Directrice de l’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) L’Oustal à Pignan, dans l’Hérault, Céline Durand est fan de l’apprentissage : « Je dirige un Ehpad réservé à un public qui présente des troubles cognitifs très sévères. C’est donc un terrain d’emploi exigeant qui requiert des salariés avertis et motivés, mais aussi adaptables à des horaires particuliers. Je suis donc très exigeante sur mes recrutements. Ma démarche aujourd’hui est de basculer, quand cela est possible et quand le salarié a démontré des appétences à ce métier, un jeune recruté en contrat aidé vers un contrat d’apprentissage. Pendant six mois ou un an, j’ai eu ainsi le temps de les tester, et ça me sécurise dans mes recrutements. » Cela a été le cas de Marion, d’abord recrutée en contrat aidé avant de signer un contrat d’apprentissage pour devenir aide-soignante à L’Oustal. A la fin de son contrat, elle est partie dans un autre établissement, puis Céline Durand l’a rappelée pour lui proposer un poste en contrat à durée indéterminée (CDI). « Actuellement, dans la continuité d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi, nous avons proposé à Wafa de signer un contrat d’apprentissage afin d’obtenir son diplôme d’aide-soignante. Pour moi, recruter un jeune en apprentissage c’est lui donner la chance d’accéder à la qualification, le faire grandir vers son projet professionnel ! C’est ça l’esprit de la maison ! », s’enthousiasme la directrice.
L’apprentissage est sans conteste l’un des meilleurs tremplins vers l’emploi : selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 82 % des jeunes apprentis ont un contrat de travail régulier moins d’un an après la fin de leur formation. L’alternance est une des priorités de l’actuelle ministre du Travail dans le cadre de la politique de l’emploi : « La formation professionnelle initiale, et notamment l’apprentissage, sont insuffisamment développés dans notre pays, alors qu’ils constituent une des clés de succès dans le combat contre le fléau qu’est le chômage », notait cependant Muriel Pénicaud en juin 2018. Et le secteur médico-social est bien placé pour partager ce constat.
Aujourd’hui, à peine 2 apprentis sur 100 sont de futurs aides-soignants. Au dernier comptage de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), on dénombrait seulement 118 étudiants préparant un diplôme d’Etat d’aide-soignant par la voie de l’apprentissage en 2016. Cela représentait 1,7 % du total des apprentis en France. Même constat à la Dares, qui évalue le nombre d’apprentis dans les domaines « santé humaine et action sociale » à 1,9 % du total des contrats signés en 2017 dans le secteur privé. Quant aux apprentis dans les hôpitaux et établissements publics, seuls 620 ont signé un contrat en 2017, soit à peine 4,5 % du nombre total de contrats conclus, selon la direction générale de l’administration et de la fonction publique. « Beaucoup trop d’obstacles et de dysfonctionnements privent les jeunes de formations adaptées à leurs besoins », estime-t-on au ministère du Travail. Dans le même temps, les jeunes ne trouvent pas de structures ou d’entreprises d’accueil pour effectuer leur apprentissage alors que des dizaines de milliers de places ne sont pas pourvues. En effet, 2 000 postes d’apprentis sont à pourvoir dans les Ehpad, selon le Syndicat national des établissements et résidences privées. La loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », portée par la ministre du Travail, comporte plusieurs mesures phares pour reformer la formation en contrat d’apprentissage. De nouvelles règles s’appliquent désormais aux 995 centres de formation d’apprentis.
L’un des premiers changements opéré par la loi est la définition même d’un CFA : depuis le 1er janvier 2019, il s’agit d’un organisme de formation qui dispense des actions de formation par apprentissage, au sens de l’article L. 6211-2 du code du travail, concourantes au développement des compétences. Contrairement au rattachement obligatoire des CFA à un organisme gestionnaire dans le cadre du texte en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018, l’organisme de formation dispensant des actions de formation par apprentissage a aujourd’hui une autonomie juridique et doit se déclarer auprès du service régional de contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
A partir du 1er janvier 2020, autorisation administrative et convention avec la région ne seront plus nécessaires pour ouvrir un centre de formation d’apprentis. Pour répondre au besoin de formation en apprentissage, il est également possible de conclure une convention autorisant la dispense d’une partie ou de l’intégralité des enseignements par des établissements d’enseignement, des organismes de formation ou encore des entreprises. Le centre conserve, dans ce cas, la responsabilité pédagogique et administrative des enseignements dispensés. Dans le cas d’une convention conclue entre un CFA et un établissement d’enseignement, il peut être spécifiquement créé une unité de formation par apprentissage (UFA) qui dispense une formation dont il garde la responsabilité pédagogique.
Les centres de formation d’apprentis existant en 2018 ont jusqu’au 31 décembre 2021 pour se conformer à la nouvelle législation. Ils poursuivent donc la dispense de leur formation sous les formes juridiques prévues avant la promulgation de la loi.
