117 jours. 117 jours de grève. 117 jours sur un rond-point, avec des banderoles.
Que demandaient-elles, ces soignantes d’un Ehpad du Jura dont personne n’avait jusqu’alors entendu parler ? Une augmentation ? Une prime ? Des vacances au soleil ?
Non. Elles ne demandaient rien de tout ça. Elles ne faisaient pas grève pour elles, ces soignantes, mais pour les autres, pour ceux qui étaient là, derrière les murs de cet Ehpad, à attendre leur toilette, leur repas. A attendre un peu d’humanité. Elles demandaient du temps qu’elles n’avaient pas. Un peu plus de temps pour prendre soin des résidents. Juste un peu plus de temps pour les aider à se lever, à marcher, à se laver, à manger… à vivre, tout simplement. Ou juste pour s’asseoir sur un banc cinq minutes avec eux et regarder les gens tant qu’y en a.
117 jours de grève. Elles ont fini par gagner, les soignantes de Foucherans. Elles ont gagné la sympathie des médias et de l’opinion publique. Leurs banderoles et leurs larmes ont eu le dernier mot. Elles ont gagné une prime de fin de grève, des congés, quelques postes en plus, et même… un observatoire du bien-être !
Et après ? Et après, pas grand-chose. Certaines ont repris le travail, d’autres ont cherché ailleurs. Une autre a écrit un livre. Il y a eu d’autres grèves, ailleurs. D’autres scandales. D’autres témoignages. D’autres livres.
Et encore après ? Après, il y a eu une mission flash, des réunions, une concertation, encore des réunions… Puis un rapport. Puis un autre. Rapports « Fiat-Iborra », « Libault », « El Khomri »… Il y a eu des conférences et des beaux discours, des cocktails et des petits fours.
Et maintenant ? Maintenant, elles attendent, les soignantes de Foucherans et d’ailleurs. Elles attendent les renforts. Elles sont l’armée épuisée à qui le général a promis l’envoi de troupes. Elles attendent encore. Mais la relève ne vient pas. La faute à l’économie, aux lois qui ne sont pas écrites, au manque d’envie, à la fatigue, aux grèves, qui sait ? La faute aussi, peut-être, aux réunions, aux concertations et aux rapports qui disent tous la même chose : leur métier ne fait pas rêver, il est peu considéré, difficile et mal payé. La faute à tout et à rien. Alors elles attendent, encore et encore. Les soldats tombent au front : retraite anticipée, accident du travail, sous-effectif, invalidité, burn-out …
Elles résistent, vaillantes, accumulant les heures et les autoremplacements. Encore et encore.
Et, en attendant, elles font ce qu’elles peuvent, les soignantes de Foucherans et d’ailleurs.
Elles courent, partout, tout le temps. D’une chambre à l’autre, d’une table à l’autre, d’un chariot de linge à un chariot d’épicerie. Et parfois, à la fin d’une journée marathon et à la veille d’une autre, elles prennent le temps de lire un rapport qui parle de leur travail ou un article qui vante leur dévouement et leur professionnalisme. Des pages et des pages de mots élogieux et élégiaques. C’est bien joli, tout ça, mais elles, elles voudraient surtout arrêter de courir d’un résident à l’autre, et juste marcher, cinq minutes avec eux, et regarder la vie tant qu’y en a. Parce que le temps est assassin et emporte avec lui les rires des vieillards.