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“La protection de l’enfance est à revoir”

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Placé très tôt, Adrien Durousset aimerait oublier ce passé qui lui colle à la peau… Difficile, quand on a été délaissé par des parents défaillants et que l’on a l’impression que la protection de l’enfance tout comme l’école ne vous ont pas véritablement épaulé.
Y a-t-il quelque chose de commun entre les enfants placés et ceux des cités ?

« Dans les deux cas, les jeunes sont délaissés par l’Etat », accuse Adrien Durousset. Le jeune homme de 27 ans sait de quoi il parle : placé à l’âge de 5 ans, il a relaté ses quatorze ans d’enfant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans son premier livre, Placé, déplacé, sorte de journal de bord qu’il tenait depuis le collège, où il est question de violence, de maltraitance et d’une famille d’accueil qui s’est radicalisée et qu’il a dû fuir. Dans un nouvel ouvrage, De foyers en cités, itinéraire d’un abandonné de la République, il raconte sa sortie de la protection de l’enfance, livré à lui-même.

En janvier 2010, il se rend pour la dernière fois dans le bureau du juge du tribunal pour enfants de Lyon, où son dossier n° 404-044 est en passe d’être définitivement refermé. Adrien Durousset est majeur, deux options s’offrent à lui : soit la rue, soit un contrat « jeune majeur ». Malgré le pessimisme de la magistrate, il choisit la seconde solution, la moins pire. Car avec les 450 € qui lui sont alloués chaque mois, il survit. « Mon loyer me prenait la moitié de cette somme, je devais payer le transport et les courses. En plus, au mois d’août, la responsable “enfance” du département avait pour habitude de suspendre l’allocation qui était ma seule ressource. Il m’arrivait souvent de ne pas déjeuner le midi ou d’aller chercher à manger au Secours populaire. »

En 2013, l’ex-enfant placé décroche un bac pro, il a 21 ans, et c’est la fin de son contrat « jeune majeur ». Vers qui se tourner ? Plus suivis par le conseil départemental, certains jeunes sont cantonnés à retourner chez leurs parents biologiques, avec lesquels ils n’ont parfois aucun lien, ou à vivre de la garantie « jeune » ou du RSA (revenu de solidarité active) à partir de 25 ans. D’autres, encore, viennent grossir les rangs des exclus : 40 % des SDF de moins de 25 ans sont d’anciens enfants placés. Adrien Durousset, lui, est parti habiter une cité en périphérie de Lyon. « Je n’avais pas d’argent pour habiter ailleurs », dit-il. Là, il va tenter de subsister avec une allocation logement.

Le choc est total : immersion dans un univers inconnu, difficultés à se faire des copains avec des jeunes des quartiers dont il ne connaît pas les codes, appartement sale et délabré, cafards grouillant dans l’évier, cages d’escaliers sentant l’urine et le cannabis et abritant, à l’occasion, des armes de guerre cachées… Il y restera deux ans et demi puis rejoindra d’autres cités à Marseille et à Nîmes. A chaque fois, le constat est le même. « Ce sont des zones de non-droit où l’argent de la drogue valse au sein des tours. Les travailleurs sociaux sont pris à partie et impuissants face à ça. La Maison des solidarités était le seul endroit où je pouvais me ressourcer et demander de l’aide, mais elle était régulièrement incendiée. L’enfant en souffrance que j’étais a basculé dans un milieu de la délinquance et de la criminalité, une contre-société où les règles sont très dures et les règlements de compte fréquents », explique-t-il. Même quand il se rend à Pôle emploi, il se sent stigmatisé lorsqu’il annonce où il vit. « C’est comme si on me disait : “Restez entre vous.” »

« L’entreprise m’a sauvé »