La loi allégeant les conditions d’ouverture d’un centre de formation d’apprentis, de nouveaux acteurs vont faire leur apparition. Ils devront toujours respecter la gratuité de la formation pour l’apprenti, la création d’un conseil de perfectionnement, tenir une comptabilité analytique et diffuser annuellement les résultats (taux d’obtention des certificats, taux de poursuite d’études…) Jean-Christophe Chamayou, fondateur de Lafayette Associés, cabinet spécialisé dans la stratégie de développement des établissements publics et privés de la formation, estime que « pour les CFA, la réforme ouvre certes le champ au développement d’une concurrence de plus en plus accrue, mais c’est également l’opportunité de repenser à la fois son modèle économique ainsi que son modèle de développement. La simplification des procédures d’ouverture ne supprime pas les exigences de qualité et les relations de confiance bâties depuis des années. »
Le marché sera désormais piloté par les branches qui fixent le coût des contrats d’apprentissage pour chaque certification. Ce sera désormais un financement au « contrat » : les centres de formation d’apprentis toucheront pour chaque jeune en contrat d’apprentissage une somme forfaitaire. C’est la fin du financement à la subvention. « En somme, plus un CFA aura de jeunes en contrat, plus celui-ci pourra améliorer ses ressources », souligne Jean-Christophe Chamayou.
La régulation sera faite par France compétences, autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sur la base de ses recommandations. Très concrètement, le processus devient le suivant : les branches professionnelles définissent tout d’abord leurs niveaux de prise en charge. Elles font remonter ces niveaux auprès des onze opérateurs de compétences (Opco) – ex-Opca (organisme paritaire collecteur agréé) – au plus tard le 1er février.
Le secteur du médico-social sera régi par l’Opco Santé (qui comprend 11 000 entreprises et structures et 1 million de salariés) et l’Opco Cohésion sociale (54 096 entreprises adhérentes, 1,111 million de salariés couverts, 21 millions d’euros collectés au titre de l’apprentissage et 6 072 bénéficiaires d’un contrat de professionnalisation). Ces deux opérateurs de compétences ne devraient plus faire qu’un en 2022. Les Opco envoient ensuite ces données à France compétences. Cette dernière émet des recommandations, avant le 15 mars, après avoir consolidé et analysé les valeurs fixées par les branches. Elles auront jusqu’à mi-avril pour prendre en compte les recommandations de France compétences. L’Etat n’interviendra par décret que pour fixer les niveaux de prise en charge pour les branches n’en ayant transmis aucun et pour les cas où elles n’ont pas pris en compte les recommandations de France compétences. 80 % des commissions paritaires nationales de l’emploi (CPNE) ont communiqué, en temps et en heure, leurs niveaux de prise en charge pour les diplômes sur lesquels elles se considèrent comme pertinentes.
Si les régions ne piloteront plus financièrement les centres de formation d’apprentis, elles interviendront néanmoins en matière de financement des CFA à deux niveaux. Elles disposeront d’une dotation évaluée sur la base des investissements qu’elles auront réalisés sur la période 2017-2019. Elles complèteront la prise en charge des contrats dans une logique d’aménagement du territoire ou de développement économique pour plus d’équité (ne pas pénaliser les zones rurales aux faibles effectifs, par exemple).
Concurrence, coût des contrat… La réforme fait souffler un vent de libéralisation du marché de l’apprentissage qui aura pour conséquence de redistribuer les rôles entre les acteurs de l’écosystème : les centres de formation, les établissements, les entreprises, les apprentis, les Opco et les régions. En tout cas, le secteur du médico-social est dans les starting blocks.
Le secteur sanitaire et social, dans son ensemble, compte près de 8 000 apprentis, ce qui représente seulement 0,2 % des effectifs salariés du secteur. Deux professions et catégories socioprofessionnelles, regroupent près de la moitié des apprentis (48 %) : les agents de services hospitaliers et les aides-soignants. L’apprentissage dans la branche est particulièrement présent au sein de trois régions : Ile-de-France, Provence-Alpes Côte d’Azur et Occitanie. A elles seules, ces régions regroupent près de deux tiers des apprentis (62 %). Ce développement peut être relié à l’implantation « historique », dans ces trois régions, de centres de formation par apprentissage créés à l’initiative des acteurs de la branche. Parmi les formations préparant aux diplômes d’Etat « cœur de métier » du secteur médico-social dominent les aides-soignants et les infirmiers. D’autres diplômes préparant aux métiers du soin et de l’intervention médico-sociale se retrouvent dans les dix formations les plus représentées : le bac pro « accompagnement soins et services à la personne » et les diplômes d’Etat « psychomotricien » et « masseur kinésithérapeute ».
(Source : Drees, Dares, Observatoire Hospitalisation privée)