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Quand se chauffer devient un luxe

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La hausse du coût de l’énergie entraîne de plus en plus de ménages dans la précarité. Près de 7 millions de personnes en France en 2018, locataires ou propriétaires, peinent à se chauffer et à acquitter leurs factures. Souvent qualifiée de « véritable bombe à retardement social », la précarité énergétique est, avec la flambée des prix des carburants, au cœur du mouvement des « gilets jaunes ».

Constat alarmant au milieu de l’hiver. « La hausse structurelle des prix de l’énergie tend à accroître la pression sur les plus modestes. Combinée à une augmentation du taux de pauvreté, cette tendance haussière observée depuis plusieurs années entraîne mécaniquement davantage de ménages dans la précarité énergétique », alerte Arnaud Leroy, président de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) qui a publié, le 7 janvier, son tableau de bord de la précarité énergétique pour 2019, et actualisé le bilan 2018.

D’une année sur l’autre, le nombre de personnes ayant été touchées par la précarité énergétique a augmenté de 233 000 personnes, pour atteindre 6,8 millions de Français. Pour rappel, définie par la loi du 12 juillet 2010, dite loi « Grenelle 2 », est considérée en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve « des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

Une réalité sous-estimée

Pour l’ONPE, cette augmentation s’explique, en partie, par la hausse des prix hors taxes des énergies et de la fiscalité énergétique. D’après l’indicateur basé sur le taux d’effort énergétique, 11,7 % des ménages (soit 3,4 millions de ménages) étaient en situation de précarité énergétique en France métropolitaine en 2018. Au cours de l’hiver dernier (2018-2019), 15 % des ménages français ont souffert d’une sensation de froid chez eux, selon l’indicateur du froid ressenti du médiateur national de l’énergie. Les raisons ? Une mauvaise isolation de leur logement (41 %), des défaillances techniques de l’équipement de chauffage (24 %), une installation insuffisante (20 %) et/ou encore une limitation de leur consommation pour des raisons financières (7 %). Selon les chiffres 2019 du médiateur national de l’énergie, 572 440 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie (réduction de puissance, suspension de fourniture, résiliation de contrat) en 2018 suite aux impayés d’énergie contre 543 874 ménages en 2017, soit une augmentation de 4,2 %. « Les données provisoires pour le premier semestre 2019, transmises par les fournisseurs au médiateur national de l’énergie, font état d’une hausse des interventions pour impayés, coupures ou réductions de puissance de 18 % en électricité, et 10 % en gaz naturel, par rapport au premier semestre 2018 », ajoute l’observatoire. « Ces chiffres de l’ONPE ne sont pas surprenants mais ils sont sans doute en deçà de la réalité. Ils ne prennent plus du tout en compte les ménages qui dépensent moins d’énergie parce qu’ils se privent de chauffer, qui ont froid chez eux avec des conséquences sur leur santé », souligne Marie Moisan, animatrice du Réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel) pour le Réseau pour la transition énergétique (Cler). « Il y a certainement des phénomènes d’autorestriction importants », ajoute-t-elle.

De son côté, Hélène-Sophie Mesnage, déléguée générale adjointe de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) pointe du doigt le « paradoxe » de la précarité énergétique. « C’est un phénomène connu, largement identifié, qui a fait l’objet de nombreuses analyses à grand renfort de chiffres, qui a connu des évolutions législatives ces dix dernières années, et malgré tout, les chiffres sont en augmentation. Alors qu’on dispose sur la table des diagnostics, des leviers qui permettraient de lutter efficacement contre ce fléau, le nombre de personnes en situation de précarité énergétique continue d’évoluer à la hausse. Il s’agit d’un constat d’échec pour tous les acteurs engagés dans cette lutte, et ils sont nombreux », déplore-t-elle.

Selon Arnaud Leroy, les leviers d’actions sont de deux ordres : « Traiter les causes en agissant sur la consommation, notamment au travers de la performance énergétique des logements ; proposer une aide au paiement de la facture énergétique pour les ménages modestes. » Le programme « Habiter mieux », porté par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) dans le cadre de sa mission de lutte contre la précarité énergétique, a permis de rénover 116 995 logements en 2019. Pour accompagner les ménages en situation de précarité énergétique, l’Etat a mis en place des dispositifs d’aide, comme le chèque énergie (de 48 € à 22 €) qui a été adressé à 3,6 millions de ménages en 2018 et 5,7 millions en 2019. « Distribuer des chèques énergie à des personnes qui habitent dans des passoires thermiques n’a pas de sens. L’enjeu est aussi sur des actions structurelles qui concernent le logement et le bâti. Il faut changer de braquet », insiste Hélène-Sophie Mesnage.

La rénovation énergétique des logements est « l’une des clefs de réussite de la lutte contre la précarité énergétique », considère Arnaud Leroy. « Le programme des certificats d’économies d’énergie [CEE] peut y contribuer pour une part, mais une mission d’accompagnement des ménages doit être renforcée sur l’ensemble du territoire pour permettre aux millions de ménages qui ne peuvent plus assurer de confort dans leur logement de sortir de cette situation. »

L’enjeu est de taille. Le plan de rénovation énergétique des bâtiments dénombre de 7 à 8 millions de passoires thermiques en France. Parmi celles-ci, 3,8 millions sont occupées par des ménages modestes, dont 1,5 million sont propriétaires de leur logement. L’Etat se fixe l’objectif d’accompagner financièrement chaque année 150 000 rénovations de ce type. « Les objectifs proposés dans la loi de 2015 sur la transition énergétique étaient ambitieux mais les moyens financiers mis sur la table ne permettent pas à ces ménages de faire réaliser des travaux qui leur permettent de sortir durablement de la précarité énergétique. Les moyens financiers ne sont pas en phase avec les objectifs de la loi ni avec les besoins et les attentes de la population française sur ces sujets-là », juge Marie Moisan.

