J’ai repris la CNDEPAH en mai 2019 avec la priorité de travailler sur les effectifs. Aujourd’hui, nous savons que le personnel en établissement est très dévoué, très investi, qu’il fait du mieux qu’il peut, mais qu’il n’y a pas assez de professionnels sur le terrain. Ce diagnostic est partagé par tous les acteurs. Mais, du strict point de vue des effectifs, il n’y a jamais eu d’analyse de l’existant ni de mesure du fossé qui nous sépare de l’attendu. J’espère qu’avec notre enquête nous y avons répondu. Le temps nous semblait donc venu de faire un point sur ce sujet. C’est pourquoi nous avons lancé, en octobre, une enquête auprès de tous nos membres, représentant un panel très diversifié d’Ehpad, sur tout le territoire. Clairement, l’objectif de cette enquête était de se dire qu’il ne fallait pas partir d’un a priori global mais des effectifs globaux, des effectifs présents et de ce qu’ils font. Jusque-là, seule la Drees avait détaillé, dans une enquête de 2015, les effectifs des Ehpad. La limite de cette enquête est qu’elle ne distingue pas suffisamment les glissements de tâches, pourtant importants dans nos établissements en raison d’un manque d’aides-soignants.
De manière très pragmatique, dans tous nos établissements, des agents de service hospitalier font fonction d’aides-soignants par glissement de tâches, parce que ceux-ci ne sont pas assez. Une réalité qui n’avait jamais été quantifiée, mesurée. Ce qui était l’un des objectifs de notre enquête.
Au-delà de quantifier le glissement de tâches, l’autre nouveauté de l’enquête est qu’elle permet de savoir ce que font concrètement les effectifs, de mesurer ce qui est fait et ce qu’il ne l’est pas. Je pense qu’il s’agit même de son enseignement principal. Finalement, il s’agit d’une sorte de « baromètre de la frustration » des Ehpad. Cela permet de montrer ce que les effectifs actuels ne permettent pas de faire et ce que, raisonnablement, nous pensons être nécessaire pour passer un palier. Ce n’est pas atteindre un idéal, l’eldorado, mais une étape, de manière à ce que l’on augmente la qualité de la prise en charge et de l’accompagnement des résidents en Ehpad. Il a donc fallu passer par le micro pour illustrer le macro. Et ça, ça n’avait jamais été fait.
Il est à souligner que ces postes ne sont que la conséquence de la démonstration préalable. En clair, c’est en partant du terrain, en comprenant ce que l’on ne peut pas faire que l’on peut expliquer, justifier ces 36 000 emplois.
Aujourd’hui, en moyenne, les agents consacrent 43 minutes par résident le matin. Dans ces 43 minutes, il y a l’aide au lever, le lever, le petit déjeuner, l’habillage, la toilette, les transferts, le repas du midi… Or, globalement, nous accueillons des personnes de plus en plus dépendantes, donc il faut leur accorder de plus en plus de temps. Même si ces 43 minutes ne sont qu’une moyenne, elles sont le reflet de ce qu’elles ne permettent pas de faire. C’est pour cela que je parle de « baromètre de la frustration ». En effet, aujourd’hui, il y a des choses que nous ne faisons pas suffisamment en établissement. Par exemple, tout ce qui tourne autour de la prévention, de la prise en charge, de l’hydratation, de la nutrition, des soins bucco-dentaires, du projet de vie individualisé…
Au fond, ce que nous proposons, c’est à la fois de redonner du temps aux soignants pour que le moment de la toilette soit plus individualisé, plus respectueux et que tous les autres temps puissent être, au moins en partie, réalisés sans que l’on demande un doublement des effectifs. De ce baromètre de la frustration, il faut passer à une projection qui permettrait d’améliorer la situation sans être déconnecté des réalités financières. C’est pour cela que nous sommes cohérents en proposant un ratio à 0,80. Ce qui est assez proche de ce qui est préconisé par le rapport « Libault » et le Conseil de l’âge. Et nous demandons aussi que l’atteinte de la cible soit effective, au plus tard, en 2024
Aujourd’hui, pour une unité de 26 lits (taille médiane des unités des Ehpad), 4,67 agents se répartissent les 14 heures de travail entre 7 heures et 21 heures. Ce qui confirme ce que les établissements constatent tous les jours : 3 soignants le matin et 2 soignants l’après-midi pour une unité d’environ 30 lits. Or cette réalité factuelle ne permet pas un certain nombre de choses. Nous sommes partis de l’hypothèse que, pour améliorer les choses de manière significative, il fallait des unités plus petites (20 lits) et des ratios d’effectifs améliorés. Même si, au final, nous restons sur 3 soignants le matin et 2 l’après-midi, mais pour 20 lits et non plus 30. Grâce à ces ratios améliorés (représentant donc 36 000 postes supplémentaires), on passerait, en moyenne, d’un accompagnement de 43 à 65 minutes par résident en matinée et de 28 à 43 minutes l’après-midi. Nous pensons que ces ratios sont ce qu’il y a de souhaitable pour améliorer l’accompagnement dans son individualisation et arriver à la prise en charge de la prévention, des soins bucco-dentaires, etc. (voir encadré).
