Avec 8 100 participants, 11 813 contributions, 82 200 votes, la concertation citoyenne sur le revenu universel d’activité a donné lieu à de nombreux échanges en ligne. Annoncé en septembre 2018 par le président de la République dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la pauvreté, le RUA a pour objectif de fusionner un grand nombre d’aides sociales et ainsi simplifier le système d’ici 2023. En comparaison, on comptait cinq fois plus de participants et de contributions pour la concertation en ligne sur la réforme des retraites. « On peut se féliciter de la participation », se réjouit pourtant Vincent Reymond, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté par intérim. « C’est un succès populaire qui témoigne de l’intérêt des citoyens », notamment des premiers concernés, puisque près de 30 % de ceux qui ont participé sont bénéficiaires d’une aide sociale.
Cette consultation en ligne a eu lieu du 9 octobre au 20 novembre 2019 et était accessible à tous ceux souhaitant y participer. En parallèle de la concertation institutionnelle démarrée en juin 2019 avec les territoires, les associations et les partenaires sociaux, ce pendant citoyen avait pour objectif de répondre à trois types de questionnements : pourquoi le RUA, à qui devra-t-il s’adresser et comment devra-t-il fonctionner ? Au delà du vote « d’accord », « pas d’accord », « mitigé », sur plusieurs propositions ministérielles, les participants pouvaient déposer des propositions, soumises également au vote. Parmi les avances ministérielles ayant reçu le plus de votes, on retrouve, en premier lieu, le regroupement et l’harmonisation des aides sociales, qui concernent au minimum le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et les aides au logement. Près des deux tiers (64 %) des 3 538 votants y sont favorables. On retrouve ensuite une proposition sur le calcul du RUA : 74 % des 2 902 votants sont pour un calcul à partir des revenus les plus récents. Certaines aides étant calculées sur les ressources de l’année précédente, cette proposition vise « à s’assurer que le soutien offert aux personnes en situation de pauvreté soit réactif et ajusté à la situation », comme indiqué dans le rapport présentant les résultats.
Autre point, l’intégration de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) dans le RUA. Seulement 31 % des 2 278 votants sont d’accord avec cette idée. Ce point a fait aussi débat lors de la concertation institutionnelle. En octobre dernier, 55 associations représentatives des personnes handicapées et de leurs familles ont demandé au gouvernement de renoncer à inclure l’AAH dans le futur RUA(1). Sur ce point, Fabrice Lenglart, rapporteur général de la réforme du revenu universel d’activité, précise que dans cette réforme, « pas un euro qui va à une personne en situation de handicap n’est déplacé vers un autre public et inversement ».
La question de l’intégration des jeunes est aussi sur la table : 73 % des 1 714 votants sont pour. Reste à définir les modalités, notamment pour les jeunes qui vivent encore chez leurs parents ou les étudiants. Les participants se sont également montrés favorables à l’intégration des personnes âgées en situation de pauvreté (75 % des 1 405 votants).
Pour leur part, les citoyens ont proposé 1 739 mesures. Mais ces dernières n’ont rassemblé, tout au plus, que quelques centaines de votants. Malgré cette limite et l’absence de représentativité, un consensus ressort autour d’« un revenu de base vraiment universel » (96 % des 540 votants), pour « ne pas soumettre les parents isolés à une obligation de recherche d’emploi » (96 % des 148 votants), ou encore pour « réformer les caisses d’allocations familiales pour que leur action soit plus lisible et plus efficace » (91 % des 182 votants). Les promoteurs de la réforme ont également mis en place des ateliers citoyens auxquels 475 personnes ont participé. A Bordeaux et Roubaix, les volontaires ont planché sur les constats actuels et les objectifs du RUA. L’atelier citoyen de Saint-Etienne était orienté sur le logement et celui de Chartres sur les personnes en situation de handicap et les personnes âgées. Les ateliers de Besançon et d’Avignon étaient, quant à eux, dédiés aux jeunes.
