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Les inégalités sociales de santé augmentent

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Les inégalités sociales de santé augmentent

Crédit photo Anne-Corinne Zimmer
Le 22 janvier, l’Académie de médecine organisait un colloque consacré aux inégalités sociales de santé. L’occasion de tordre le cou à de nombreuses idées fausses comme celles de disparités sociales en Europe qui seraient vaincues grâce à l’Etat-providence… quand c’est précisément l’inverse qui est observé.

La totalité des chercheurs et orateurs européens réunis autour de la thématique des inégalités sociales de santé à l’Académie nationale de médecine ont dressé le même constat : la hausse des inégalités sociales est « massive », du Royaume-Uni aux Pays-Bas en passant par la France et les pays nordiques. Des disparités qui recouvrent aussi bien les différences de revenus, d’éducation, de qualité de l’environnement, d’accès aux soins, d’espérance de vie mais aussi l’augmentation de la pauvreté tant en Europe de l’Ouest qu’en Amérique du Nord.

Ainsi, Johan Mackenbach, professeur de santé publique et membre de la Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences (Pays-Bas), note que ces inégalités demeurent, qu’elles n’ont en rien diminué et ce, en dépit de l’Etat-providence (« Welfare State ») et des systèmes de sécurité sociale partout implantés en Europe. Non seulement elles perdurent, mais elles ont continué de croître, avec une accélération marquée au cours de la dernière décennie, y compris dans les pays où la dépense sociale par habitant est la plus élevée : Danemark, Suède et Norvège.

Pourquoi ces inégalités de santé ne sont-elles pas justement moins grandes dans les pays ayant un Etat social plus généreux ? interroge Johan Mackenbach, qui étudie le sujet depuis 20 ans. En réalité, l’Etat-providence a, un temps seulement vers la moitié du XXe siècle, atténué les écarts liés aux « conditions de vie matérielles », mais certainement pas celles incluant les schémas éducatifs des enfants, les activités de loisirs, les connections sociales, les habitudes alimentaires… Or, les pauvres ont aujourd’hui un moindre accès aux ressources matérielles et, de façon plus importante encore, un moindre accès aux « ressources immatérielles » : le capital social et culturel, les facilités de relation, d’accès à la culture, d’aisance à tous points de vue, ne cessent de prendre de l’envergure mais pour les plus hauts revenus, y compris dans les Etats les plus généreux.

Ces inégalités et leur permanence irriguent l’ensemble de la société : les nouvelles données montrent qu’elles sont aujourd’hui similaires à celles qui avaient cours au début du XXe siècle. « En Europe de l’Ouest comme en Amérique du Nord, au cours des dernières décennies, le revenu des plus riches a continué d’augmenter, quand celui des pauvres stagnait. Il s’agit d’une véritable régression », poursuit le professeur de santé publique. Citant Michael Marmots, ancien chef de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour qui « l’injustice sociale tue à grande échelle », Johan Mackenbach fait trois propositions pour tenter d’inverser la donne au plan mondial : des réformes sociales plus robustes, une répartition des richesses plus importante et davantage de démocratie.

Les enfants meurent de pauvreté

D’autant qu’il y a urgence : la pauvreté infantile progresse à toute allure. Là encore de façon massive. Un enfant sur 4 en Europe souffre de pauvreté. Ce chiffre atteint 4 millions de mineurs en Angleterre, soit… 30 % des enfants du pays, selon un rapport de l’Unicef sur la grande récession dans les pays riches où 1 enfant sur 3 a subi des privations depuis la crise de 2008(1) ! Ce sont aujourd’hui 76,5 millions d’enfants pauvres qui vivent dans les 41 pays les plus riches du monde, rappelait Margaret Whitehead, professeur de santé publique à l’université de Liverpool (Angleterre). Celle qui est aussi à la tête du Centre collaboratif sur les déterminants sociaux (au sein de l’OMS), se référant au rapport de l’Unicef, précise de quoi il question : ces enfants connaissent l’insécurité alimentaire, les difficultés à payer le loyer pour les parents, l’impossibilité d’aller en vacances, de chauffer le logement ou encore de faire face à une dépense imprévue et contrainte.

