Soirée paisible. Une tisane fumante sur la table basse, une romance américaine à la télé, deux fauteuils bien confortables… Il ne manque que le feu qui crépite et le chat qui ronronne pour que le tableau soit parfait.
Mais ce soir, il n’y a pas de feu dans le foyer. Le bois est cher, cette année. Et puis il faudrait faire ramoner la cheminée. Cet hiver, nous mettrons des radiateurs. Et une petite laine. Et nous irons peut-être adopter un chat à la SPA, ça nous fera une bouillotte, m’a dit ma charmante logeuse en souriant.
Florimonde a mis un pull, un gilet, un châle, deux paires de chaussettes et des pantoufles bien chaudes. J’ai au moins la même chose. Elle frissonne, je grelotte, mais nous faisons tous deux comme si de rien n’était.
Elle ne se plaint jamais, Florimonde. Elle en a vu d’autres, me dit-elle avec un petit sourire. Elle a connu l’hiver 54. Elle se souvient de l’appel de l’abbé Pierre, elle se souvient de ses mots, si profonds, si justes, si chaleureux : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime. »
Elle raconte, des tremblements dans la voix. « Il faisait si froid ! Il y a eu des morts, tu sais. Des gens sont littéralement morts de froid ! Tu te rends compte, Floyd ? »
Oui, je me rends compte. Dans la rue, j’ai eu froid. Alors chez Florimonde, à côté, c’est le grand luxe. Ooooh, bien sûr, la maison a des défauts. C’est une vieille bâtisse, il y fait trop froid en hiver et trop chaud en été, l’isolation est à refaire… mais ça coûte cher.
En attendant, on bricole, on se débrouille, on trouve des astuces. Toutes les pièces ne sont pas chauffées, il y a de l’humidité et de la moisissure, ça laisse des traces noires sur les murs… On déplace les meubles, on ajoute un rideau, ça cache un peu la misère. Il y a des courants d’air et des fenêtres qui ferment mal, alors on a mis des cartons, du scotch et des boudins de porte pour se calfeutrer un peu. Dans les chambres, on ne chauffe que la nuit. Les draps sont un peu humides quand on se couche, mais on met des bouillottes. Quand on fait une lessive, le linge est long à sécher, alors on installe l’étendoir devant le radiateur.
Cet hiver, on se passera du feu dans la cheminée, mais on a une astuce chauffage : la gazinière ! Un poulet rôti ou une soupe qui mijote, c’est une heure de chauffage offert, ça ne se néglige pas. Et puis on fait comme tout le monde, on empile tricots et couvertures. Florimonde a trouvé un stock de laine et elle nous tricote des chaussettes qui, j’en suis sûr, feraient fureur à la Fashion Week !
Malgré tout ça, Céleste et Martine, les deux aides à domicile, montrent des signes d’inquiétude. Florimonde a une santé fragile, il ne faudrait pas qu’elle prenne froid, et puis cette humidité, ça n’est pas bon… « Taratata ! », leur répond mon octogénaire préférée, « les travaux coûtent cher, je suis trop pauvre pour les payer et trop riche pour être aidée. Et puis on a connu pire ! »
Le débat est clos.
Le film touche à sa fin, je monte en vitesse allumer les radiateurs dans les chambres et je me dépêche de redescendre au chaud. Je vais traîner encore un peu au salon, ici il fait presque bon.
Cette nuit, je mettrai une troisième couverture. La semaine prochaine, nous irons adopter un chat.
Et dans deux mois, c’est le printemps. Patience.