Adrien Durousset ne veut pas de ce monde-là. Alors, pour s’en sortir, il décide de reprendre ses études en alternance. Un ancien directeur de stage l’encourage et, en 2018, il obtient son BTS de comptabilité. Il prépare actuellement une licence tout en travaillant à plein temps dans l’immobilier. Son objectif : faire un master et avoir un poste dans la finance ou la banque, pas dans le secteur social. « C’est le monde de l’entreprise qui m’a sauvé. Le milieu de l’expertise comptable est très rigoureux, ça m’a stimulé, assure-t-il. Je regrette que l’ASE ne nous prépare pas assez à ça. Plein d’enfants placés n’arrivent pas à s’insérer sur le marché du travail car ils n’ont pas les codes. Il faudrait mettre en place des partenariats avec des entreprises, développer les formations, créer des internats d’excellence… » Selon lui, d’ailleurs, c’est tout le système de la protection de l’enfance qu’il faudrait revoir(1). A commencer par l’étiquette « enfant placé », qui colle à la peau : « A l’école, je passais pour un “cas soc” parce que j’étais de la Ddass [direction départementale des affaires sanitaires et sociales]. J’ai été orienté n’importe comment. C’est limite si on ne m’a pas mis en classe Ulis pour les inadaptés. » L’homme regrette aussi que tous les jeunes soient mélangés dans les foyers et que l’ASE ne fasse pas cas des parcours de vie et des pathologies différentes : « Je me suis retrouvé exposé à une insécurité constante, aux insultes, aux fugues, aux trafics de drogue avec des adolescents rongés par la violence. Il est difficile de se construire dans un tel environnement où même les éducateurs sont attaqués au mortier. » Ce n’est pas tout : si Adrien Durousset est en colère, c’est que le conseil général ne lui a jamais dit qu’il avait un père, alors que son nom était inscrit en toutes lettres dans son dossier de l’ASE. « Pour mes parents, l’acte de naissance est peut-être un torchon. Pour moi, c’est sacré ! On dit trop souvent aux enfants placés qu’ils n’ont pas de parents. Moi, j’ai été reconnu par ma mère et mon père. Je sais qui ils sont et d’où je viens. Mais la juge pour enfants a toujours convoqué ma mère et mon beau-père aux rendez-vous, jamais mon père. J’ai grandi en pensant que je n’en avais pas jusqu’à mes 18 ans. C’est psychologiquement très violent. Il faudrait que la protection de l’enfance accompagne les parents et trouve des solutions alternatives. Ce qui permettrait de repenser et de diminuer le nombre de placements », insiste-t-il.

Son père, il l’a finalement rencontré, un Algérien qui s’est remarié et a d’autres enfants, fervent pratiquant de la religion musulmane, dans lequel le fils ne peut se reconnaître. Adrien Durousset sait maintenant qu’il a une tante, une grand-mère, des cousins, une famille, mais il n’a « pas envie d’aller voir ces gens » qu’il ne connaît pas. De même, il n’a aucune excuse pour ses parents, qu’il a fait condamner à lui payer 150 € de pension alimentaire par mois. « Ce sont des irresponsables mais pas des miséreux. Mon père a du patrimoine en Algérie et ma mère a touché l’allocation familiale pour moi, alors qu’elle ne m’élevait pas et que moi je n’avais rien », dénonce-t-il. Aux assises nationales de la protection de l’enfance, où il a été invité en 2017, un dîner de gala a été organisé dans les salons de la préfecture. Il s’assoit à table, regarde le décor somptueux, les assiettes en porcelaine, les couverts en argent : « Tout ce luxe m’a semblé déplacé au regard du manque de budget dans le secteur. En plus, ce sont des jeunes de l’ASE qui nous servaient. Je suis rentré dans ma cité, écœuré. »

Étudiant en comptabilité,

Adrien Durousset vient de publier De foyers en cités, itinéraire d’un abandonné de la République (éd. Michalon, 2019), où il fait un état des lieux d’une jeunesse de banlieue sacrifiée. Son premier livre, Placé, déplacé, est paru en 2016 chez le même éditeur.

Notes

(1) « Mineurs en danger : enquête sur les scandaleuses défaillances de la protection de l’enfance », documentaire diffusé sur M6 le 19 janvier à 21 h 05.

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