Malgré les répercussions, documentées depuis des décennies, de la pauvreté sur l’état de santé des populations les plus fragiles, ces pays n’ont pas été prompts (à l’exception de 8 pays sur les 41 étudiés) à prendre des mesures correctives. Au contraire, les coupes budgétaires dans les politiques sociales déployées à partir de la crise de 2008 ont accentué les impacts de cette « entrée en pauvreté ». « Les réformes qui ont été engagées ont été catastrophiques, austérité en tête, avec une hausse du taux de mortalité en 2018 chez les enfants attribuable, pour un tiers, à cette pauvreté massive », souligne Margaret Whitehead. La pauvreté est « pourtant l’un des facteurs sur lesquels les autorités des pays riches pourraient agir face à cette mortalité évitable, mais c’est l’inverse qui s’est produit », constate-t-elle. Pour preuve, le taux de non-emploi et celui de sous-emploi grimpent dans la tranche des 15-24 ans à partir de 2008-2013 dans ces pays dits « riches », jusqu’à atteindre 50 % parmi les jeunes quand ils étaient de 10 % en moyenne avant 2008.

Plus d’obstacles pour les demandeurs d’asile

De la même manière, l’étau se resserre en France aussi du côté des migrants et en particulier des demandeurs d’asile. Nathalie Godard, médecin et responsable du plaidoyer France à Médecins du monde, pointe la « logique financière et les restrictions de moyens » concernant les droits pour l’accès aux soins pour les plus précaires : « On se reporte sur les associations mais les ONG ne sont pas suffisantes. » Alors que François Héran, sociologue (chaire « Migrations » au Collège de France), a démontré, en conclusion du colloque, que la France est loin d’être le premier pays d’Europe pour les demandes d’asile (voir schéma ci-contre). La mise en cause des soins destinés aux populations les plus pauvres, agitant les migrations comme un épouvantail, a resurgi au cours des discussions sur la loi de finances pour 2020, compliquant leur accès aux soins. Jusque tout récemment, les demandeurs d’asile pouvaient ouvrir des droits à l’aide médicale d’Etat (AME)(2) sitôt leur demande enregistrée en préfecture. Mais la nouvelle loi de finances, votée en décembre dernier, et les décrets bien vite publiés, ont instauré un « délai de carence » de trois mois pour les demandeurs d’asile. Des obstacles supplémentaires ont d’ailleurs été ajoutés : les demandes devront, à présent, être déposées physiquement par les demandeurs au guichet des caisses d’assurance maladie et non plus par courrier… tandis que près de la moitié de ces guichets ont fermé au cours de ces dernières années, en Seine-Saint-Denis par exemple. Il est à prévoir que les files d’attente s’allongeront, ainsi que le nombre de personnes découragées par tant de procédures.

« C’est la première fois qu’un gouvernement décide de réduire l’accès aux soins pour les demandeurs d’asile », souligne Nathalie Godard. D’autres barrières sont pointées. Les réfugiés européens devront, désormais, non seulement observer le délai de trois mois de présence sur le territoire (lié au régime de libre circulation) avant de pouvoir demander à bénéficier de l’AME, mais la loi a ajouté trois mois supplémentaires de « séjour irrégulier » (personnes sans revenu), soit six mois en tout avant de pouvoir faire la demande d’AME, pour un an. Autrement dit, « alors que l’AME est longue à obtenir, c’est un délai de carence de six mois qui est introduit pour ces populations. Les premières victimes sont les familles d’Européens de l’Est qui vivent dans les bidonvilles et que nous avons de grandes difficultés à faire entrer dans un parcours de soin », insiste Nathalie Godard. Et d’ajouter : « Les mesures qui ont été finalement adoptées vont gravement porter atteinte à l’accès aux droits de ces personnes. Sous couvert de prétendus “abus” qui n’ont jamais été sérieusement documentés[3], et alors que le vrai combat c’est celui du non-recours aux soins, on a mis en danger un dispositif indispensable à des personnes qu’il faudrait au contraire inclure dans les soins ».

Notes

(1) « Children of the Recession. The impact of the economic crisis on child well-being in rich countries » – La pauvreté dans les pays riches est mesurée dans ce rapport de l’Unicef à l’aune de la ligne de « 50 à 60 % du revenu annuel médian ». La référence de l’année 2008 pour mesurer l’entrée en pauvreté des enfants a été conservée afin d’évaluer les impacts de la dégradation de la situation. Disp. sur https://bit.ly/2Gz5QnE.

(2) Sur les discussions autour de la réforme de l’aide médicale d’Etat, voir ASH n° 3134 du 15-11-19, p. 6.

(3) Voir ASH n° 3137 du 6-12-19, p. 19.

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