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Entre objectivité et subjectivité

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Quels sont les déterminants qui font que des personnes se retrouvent en situation de pauvreté ? Peuvent-elles en sortir ? A questions simples, réponses complexes proposées lors du séminaire organisé par la Dress et l’Onpes le 14 janvier à Paris.

Entre 2019 et 2020, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) ont décidé d’organiser plusieurs séminaires consacrés aux « Trajectoires et parcours des personnes en situation de pauvreté ». Après un état des lieux des connaissances dressé le 3 décembre, la journée du 14 janvier s’est intéressée aux déterminants de la pauvreté.

Premier constat : il est communément admis dans la littérature que les jeunes représentent la tranche d’âge la plus touchée par la pauvreté monétaire. En cause, la décohabitation d’avec leurs parents. Or, selon Tom Chevalier, chercheur au CNRS, « on a un problème de mesure » et d’autres indicateurs sont à considérer, principalement la privation matérielle et le sentiment d’insécurité. Dans son travail, portant sur une population de 18 à 34 ans évaluée en 2007, 2011 et 2016 dans 22 pays d’Europe, il estime « pauvres » les jeunes qui ne peuvent pas chauffer adéquatement leur logement, manger de la viande, de la volaille ou du poisson tous les deux jours et avoir des amis ou de la famille pour un verre ou un repas au moins une fois par mois. Les résultats de son étude montrent que l’âge n’apparaît pas forcément significatif : d’autres tranches d’âge, surtout les plus de 65 ans, étant davantage touchés par la privation matérielle.

Baisse de revenus au premier enfant

En revanche, l’impression subjective joue pour beaucoup. Pour preuve, un quart des 18-34 ans ont la sensation d’être pauvres alors qu’objectivement, ils ne sont pas dans un contexte de privation matérielle. Une grande diversité existe, par ailleurs, entre les différents pays. Un phénomène lié aux politiques publiques où deux stratégies cohabitent : l’individualisation dans lequel le jeune peut directement percevoir des aides à partir de 18 ans et la familiarisation dans laquelle les aides sont conditionnées aux revenus de leurs parents jusqu’à 25 ans et qui serait moins protectrice (voir interview ci-contre).

D’autres critères interviennent également dans la pauvreté des jeunes : faible niveau d’études, absence d’emploi, moindre rémunération, monoparentalité. De fait, les familles monoparentales sont les plus à risques de précarité. Mais qu’en est-il de l’arrivée d’un premier enfant sur les trajectoires des personnes en situation de pauvreté ? C’est la question que se sont posés deux chercheurs de l’Insee-Crest, Pierre Nora et Lionel Wilner, dans une étude allant de 2002 à 2015 sur 1,1 % des salariés. Réponse : les femmes ayant le salaire horaire le plus faible cinq ans avant la maternité subissent une baisse de revenus de l’ordre de 60 % après la naissance du premier enfant qui persiste au moins cinq ans plus tard (passage à temps partiel, garde de l’enfant à la maison…). L’impact est encore plus fort au deuxième enfant. En revanche, il est mineur pour les femmes les mieux rémunérées. Les hommes, eux, ne sont pas affectés par la survenue d’un enfant, ils ne sortent pas du marché du travail et leur salaire ne diminue pas. « Le creusement des inégalités de genre en termes d’incitation financière entre les femmes et les hommes perdure pendant dix ans », affirme Pierre Nora.

Instabilité du travail et bas salaires

Le travail et le niveau de rémunération interviennent inévitablement dans les situations de pauvreté. Une enquête de 2018 indique, par exemple, que 27 % des salariés ont connu des parcours précaires dus au chômage et au déclassement. Les femmes peu diplômées, les personnes ayant des problèmes de santé ou des conditions de travail difficiles… sont en première ligne. De même, parmi les personnes à bas salaire, un cinquième appartiennent à des ménages pauvres. Ces derniers font aussi plus d’aller et retour dans l’emploi et sont plus souvent en situation de sous-emploi. « La crise de 2008 a rendu les augmentations de salaires moins fréquentes », pointe Sébastien Grobon de la Dares. Selon une enquête parue en 2019, environ 11 % des salariés sont au Smic. Si deux tiers des épisodes de salaire minimum ne durent qu’un an, au-delà, la probabilité que le salarié y reste longtemps augmente. Sur l’ensemble des salariés, 4 % seraient au Smic depuis plus de deux ans. L’entrée sur le marché du travail étant synomyme de bas salaires, les jeunes sont les plus concernés en début de carrière mais connaissent une progression salariale plus fréquente que les plus personnes de 50 ans, qui ont, en outre, plus de risques d’être au chômage. La probabilité d’être inscrit à Pôle emploi plus d’un an et de venir grossir le taux de personnes pauvres dépend aussi de la précarité des contrats (CDD et l’intérim…). « Un quart des salariés connaissent des aléas de carrière et des conditions de vie difficile. Il semble y avoir un effet de trappe à bas salaire dans les trajectoires de la pauvreté pour une minorité de personnes, particulièrement les femmes et les plus de 50 ans », observe Sébastien Grobon.

Sortir ou rester dans la pauvreté

Le problème est que la persistance de la pauvreté ne diminue pas. Entre 2011 et 2016, 22 % des personnes ayant été pauvres une fois dans le passé le sont redevenues. Pour autant, la pauvreté n’est pas un état mais un processus. Dans sa thèse, la sociologue Claire Auzuret(1) évalue les principaux déterminants socio-économiques qui ont permis à 20 % des personnes qu’elles a rencontrées d’en sortir : recours à l’emploi, constitution d’un couple, solidarité familiale, réseau relationnel, aides institutionnelles. A contrario, la maladie, l’isolement social, la monoparentalité constituent des obstacles et favorisent l’installation dans la pauvreté, c’est le cas de la moitié des personnes qu’elles a suivies. Avoir un travail ou en retrouver un est fondamental, mais le soutien affectif d’un conjoint est aussi capital. « Un couple ayant connu un épisode de grande précarité après un problème médical du mari m’a dit : “On préfère manger une patate à deux qu’un steak tout seul” », relate la sociologue. Forte des témoignages qu’elle a recueillis et sans minimiser les statistiques, la chercheuse insiste sur l’idée d’établir de nouveaux indicateurs : « Il y a une inadéquation entre la situation de pauvreté monétaire telle que pensée par l’administration et le vécu subjectif des personnes qui ne se considèrent pas forcément pauvres. Car, malgré des revenus en dents de scie, elles disent ne pas être dans la rue, n’avoir pas de dettes, ne pas élever leurs enfants seules… Elles ont plutôt un sentiment d’insécurité sociale du fait de ne pas pouvoir se projeter dans l’avenir. »

Notes

(1) Qui a travaillé sur les données de 11 983 foyers allocataires de la CAF et réalisé des entretiens qualitatifs auprès de 31 ménages.

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