Il faut bien préciser que ces ratios améliorés, ces 36 000 postes supplémentaires sont un minima. Il ne faut pas tomber en dessous, sous peine de ne pas répondre aux exigences qualitatives et de dignité des résidents accueillis. C’est un minimum, une ligne rouge à ne pas franchir, un niveau en-deçà duquel il ne serait pas raisonnable de tomber.
Concrètement, pour un Ehpad de 100 lits, une augmentation de 12,1 ETP (équivalent temps plein) annuels est nécessaire, soit une hausse de 26 % des personnels. La Cndepah défend naturellement la nécessité de poursuivre la qualification des personnels en Ehpad et demande donc à ce que la totalité de ces créations de postes soit constituée d’aides-soignants. Les établissements publics représentant environ 300 000 places (à savoir, virtuellement 3 000 Ehpad de 100 lits), le besoin de création de postes est donc précisément de 36 165 ETP.
Valorisé à 40 000 €, coût moyen constaté dans les établissements pour les agents dans la première moitié de carrière, cela représente un coût de 1,446 milliard d’euros pour atteindre la cible.
Mais il ne faut pas place la réflexion uniquement et exclusivement du point de vue de son acceptabilité financière. Il faut questionner son bien-fondé et ses conséquences. Selon nous, cette enquête permet de démontrer qu’il est évident qu’il faut qu’il y ait des arbitrages financiers, mais qu’il faut avant tout comprendre à quoi ils correspondent. Ces arbitrages ne doivent donc pas être que financiers mais aussi humains. C’est pour cela que nous avons voulu quantifier. En effet, quand demain il s’agira d’arbitrer sur des effectifs, en toile de fond ressurgira la question de la qualité de l’accompagnement dans les établissements. Il ne faut donc pas avoir que des choix financiers à faire.
Non, pas encore. Je sais qu’ils sont extrêmement mobilisés pour que la loi « grand âge et autonomie » sorte effectivement en 2020. Même si nous n’avons aucune information concernant l’agenda. Ce qui, en tant qu’acteur du secteur, commence à m’inquiéter quelque peu. Il faut impérativement que les arbitrages se fassent vite, dans les trois à quatre mois qui arrivent, et que cela passe en conseil des ministres. Si ça n’est pas le cas, cela veut dire que nous ne sommes plus sur le calendrier de 2020. Et là, pour le coup, je ne donne pas très cher de l’avenir de cette loi annoncée. Nous allons rester confiant, mais nous doutons quand même…
En tout cas, notre enquête permet de faire en sorte que l’on ne puisse plus dire que l’on ne savait pas. Quand les arbitrages seront faits sur les effectifs, on saura à quoi cela correspond. Du coup, cela donne une sorte de jalon qu’il était, selon nous, indispensable de mettre en place.
Passer, en moyenne, de 43 à 65 minutes par résident en matinée et de 28 à 43 minutes l’après-midi permettrait, selon la CNDEPAH, « d’améliorer l’aide aux repas, de rendre au temps du repas toute son importance, d’atteindre l’objectif d’un bain ou d’une douche par semaine, de mieux respecter le rythme individuel des résidents, de développer un temps relationnel plus satisfaisant, incluant des temps d’animation thérapeutique ». Et d’ajouter qu’« il serait ainsi possible de consacrer une trentaine de minutes le matin à la toilette des résidents et de finir vers 10h50 [au lieu de 11h30], et que chaque soignant prenne en charge environ sept résidents et non plus dix. »