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Délaissement parental : l’enfant d’abord

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Le délaissement parental était au cœur de la journée de formation organisée le 14 janvier par l’Ecole de la protection de l’enfance et l’Action sociale. La non-reconnaissance juridique de ce désintérêt amplifie les souffrances de l’enfant et entraîne errances, placements provisoires répétés, et insécurité permanente. Sans compter l’épineuse question de l’autorité parentale.

Quand les parents ne parviennent pas à donner à leur enfant la sécurité affective, psychologique, voire les soins de base et ce, de façon constante ; quand les réponses apportées demeurent dans l’ordre du toujours « provisoire », il est temps d’agir. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi pourrait se résumer l’enseignement majeur des différentes approches qui ont nourri la journée sur « le délaissement parental », organisée par l’Ecole de la protection de l’enfance et l’Action sociale le 14 janvier. Du point de vue psychologique d’abord : chacun sait que des attachements stables à des figures, si possible dotées d’empathie, sont nécessaires à la construction de la personne au cours de l’enfance en particulier. A contrario, les liens qui, au sein des familles d’accueil, des foyers et avec les éducateurs se font et se défont au gré de placements successifs de l’enfant « compromettent son développement », insiste Marie-Paule Martin-Blachais, directrice scientifique et pédagogique de l’Ecole de la protection de l’enfance. De fait, lorsque l’attachement est sans cesse mis à mal par cette « errance », comment s’ancrer, être sécurisé et nourrir des relations sereines, au présent comme au futur ? Pourtant, les institutions sociales et judiciaires sont réticentes à formaliser le délaissement parental, dispositif légal du 14 mars 2016 venu remplacer « le désintérêt manifeste des parents », actant l’absence de relation avec l’enfant(1). Une « déclaration judiciaire d’abandon » qui permet, dans la foulée, un retrait de l’autorité parentale.

L’autorité parentale intouchable

Selon Philippe Liébert, psychologue et responsable de la mission pilotage et accompagnement projet de vie du service adoption du département du Pas-de-Calais, le délaissement parental est responsable de 75 % des cas de placements longs, les 25 % restant étant liés à des situations d’incapacités durables (handicap mental, violences continues). Pour lui, « nous savons très tôt que les enfants ne retourneront jamais chez leurs parents ». Pour autant, l’autorité parentale demeure quasi intouchable. « La culture française familialiste, comme la qualifie Philippe Fabry, docteur en sciences de l’éducation et formateur à l’IRTS Paris-Ile-de-France, maintient le lien à tout prix avec le parent. Pourquoi en France est-il possible de placer un enfant jusqu’à ses 18 ans, placement renouvelable tous les six mois ou deux ans, des années durant ? Comment comprendre qu’il n’y ait pas de limite au provisoire ? », interroge le spécialiste. Cette résistance de la justice à retirer l’autorité parentale est ancienne. Dès 1889, la loi sur la « déchéance de la puissance paternelle » (puis autorité paternelle) est peu appliquée et le demeure : autour de 10 %. L’esprit de nos lois inscrit la protection de l’enfance dans du temporaire, avec une préférence pour le placement. Au nom des liens du sang. « En tant qu’éducateur, j’ai le souvenir d’accompagner des enfants visiter leur père en prison. Il avait pourtant tué leur mère à coup de fusil », pointe Philippe Fabry.

Alors que les pays anglo-saxons ou le Québec sont bien plus enclins à prononcer « l’abandon forcé » après évaluation, quand il y a risques d’abus graves et que le délaissement est prévisible, « en France, pour ne pas risquer d’aller vers “l’abandon forcé”, on en vient à ne même pas reconnaître l’abandon tacite où les parents s’occupent si peu de l’enfant que ce délaissement vaut abandon. Si on appliquait un peu plus la reconnaissance du délaissement, cela irait vers plus de stabilité des placements, plus d’enfants pupilles », estime le formateur à l’IRTS. Résultat, la loi française reste incapable de déléguer la moindre autorité parentale à une famille d’accueil, ce qui produit un déni de la parentalité d’accueil, nuisible à bien des égards (signatures d’autorisations scolaires, urgences…). Il y a aussi un fort barrage pour aller vers le « confiage », très développé dans d’autres pays européens qui prennent en compte le droit des familles d’accueil au titre de la protection des racines de l’enfant. « S’il fait ses racines psychologiques dans sa famille d’accueil, que ces parents nourriciers sont ses véritables parents, on n’a pas le droit de retirer l’enfant », souligne Philippe Fabry. D’ailleurs, les grands textes comme celui sur la famille nourricière (Conseil de l’Europe) et même la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) ont eu peu d’écho en France car, selon ce dernier, « ces textes sont orientés vers la pluriparentalité et contre l’institutionnalisation. Pourtant, c’est le quotidien partagé qui fabrique de la famille et garantit l’accès de l’enfant à un statut adulte, mais ici, l’ASE [aide sociale à l’enfance] remplace tous les rôles fondamentaux… Or, ce n’est pas quand l’enfant atteint ses 18 ans que tout est fini. »