« Millefeuille illisible »

Par ailleurs, si les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique dans l’habitat ancien ne manquent pas, ils constituent un véritable maquis. « Il existe aujourd’hui plus de 15 mécanismes nationaux pour le financement de la rénovation énergétique et plus de 2 000 aides locales. Ce millefeuille illisible pour les ménages engendre un non-recours important, et conduit à un saupoudrage conséquent de 4,5 milliards d’euros par an », critique le réseau Rappel. « Pour parvenir à des travaux de rénovation efficaces et de grande ampleur, il faut mettre l’accent sur l’information et l’accompagnement des ménages concernés afin que les aides qui existent soient saisies », explique Marie Moisan.

Afin d’accélérer la rénovation énergétique des logements et la lutte contre les passoires thermiques, le gouvernement déploie depuis fin 2019, le programme d’information « service d’accompagnement à la rénovation énergétique » (Sare), qui permet à des régions de contractualiser avec l’Etat sur une période de trois ans, et de fournir aux particuliers un système d’information efficace sur les travaux de rénovation énergétique. L’enveloppe budgétaire pourra atteindre les 200 millions d’euros sur la période 2020-2024. « On s’interroge sur le côté service public d’un tel dispositif, car c’est sur la base du volontariat qu’il sera mis en place du côté des collectivités. Quid des territoires où il n’y aura pas de conventions signées ? », interroge Marie Moisan. Et de poursuivre : « Un service public est censé être accessible de manière équitable en tous points du territoire et le service est sous-financé par rapport aux besoins d’accompagnement. Aujourd’hui, il y a environ 800 conseillers info énergie dédiés à l’orientation et au conseil des ménages dans la rénovation énergétique, il en faudrait au moins trois fois plus vraiment répondre aux besoins de la population et trouver ces conseillers à l’échelle territoriale pertinente. »

« Puits sans fond »

Si le volet préventif de la lutte contre la précarité énergétique est à la peine, qu’en est-il du volet curatif ? D’après le rapport statistique annuel « Etat de la pauvreté en France 2019 » du Secours catholique-Caritas France publié en novembre dernier, la moitié des ménages accueillis est en situation d’impayés (loyer, énergie, eau, découvert bancaire…). Parmi eux, 40 % déclarent des impayés liés à la fourniture de gaz, d’électricité ou de combustible. Un chiffre en légère diminution par rapport à 2017. Parmi les personnes concernées par des impayés de gaz-électricité, la part de celles âgées de plus de 60 ans est plus élevée que pour les autres situations d’impayés. Ces personnes ont également un niveau de vie légèrement plus élevé, perçoivent plus souvent des prestations logement, le revenu de solidarité active (RSA), sont moins souvent en situation d’emploi et vivent davantage(pour 36,7 %) en location privée. Les factures d’énergie impayées sont le premier poste de dépense pour le fonds de solidarité pour le logement. Par ailleurs, selon l’enquête « Vivre » publiée par l’Unccas en 2019, six CCAS-CIAS sur dix octroient des aides spécifiquement fléchées « énergie ». « Les demandes d’aide pour l’énergie restent dans le trio de tête derrière l’aide alimentaire et avant le logement », précise Hélène-Sophie Mesnage. La principale aide à l’énergie allouée par les CCAS-CIAS concerne la prise en charge d’un impayé d’électricité ou de gaz. « L’augmentation des aides à l’énergie pose la question de savoir si on est obligés à chaque fois d’augmenter les budgets pour répondre à cette demande. C’est un puits sans fond », fait remarquer la déléguée générale adjointe de l’Unccas. Et d’ajouter : « En tant qu’opérateurs publics, les CCAS sont amenés à intervenir à la fois sur le curatif, à travers les aides facultatives à l’énergie pour éviter aux personnes qu’elles ne basculent ou s’enfoncent encore plus dans des situations de précarité, mais également sur le volet préventif avec les logiques de prévention, de coordination avec les autres acteurs du territoire et d’information des personnes notamment pour l’accès à leurs droits. »

Pour le réseau Rappel, l’approche des élections municipales est « l’occasion de plaider pour le déploiement, dans tous les territoires, de plans d’actions pour sortir durablement les ménages de la précarité énergétique ». Principaux axes attendus au niveau local : améliorer le repérage des ménages concernés, renforcer la coordination des acteurs et des actions au niveau local, encourager et faciliter la réalisation de travaux de rénovation énergétique, déployer des actions à destination des locataires.

Les jeunes particulièrement concernés

D’après une enquête du médiateur national de l’énergie, les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité et la restriction de chauffage : 52 % des 18-34 ans déclarent que les dépenses énergétiques représentent une part importante de leurs dépenses (contre 63 % en moyenne). Par ailleurs, 26 % d’entre eux déclarent avoir souffert du froid, 45 % ont restreint le chauffage pour ne pas avoir des factures trop élevées et 17 % ont connu des difficultés pour payer leurs factures d’énergie (contre respectivement 33 % et 10 % pour l’ensemble des répondants).

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