Pénurie de personnels à tous niveaux, professions pénibles et peu valorisées… C’est une évidence pour tous : la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie fait face à des difficultés de recrutement colossales. Selon le rapport publié fin octobre par Myriam El Khomri pour répondre au vieillissement démographique et améliorer les conditions de prise en charge de ces personnes, près de 93 000 postes supplémentaires devront être créés dans les cinq prochaines années (2020-2024). Or l’attractivité des métiers du grand âge est aujourd’hui plus que dégradée. A cet égard, la baisse de 25 % en six ans des candidatures aux concours d’accès à la profession d’aide-soignant est très révélatrice. Afin de pallier cette difficulté, le groupe commercial d’Ehpad Maisons de famille a créé, en partenariat avec le Gérond’If (Gérontopôle d’Ile-de-France) et le groupe Abilways spécialisé dans la formation, un nouveau métier : accompagnateur de vie. Plus précisément, il s’agit d’un programme de formation innovant fondé sur des modalités pédagogiques interactives, ludiques, incluant du numérique et adapté à un public néophyte de demandeurs d’emploi.
« Ces dernières années, nous avons fait face à des difficultés grandissantes pour recruter du personnel qualifié. Nous devons aussi faire avec un personnel de plus en plus volatile (refus de contrats à durée indéterminée, absentéisme, turn-over) et un “Ehpad bashing” de plus en plus important », déplore Kristell Molina, directrice des ressources humaines (DRH) du groupe Maisons de famille. Avec certaines conséquences : « La qualité du travail se dégrade, ce sont toujours les mêmes salariés qui sont sollicités, il y a un épuisement professionnel, une dégradation du climat social et un manque de temps au détriment des missions essentielles au quotidien du résident et de sa famille », énumère la représentante de ce groupe qui compte près de 16 000 lits en Europe. C’est pourquoi, en 2018, Maisons de famille a décidé d’agir différemment dans le recrutement et la formation en lançant, avec Abilways, une préparation opérationnelle à l’emploi individuelle (POEI). « Il s’agit d’une opportunité pour nous de recruter des demandeurs d’emploi et de rendre attractifs les métiers de l’Ehpad », estime Kristell Molina. Cette POEI vise, entre autres, à anticiper les importants besoins de recrutement sur les postes existants dans les cinq prochaines années et à développer l’attractivité du secteur. « C’est aussi l’opportunité de casser les codes des métiers de l’Ehpad », assure la DRH de Maisons de famille.
Concrètement, par le biais de la POEI, le groupe a décidé d’élaborer ce nouveau métier. A savoir, une profession centrée sur les missions essentielles de l’accompagnement au quotidien du résident et de sa famille. Mais ce profil se situe plutôt entre l’hôtellerie, le soin et l’animation. « Nous avons inventé ce nouveau métier car si nous n’avions formé qu’aux métiers ou aux tâches à effectuer dans un Ehpad, nous n’aurions pas été attractifs », confie Fabrice Daverio, directeur « conseil et stratégie » à Abilways. Dans les faits, cette formation permet aux demandeurs d’emploi d’apprendre des techniques d’animation réutilisables dans d’autres cadres, d’autres structures de soins, d’hôtellerie, etc. L’idée est donc de former à un cocktail de compétences pour que ces personnes deviennent, à la fin de la formation, des futurs salariés de Maisons de famille mais qu’elles puissent aussi travailler pour d’autres structures (et pas nécessairement des Ehpad).
Une fois sélectionnés, les candidats ont suivi une formation complète permettant d’identifier les différents niveaux de prise en charge et l’ensemble des acteurs impliqués, et de comprendre le cadre professionnel dans lequel ils vont travailler. Ce dispositif permet aux candidats de travailler sur les postures professionnelles et les prérequis nécessaires à un accompagnement et à une prise en charge de qualité de la personne âgée. Plus précisément, la formation, dispensée par plus de 50 intervenants venus d’univers très différents (gériatres, directeurs d’Ehpad et de Ssiad, infirmières coordinatrices, psychologues du travail, aides-soignants…), dure 50 jours : 35 jours dispensés par Gérond’if sur le soin et le bien-vieillir, 10 jours par les Apprentis d’Auteuil sur le service en salle et 5 jours par Maisons de famille sur le résident et sa famille. « Dans le cadre du programme de formation, nous voulons faire passer le message que ce sont des métiers essentiels, d’avenir, en développement, explique Isabelle Dufour, déléguée générale de Gérond’If. Nous voulons également restituer l’action individuelle de ces futurs professionnels dans un environnement spécifique. Leur faire prendre conscience de l’environnement dans lequel ils agissent. » Parmi les visées de cette formation, et donc les ambitions de ce nouveau métier, il y a la volonté d’avoir une approche globale du parcours de la personne âgée, de transmettre la culture, l’approche spécifique, les techniques de la gériatrie et de montrer que de tels métiers sont porteurs de sens, d’utilité sociale.
Les 35 jours de formation menés par le Gérond’If sont divisés en sept modules : le métier et l’environnement (sept jours) ; l’adulte âgé (trois jours) ; les parcours (quatre jours) ; les soins (sept jours) ; vivre et prendre plaisir (quatre jours) ; se connaître pour mieux accompagner (six jours) ; « et demain ? » (quatre jours). « Pour le module “métier et environnement”, nous avons organisé une table ronde au cours de laquelle les candidats ont pu poser des questions à des directeurs, un AES (accompagnant éducatif et social), un aide-soignant, une psychologue, une diététicienne. Ils ont pu également s’immerger en établissement 24 heures sur 24. Nous avons d’ailleurs beaucoup insisté sur la nuit, période essentielle de l’accompagnement », détaille Isabelle Dufour. De manière générale, pour évaluer la perte d’autonomie, il existe de nombreuses échelles de mesure, lesquelles portent le plus souvent sur les gestes de la vie quotidienne (se lever d’un fauteuil, marcher, se laver, s’habiller, manger…). Dès lors, tout intervenant en contact avec la personne âgée doit les connaître et les détecter. Pour les identifier, l’intervenant doit être attentif à des signes de souffrances physiques ou psychiques (grimace, repli sur soi, oublis ou troubles du comportement tels que la colère ou l’agressivité). Il doit également rechercher les signes évoquant une mauvaise alimentation (perte de poids ou refus de s’alimenter, chutes passées inaperçues, mauvaise prise de médicaments). Autant de symptômes que le candidat aura appris à détecter au cours de sa formation d’accompagnateur de vie. Et qui doit lui permettre, à terme, une montée en compétences et une professionnalisation vers le métier d’accompagnant éducatif et social (AES).
ET POUR LA SUITE ?
En septembre, à l’issue d’un job dating 15 candidats ont signé une promesse d’embauche en CDI dans huit établissements, dont deux en province. A plus long terme, l’objectif est de répliquer cette formation. Pour cela, une phase d’évaluation débutera trois mois après la préparation opérationnelle à l’emploi individuelle (POEI) en proposant aux accompagnateurs de vie des entretiens semi-dirigés afin de savoir s’ils se sentent bien dans leurs missions, si la formation leur semble adaptée et s’ils estiment avoir eu suffisamment d’outils et de notions pour remplir leurs missions. Leurs cadres seront aussi interrogés afin de recueillir leur niveau de satisfaction. Enfin, un an après, une enquête sera menée afin de savoir si les accompagnateurs de vie sont toujours en poste ou de nouveau au chômage, s’ils se sont engagés dans un parcours diplômant ou si les cadres de l’Ehpad sont prêts à recruter à nouveau via la POEI.