’autant plus d’une chose que nous en ressentons le manque. Les concepts naissent du sentiment de manque. Cela donne de la force pour avancer vers un horizon, ici la société inclusive. Une société sans horizon est en risque d’asséchement. En matière d’art, de culture, d’accès aux sports et aux loisirs, dans le monde du travail… Nombreux sont ceux qui tentent de faire bouger des lignes. Progressivement, des organisations se flexibilisent, pour devenir des chez-soi pour tous, qui permettront de rassembler des univers artificiellement émiettés. Ce qui suppose un accès à tout pour tous : au bâti, mais surtout aussi aux savoirs, à la culture, au tourisme…

Croyez-vous vraiment qu’une somme de petites initiatives, aussi louables soient-elles, peut changer la donne ?

Toutes ces démarches contribuent à nous mettre en mouvement vers notre horizon. Après tout, la démocratie elle aussi est un horizon. Et elle non plus n’est pas parfaite… Je ne crois pas au grand soir, au Big Bang. Donc les micro-initiatives ont toutes leur importance. Les sociétés se modifient très progressivement. Ces temps longs peuvent revêtir un aspect frustrant, parce que ceux qui ensemencent ne sont pas ceux qui récoltent. Nous devons changer de culture, en finir avec cette habitude de séparer, de faire une césure radicale entre le dedans et le dehors, le normal et l’anormal. Nous devons bâtir une culture de la réunion, de l’alliance, de la circulation, de la coopération entre les mondes. Il faut rassembler des mondes artificiellement séparés, et ce, malgré les résistances. En premier lieu, il faut prendre appui sur l’éducation et la formation des acteurs, pas uniquement ceux du secteur médico-social. C’est d’ailleurs un volet qui, selon moi, manquait à la loi du 11 février 2005.

Directeur aux éditions érès

de la collection « Connaissances de la diversité », Charles Gardou y publie La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule (réédition 2018).

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