Ce transitoire qui dure est même inscrit dans la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance à laquelle on a ajouté qu’une mesure provisoire pouvait être plus longue, estimant que les parents pouvaient se ressaisir.

L’intérêt supérieur de l’enfant

Entre incohérences et aberrations, Lyes Louffok, témoin en tant qu’ex-enfant de l’ASE, travailleur social et auteur de Dans l’enfer des foyers, interroge : « Je ne comprenais pas pourquoi je devais voir ma mère, malade mentale qui, en crise lors des visites, se roulait par terre, insultait les éducateurs… mais conservait l’autorité parentale alors qu’elle n’était pas responsable d’elle-même. Et puis comment supporter d’entendre qu’il faut recréer un lien avec le parent alors qu’il n’a jamais été créé ? » D’où cette nécessité de recentrer les interventions sur l’intérêt supérieur de l’enfant en le faisant participer aux décisions qui le concernent. « L’enfant a le droit d’être assisté par un avocat et ce droit est insuffisamment appliqué », rappelle Elsa Keravel, juge des enfants. La nouvelle loi de 14 mars 2016 exige de la part de tous les acteurs de partager un socle de connaissances : la théorie de l’attachement, si les magistrats l’ignorent, les droits, pour les travailleurs sociaux. Et si les commissions d’examen des situations et des statuts des enfants confiés (Cessec), instituées par cette loi, ne sont pas encore parfaitement opérationnelles dans tous les départements, dès lors il s’agit de prioriser les cas pour se projeter plutôt que de rester dans des positions d’attente. Elsa Keravel recommande de ne pas hésiter à « objectiver les constatations, car trop souvent les écrits n’osent pas nommer les dangers et euphémisent des éléments que les magistrats doivent connaître pour constituer le délaissement ». Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’autorité parentale peut être aménagée avec quatre niveaux d’intervention, et que son retrait n’est pas une sanction.

Pour l’heure, le délaissement parental semble au milieu du gué : si l’objectif est de le repérer le plus tôt possible, la loi de 2016 a intégré une subtilité restrictive : celle de l’empêchement des parents, lequel n’est pas défini mais laissé à l’appréciation du magistrat. Au Québec, le délaissement ne doit tout simplement pas faire souffrir l’enfant. La question n’est pas : est-ce que le parent a le droit de voir l’enfant, mais l’enfant a-t-il besoin de voir ce parent ?

Sébastien(1), ex-enfant de l’ASE
« Notre voix trouve une boîte de résonnance »

« J’ai été placé en pouponnière dès 3 mois et quelqu’un de ma famille m’a reconnu. A 18 mois, j’ai été dans une famille d’accueil chez un couple violent entre eux. Malgré les signalements, aucune suite, jusqu’au jour où la police est venue après qu’une personne a été poignardée. J’ai été changé de famille d’accueil puis, à 12 ans, j’en ai intégré une autre, avant mon contrat de semi-autonomisation. A partir de 6 ans, les rencontres familiales sont rares car mes parents “ne pouvaient pas” me disait-on. Jusqu’à mes 16 ans, l’ASE m’a entretenu dans une bienveillance à l’égard de mes parents, au lieu de dire que je ne les reverrai pas. A l’adolescence, quand on arrive dans une famille d’accueil, l’attachement est plus compliqué, dormir sous un même toit, vivre avec des personnes que l’on ne connaît pas, ne pouvoir se reposer sur aucune personne ressource. Pendant des années, les enfants de l’ASE n’ont rien dit. Aujourd’hui, notre voix trouve une boîte de résonnance. »

Notes

(1) Un enfant est considéré comme délaissé « lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête sans que ces derniers aient été empêchés par quelque cause que ce soit ». La demande en déclaration judiciaire de délaissement parental doit être introduite expressément au bout d’un an par les services de l’aide sociale à l’enfance – Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant – Voir également notre numéro juridique « La protection de l’enfant » – Juin 2019.

(1) Le prénom a été changé.

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