Bipolarité, schizophrénie, dépression chronique… En France, les troubles psychiques sont la première cause d’invalidité et la deuxième cause d’arrêt maladie. Et si environ 60 % des personnes fragilisées par une pathologie mentale travaillent, elles ont deux à trois fois plus de risque d’être au chômage que les personnes en bonne santé. Comment les aider à trouver un emploi ou à s’y maintenir ? C’était le thème du colloque « Dialogue sur la santé mentale dans les organisations », organisé à Paris le 17 janvier par l’association Club House, spécialisée dans l’accompagnement de ces personnes (voir interview). Un enjeu de taille, car, pour le psychiatre Bernard Pachoud, « travailler est possible pour la majorité des personnes en situation de handicap psychique. Cela paraît banal de dire ça aujourd’hui. Mais il y a quelques années, ça ne l’était pas pour la communauté scientifique. » Mieux : l’insertion professionnelle est souhaitable, c’est même un facteur de rétablissement privilégié. Les bénéfices sont patents : structuration du temps de la journée conformément aux rythmes sociaux, sentiment d’utilité et d’être comme tout le monde, intérêt à se lever le matin, lien avec les autres. C’est aussi l’occasion d’être reconnu par ses pairs et de retrouver confiance et estime de soi. « En passant de malade chronique à professionnel compétent, la personne retrouve une identité positive », énonce le médecin.
Parmi les déterminants de retour à l’emploi, outre les facteurs personnels, l’accompagnement semble la pratique la plus efficace pour favoriser l’intégration rapide en milieu ordinaire de travail. Les études sur le sujet plaident en faveur d’un référent unique, sorte de conseiller – « job coach » – qui assurait une aide sur mesure et continue et travaillerait, à la fois, avec la personne, l’entreprise, l’équipe de soins en cas de moments difficiles et les intervenants sociaux. « La stratégie de l’emploi accompagné évolue radicalement, explique Bernard Pachoud. Avant, on attendait une amélioration des troubles et on se focalisait sur les déficits de la personne. Désormais, on met la personne en situation de travail, on accompagne et on soutient en misant sur ses potentialités et son pouvoir d’agir. » Derrière cette nouvelle philosophie, la notion de « Place and Train » dont Thibault, 31 ans, a bénéficié. Diagnostiqué bipolaire, il a été hospitalisé sept fois entre 18 et 26 ans. Impossible de finir ses études universitaires. En 2016, il adhère au Club House Paris : là, il se reconnecte à l’informatique, participe à la rédaction de la newsletter interne, travaille à une base de données, participe à un atelier de réalisation de CV, simule des entretiens d’embauche avec la référente emploi du Club. Trois ans plus tard, il a décroché un contrat à durée déterminée d’assistant de développement à La Française des Jeux. Un vrai poste, pas un déguisé comme cela peut être le cas parfois avec les personnes en situation de handicap.« C’est super, depuis juillet dernier, je ne touche plus l’allocation adulte handicapé, se réjouit-il. Je suis hyper fier de porter le badge de l’entreprise. Mais au début, j’avais du mal à écrire un mail de dix lignes. » Thibault reconnaît avoir besoin d’un management de proximité qui, avec une réunion hebdomadaire plutôt que mensuelle, mobilise plus de temps à sa hiérarchie. Il se considère, toutefois, comme un salarié « capable autrement ».
Reste que le handicap, quel qu’il soit, stigmatise et qu’il n’est pas toujours simple d’accueillir la « différence ». « C’est de la haute couture managériale, il faut définir des objectifs clairs. C’est perturbant de parachuter un salarié nouveau dans une équipe, a fortiori quand il a des troubles psychiques », observe Inès de Pierrefeu, psychologue et consultante en entreprise. Il faut convaincre les décideurs, pas seulement ceux des ressources humaines, que l’on peut faire avec comme on le fait avec les femmes enceintes et les congés maternités, les salariés atteints de maladies graves (cancer…). « L’approche inclusive est vertueuse car porteuse de sens. Mais ni angélisme ni diabolisation, ce qui fait avancer les choses, c’est la démonstration objective que c’est possible », pointe Chantal Piani, ex-responsable RH et membre de Club House. Le sujet est, certes, moins tabou qu’avant, d’autant que les entreprises ont des outils sous la main (médecine du travail, mission « handicap »…) mais le pari n’est pas encore gagné : « Sur un site de 3 000 salariés, 20 seulement viennent à une session de formation, constate Philippa Motte, consultante spécialisée sur la santé mentale et le handicap psychique au travail. Il y a, néanmoins, une prise de conscience que c’est un vrai sujet. »