Parmi les participants, près de la moitié étaient allocataires d’aides sociales ou l’avaient été au cours des 12 derniers mois. Ces ateliers se sont déroulés avec des animateurs formés, pour « essayer de dégager des voies de passage et des voies consensuelles », précise Vincent Reymond. Différents thèmes ont été abordés pour répondre à la question générale « A quoi devrait ressembler le RUA ? ». Les participants n’ont pas manqué de souligner les faiblesses du système actuel, illisible, avec des moyens insuffisants et excluant certains publics tels que les familles monoparentales. Et de nombreuses interrogations subsistent : faut-il prendre en compte l’ensemble des ressources du foyer ? Est-ce que la prestation doit être individualisée ? Faut-il une prestation stable ou réactive aux changements de situation ?
Les résultats de ces ateliers expriment également le questionnement des citoyens sur le modèle de société voulu, notamment sur les responsabilités entre la société et les bénéficiaires, la demande de contreparties exigées de ces derniers. Il en résulte une sensibilité à la question de « vivre dignement », la volonté d’un « système simple et lisible, mais adapté à la situation de chaque personne », et comme dans la concertation en ligne, la volonté « d’ouvrir le RUA aux jeunes ». Selon Vincent Reymond, ces ateliers ont dégagé « un consensus sur l’intérêt d’intégrer les jeunes » mais pas sur les modalités : « Il y a une famille de scénarios, pas de propositions finalisées, on travaille encore. » Fabrice Lenglart, rapporteur, souligne que ce qui remonte des ateliers est « plus proche du quotidien », notamment sur « les rapports des bénéficiaires avec les différents guichets », amenant ainsi à répondre à « des questions plus concrètes ». Les citoyens interrogés attendent, d’autre part, que « les promesses d’accompagnement soient tenues », notamment l’accompagnement social ou pour la recherche d’emploi. Mais aussi « un message très fort sur l’accompagnement sur la prestation », pour qu’il persiste un guichet humain, en cas de dysfonctionnements des démarches en ligne, ou « pour les personnes les plus éloignées du numérique ».
Tous ces résultats doivent être présentés à un jury citoyen. « Les différentes concertations se nourrissent entre elles », estime Vincent Reymond. Le jury citoyen pourra ainsi interroger des acteurs de la concertation institutionnelle. Cette prochaine étape vise notamment à « gérer le contradictoire » entre les propositions ministérielles et les propositions citoyennes, avec l’objectif de trouver des compromis et des consensus pour rendre un avis final. Le jury a été constitué selon une méthode normée, inspirée des conférences de citoyens pensées au Danemark dans les années 1980, avec « plusieurs verrous pour s’assurer de l’étanchéité méthodologique ». Les 15 personnes qui seront recrutées par un institut spécialisé ne seront bien évidemment pas représentatives d’un panel national. Les organisateurs précisent toutefois que le jury citoyen sera « le plus diversifié possible », en termes de territoire, d’âge, avec un tiers de bénéficiaires d’aides sociales, pour obtenir « une diversité de points de vue ». Ledit jury doit se réunir en février prochain, puis remettra un rapport final qui, d’après Vincent Reymond, « rendra compte de l’ensemble des positions exprimées », en intégrant toutes les interrogations et toutes les inquiétudes.
Deux points n’ont cependant pas été abordés dans la concertation citoyenne : le financement du RUA et la gouvernance. « La concertation consistait à cheminer et à réfléchir à comment fonctionne aujourd’hui notre système », précise Fabrice Lenglart. Il s’agit pour le moment « d’imaginer comment refonder le système de prestations de solidarité ». Pour lui, cette réflexion doit donc d’abord se mener dans un cadre budgétaire neutre. Mais c’est la dernière étape de la concertation institutionnelle démarrée en juin 2019, après les travaux sur le parcours de l’allocataire. Rendez-vous en mai 2020.