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« Ils ne feraient pas ça en face à face »

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sociologue, directeur de Jeudevi, société spécialisée dans la recherche en sciences humaines et sociales
Pourquoi évoquez-vous un « déficit d’empathie » à propos des cyberviolences ?

Des travaux montrent que le déficit d’empathie est une conséquence du « trop d’écrans ». Plus les enfants passent du temps devant leurs tablettes, leurs ordinateurs, leurs smartphones, plus ils se coupent des liens d’attachement avec leurs parents. Et moins ils ont d’interactions sociales avec des adultes proches, moins ils sont amenés à tenir compte de l’autre. C’est d’autant plus important que le cerveau émotionnel – celui qui nous permet de réfléchir et d’anticiper les conséquences de nos actes – est suractif pendant l’adolescence, il n’est mature qu’à 21 ans. Ces phénomènes peuvent conduire certains jeunes à des comportements de cyberharcèlement sans qu’ils se rendent compte de la portée de leurs actes.

Comme s’ils jouaient ?

Le jeu est un espace transitionnel chez l’enfant qui permet d’accéder à la réalité tout en y étant à l’écart. Le monde numérique joue un peu ce rôle. Les jeunes sont dans une sorte d’entre-deux, ils n’intègrent pas forcément que ce qu’ils font va avoir des répercussions dans la vraie vie et dans leur vie propre en cas de poursuites judiciaires. Il y a une espèce de décalage avec le réel. Par écrans interposés, ils font des choses qu’ils ne feraient pas forcément en face à face. L’enjeu pour moi est de développer les approches expérientielles. Il faut sortir de la théorie et vivre ensemble des expériences d’émotions partagées. Parents et enfants ont vu un film ensemble, ils en parlent. C’est pareil avec les éducateurs, les assistants familiaux, les enseignants. Il ne faut pas externaliser le conflit mais s’y confronter en direct. Or, que ce soit dans les familles, à l’école ou dans les institutions spécialisées, on s’éloigne de la parole et des expériences collectives.

Quel peut être le rôle des professionnels de l’enfance et l’adolescence ?

Ce qui vaut pour les professionnels vaut aussi pour les familles : l’enfant a des droits, mais c’est à l’adulte de prescrire les règles. C’est lui qui doit réguler le temps à passer sur le téléphone portable, l’heure où on l’éteint, etc. Dans les formations que je dispense pour les assistants familiaux, ces derniers disent que cela se passe bien quand ils assument ce rôle. Parler avec les petits de ce qu’ils regardent sur les écrans est aussi fondamental. On ne laisse pas un enfant se débrouiller seul avec son imaginaire. Il faut l’aider à décrypter ce qu’il voit sur les tablettes, regarder avec lui, en parler après, l’accompagner. C’est ce qui donne du sens à la vie psychique, sinon elle est insécurisante. D’ailleurs, selon le psychiatre Serge Tisseron(1), il y a urgence à proscrire les écrans avant trois ans. Les enfants doivent être nourris par des histoires, des contes… Le plus dramatique serait de donner des outils numériques à des enfants et de faire comme si de rien n’était, pour avoir la paix sociale, être tranquille. Les adultes, professionnels ou parents, doivent sortir de ce déni. La santé mentale des jeunes face aux écrans est une question clé.

Notes

(1) Voir ASH n° 3140 du 27-12-19, p. 28.

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