Recevoir la newsletter

Ils dessinent pour sortir de leur bulle

Article réservé aux abonnés

Unique en France, l’Esat Image-arts graphiques d’Angoulême emploie cinq auteurs en situation de handicap. Acteur incontournable en France, la cité de la BD, dont le festival se déroule en ce moment, va apporter son soutien à ce dispositif inédit.

« Ces dessinateurs sont tous autodidactes, des talents bruts », assure Pierre-Laurent Daures, le responsable de projet de l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) Image-arts graphiques d’Angoulême, en Charente. Unique en France, cet Esat, dédié aux personnes atteintes d’un handicap physique ou mental, accueille cinq auteurs de bande dessinée, trois hommes et deux femmes. L’idée ? Leur proposer au cœur même de la capitale mondiale de la BD, Angoulême, un cadre professionnel pour créer.

Epaulés par des dessinateurs chevronnés, les cinq membres de l’Esat répondent ainsi à des commandes pour imaginer la communication d’entreprises, d’associations ou de collectivités. Fondé en 2011, l’Esat Image-arts graphiques entend bien pérenniser son modèle et signe le 31 janvier, le lendemain de l’ouverture du festival qui se tiendra jusqu’au 2 février, une convention avec la prestigieuse cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême. Cet établissement public est aujourd’hui « la » référence française en matière de BD. Il accompagne les auteurs, promeut leurs savoir-faire et aide à la création. C’est exactement pour cette raison que l’Esat Image-arts graphiques se rapproche aujourd’hui de la cité : « L’objectif est de nous apporter un soutien logistique, un véritable accompagnement, des conseils », détaille Pierre-Laurent Daures.

Pour l’Esat angoumoisin, cette convention marque surtout la reconnaissance de son travail et d’un pari tenté voilà près d’une décennie. « C’est indéniable, tous les dessinateurs ont progressé, en qualité, en technique. Par échanges entre eux, mais aussi par compagnonnage avec les professionnels de l’Atelier du Marquis, un collectif d’auteurs », explique le responsable de projet. L’Esat Image-arts graphiques a effectivement posé ses valises au dernier étage d’un immeuble occupé par une multitude de dessinateurs et de professionnels de l’image. Entre émulation et bons conseils, ceux-ci aident et veillent au quotidien sur les cinq membres de l’établissement. Parmi eux, Erika Gonnord, 26 ans. Ses amis la surnomment « Boucle d’oreille », elle est sourde et muette. En intégrant l’Esat et les murs de l’Atelier du Marquis, la jeune femme a trouvé sa voie. « Le dessin, j’ai toujours adoré ça. J’ai commencé à 8 ans, j’ai même eu des cours. Mais on me disait qu’il fallait un diplôme, un métier. Alors je suis passée par la cuisine. Je ne m’y sentais pas bien, je déprimais », raconte-t-elle, secondée par Claire Fauvaud, une traductrice qui lui vient régulièrement en aide lorsqu’elle a « besoin d’approfondir un sujet, de traduire un texte ou de [s]’exprimer librement ».

Un nouveau monde

En 2012, Erika Gonnord a tenté sa chance au concours de bande dessinée de l’association L’Hippocampe, ouvert aux personnes en situation de handicap (lire encadré). Son coup de crayon lui a valu trois prix et d’être finalement repérée par Pierre-Laurent Daures. Les cinq dessinateurs ont tous intégré l’Esat de cette façon. « Aujourd’hui, je suis une professionnelle, signe Erika Gonnord. Ici, je suis bien entourée. J’ai découvert tout un monde dont j’ai été privée à l’école. Mais je dois encore progresser. »

Formateur et dessinateur à l’Atelier du Marquis, Marc Giudice l’encourage : « Erika se débrouille très bien. C’est une richesse pour le groupe. » Pour échanger avec elle, Marc Giudice passe souvent par le mime ou… le dessin. « L’important, c’est de créer une dynamique de groupe. Tout le monde ici aimerait bien que cette structure prenne de l’ampleur », souffle-t-il. Pour autant, le dispositif reste « expérimental » et soumis aux fluctuations d’un marché réputé difficile. « Nous avons travaillé pour Vinci, But, la Mutuelle des motards, la Région Nouvelle-Aquitaine ou la Métropole de Lyon, abonde Pierre-Laurent Daures. Mais les gens ne font pas spontanément confiance à un Esat… » Le responsable de projet ne souhaite pas pour autant « brader les prix parce qu’on est handicapé. Nous pratiquons les prix du marché. »

Directeur général de l’Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Charente, gestionnaire de cet Esat, Guillaume Préveraud confirme cette approche : « Le dispositif reste fragile et déficitaire. Mais pour nous, ce projet innovant est une vraie marque de fabrique. Nous faisons le choix de le soutenir. Nous aimerions proposer plus de places mais il nous faut trouver des débouchés. »

Si l’Adapei chapeaute l’Esat, l’idée en revient à Mireille Malot, qui préside l’association L’Hippocampe. « Nous repérions régulièrement de vrais talents dans le cadre de notre concours. J’y ai vu la possibilité de créer un outil et, pour eux, de vivre de leur travail. » Après deux ans d’acharnement, elle est ainsi parvenue à fédérer les acteurs autour de son projet : « Le plus difficile a été la rencontre entre l’univers de la BD et celui du handicap. Il fallait que chacun s’apprivoise. » Atteint d’une maladie génétique handicapant sa vision, Sébastien Peters ne dit pas autre chose : « C’est très épanouissant. » Père de famille de 39 ans, il officie comme infographiste.

A 46 ans, Guillaume Perfetti a, lui, découvert sa vocation : « Je dessine depuis toujours mais je ne pensais pas être doué. Finalement, les autres métiers comme celui de professeur n’ont pas marché. On pensait que j’avais un excès de timidité. En fait, je suis autiste Asperger. » A ses côtés, Clémence Leclerc, 25 ans, et Frédéric Coulaud, 42 ans, tous deux atteints de handicap mental. La jeune femme planche sur un carnet de dessin : « J’aimerais avoir mon propre artbook, c’est pas évident de trouver du temps, mais la collectivité, ça permet de nous entraider. » Le quadragénaire travaille sur sa première bande dessinée. « Je faisais de la menuiserie avant, j’ai un CAP. Mais je passais mon temps à dessiner, ça me plaît beaucoup plus. Je n’aurais jamais cru en faire mon métier, souffle-t-il. J’espère bien rester ici le plus longtemps possible. »

Un concours pour repérer des talents

Plus de 1 000 Français et Européens participent au concours de bande dessinée de l’association L’Hippocampe dédié aux handicapés physiques et mentaux. Comme chaque année, le palmarès de la 21e édition doit justement être dévoilé à Angoulême lors du Festival international de la bande dessinée (FIBD) 2020. Thème retenu cette année : « Il faut y croire ! »

Focus

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur