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« Un espace de travail pour tous les acteurs du handicap »

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En fonction à compter du 22 janvier, le nouveau président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) nous livre en avant-première ses ambitions pour cette institution renouvelée. Il s’agit d’abord pour lui d’être présent en amont des textes de loi plutôt qu’en aval.
Vous venez d’être désigné comme nouveau président du CNCPH et vous allez prendre vos fonctions le 22 janvier. Que représente pour vous cette institution ? Pourquoi avoir accepté d’en prendre la tête ?

J’ai la chance de l’avoir vu sous toutes ses coutures… Je connais ce conseil depuis 20 ans, lorsqu’à l’époque je m’y rendais en tant qu’assistant parlementaire. Je l’ai donc vu à des périodes où rien ne s’y passait ; à d’autres où les plénières se multipliaient à l’infini en préparation de la loi du 11 février 2005, et je le vois maintenant, où se formulent de toujours plus nombreuses attentes de co-construction. Je l’ai aussi vu de l’extérieur, lorsque j’étais conseiller dans les cabinets ministériels : je sais donc ce que peut en attendre la puissance publique. Il me semble qu’aujourd’hui, on est tous d’accord pour dire qu’on a besoin d’un espace où tous les acteurs concernés par le sujet du handicap peuvent discuter et travailler. Il me semble aussi qu’il nous faut de temps en temps sortir de l’habituel rapport de force, parfois caricatural, qu’on retrouve souvent dans le champ du handicap. En réalité, il nous faut un travail de pédagogie, de part et d’autre : les personnes handicapées doivent comprendre les contraintes des pouvoirs publics, ou ce qui est vécu comme tel ; en regard, les gouvernants doivent nous faire confiance lorsqu’on exprime des besoins en matière de compensation, d’accessibilité… J’ai donc accepté cette mission, parce qu’il me semble que tout n’a pas été fait pour que le CNCPH donne aux personnes envie d’y croire, de s’engager dans une mobilisation collective et à tous les acteurs de la société civile de venir échanger avec nous.

Une volonté, selon vous, que reflète le nouveau visage de cette institution dont la composition a été renouvelée ?

En effet, le conseil est renforcé, et compte 160 membres. Il comprend six collèges : celui des associations représentatives des personnes et des familles est le plus conséquent, avec 62 organisations représentées. Celui des associations de professionnels compte 33 membres. Un troisième accueille 24 personnalités dites qualifiées. Ces trois premières sections sont directement représentatives des personnes handicapées. Organisations syndicales et employeurs sont rassemblés dans un quatrième, tandis qu’acteurs institutionnels de la recherche et de la protection sociale, d’une part, et territoires et élus, de l’autre, disposent également d’un collège chacun.

Comment ces personnes ont-elles été choisies ?

Un comité de recommandation a fait des propositions à la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel, après avoir étudié les 400 dossiers de candidature. Et toutes travailleront dans une des neuf commissions. La plupart préexistaient à cette nouvelle organisation (compensation ressources, accessibilité, éducation…) mais une nouvelle commission est instaurée, autour des territoires et de la citoyenneté. Au passage, permettez-moi de dire que je ne supporte pas que l’on parle de la citoyenneté des personnes handicapées ! Comme si elles n’étaient pas, naturellement, citoyennes ! Que l’on parle plutôt de l’exercice de la citoyenneté !

Les nouveaux contours du CNCPH étaient l’un des cinq chantiers préparatoires à la Conférence nationale du handicap qui se tiendra le 11 février prochain. Selon vous, quelle philosophie a-t-elle présidé aux changements opérés ?

Je crois qu’il s’agit de mettre l’accent sur les conditions de la co-construction dont on parle tant. Et qui reste à définir. Pour moi, dès lors qu’elle ne signifie pas communication gouvernementale, tout est ouvert. Certains le redoutent, et c’est légitime. Moi non, et c’est pour cette raison que j’ai accepté cette mission ! Tout l’enjeu de ce renouveau est de donner envie, afin que l’on ne soit pas la dernière roue du carrosse dans l’élaboration des projets de loi. Nous devons être là dès le début de la chaîne de décision, dès que n’importe quel ministre prend son crayon pour préparer un texte.

Ne formulez-vous pas là un vœu pieux ?

Il est vrai que l’on a déjà connu des échecs en la matière. François Hollande l’avait promis. Et finalement il suffisait, pour contourner la circulaire qui le stipulait, de déclarer que le projet de loi ne concernait pas les personnes handicapées pour ne rien avoir à envisager de particulier. Or, toutes les lois les concernent ! Prenons l’exemple de la loi sur le mariage pour tous. On ne s’est pas posé la question de la façon dont on aurait pu en profiter pour lever des situations de handicap. Toute loi doit permettre de se poser une telle question, ou d’anticiper sur les adaptations nécessaires des mesures contenues dans le projet de loi en élaboration. Si je ne me fixe qu’un seul objectif, c’est celui-là. Or pour l’atteindre, il nous faut développer une expertise de secteur.

Et selon vous, en 2020, quels devraient être les textes ayant le plus d’impact pour les personnes handicapées ?

Cela va découler du calendrier gouvernemental, qui ne dépend pas de moi ! Mais bien sûr, nous attendons le projet de loi sur l’autonomie, celui sur les retraites, le projet de loi de finances de la sécurité sociale…

Parmi les textes récents, certains vous semblent-ils avoir mieux pris en considération les questions liées au handicap que d’autres ?

Autant celui sur l’audiovisuel n’a, hélas, fait l’objet d’aucune concertation, autant en matière d’emploi ou de scolarité, il me semble que oui, le sujet a été intégré aux préoccupations. Mais nous devons aller plus loin. L’exemple du Conseil économique, social et environnemental doit nous inspirer, lui qui a vraiment une culture de l’échange permanent avec la société civile dans son ensemble.

Vous vous inscrivez donc pleinement dans le mouvement qui veut que les questions liées au handicap ne fassent plus l’objet de législations spécifiques mais trouvent leur place dans tous les dispositifs dits de droit commun…

Moi oui, mais on voit toujours ces contradictions entre la volonté d’être traité comme tout le monde et celle de revendiquer une spécificité… Ces enjeux sont complexes. Je ne vois par exemple toujours pas pourquoi on continue à parler « des » personnes handicapées, comme si elles formaient un tout, alors qu’il y a tellement de différences…

Voulez-vous ouvrir un débat sémantique ?

C’est l’un des sujets sur lesquels j’aimerais qu’on échange. Je n’aime pas les expressions à rallonge qui ne veulent plus rien dire. Il me semble que changer de terminologie sans cesse traduit une vision négative. Après tout, handicapé n’est pas un gros mot ! Se posent aussi les questions de représentation visuelle, la question du pictogramme, nombreux étant ceux qui ne veulent pas être représentées par le fauteuil roulant. Pour ma part, j’aimerais surtout un pictogramme qui indique le service disponible, par exemple un symbole qui indiquerait si dans tel débat, il y aura une traduction en langue des signes ou si l’on disposera d’une boucle magnétique d’amplification.

Tout ceci ne sera sans doute pas au menu de la Conférence nationale du handicap. Qu’en espérez-vous ?

Je ne peux encore à ce stade m’exprimer au nom du CNCPH sur ce sujet. Ce que j’en attends personnellement, c’est d’abord une évolution palpable immédiatement et irréversible de l’accessibilité. A commencer par l’accès à la communication gouvernementale. Ça ne me paraît quand même pas très compliqué et ça ne va pas ruiner la nation française ! Evidemment, sur le fond des dossiers, j’attends aussi un mieux en matière de compensation, d’éducation, d’habitat inclusif, d’accès aux soins… Plus qu’un catalogue de mesures, j’aimerais qu’Emmanuel Macron frappe un grand coup sur quelques axes forts.

Croyez-vous au pouvoir d’influence du CNCPH ?

Je ne dis pas encore qu’il a du pouvoir. Mais il est conforté dans son rôle, avec le temps. La preuve ? Les saisines qu’on lui adresse se multiplient. On nous oublie moins que par le passé. On aura un réel pouvoir lorsqu’on sera en capacité d’intervenir en amont des décisions. Nous sommes encore trop dans la réaction, la réparation, l’indignation.

Est-ce une spécificité française ?

Je ne sais pas mais en tout cas, il me semble qu’en France nous partageons davantage une culture du débat plutôt qu’une habitude de co-construction. Et pas seulement sur le sujet du handicap, mais de façon générale !

Repères

Attaché parlementaire, puis conseiller ministériel, Jérémie Boroy œuvre depuis de nombreuses années à une meilleure prise en compte des personnes handicapées, en particulier en matière d’accessibilité. Un enjeu qu’il porte aussi, actuellement, au sein du Conseil national du numérique, dont il est membre depuis mai 2018.

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