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Vingt propositions pour éradiquer l’illettrisme

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Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a confié en juin 2019 à Christian Janin, ancien président du Copanef, et Yves Hinnekint, directeur de Talis et ex-directeur général d’Opcalia, une mission sur la lutte contre l’illettrisme. Après 150 auditions et de nombreux déplacements sur le terrain, les deux acteurs du monde de la formation professionnelle ont remis leur rapport en décembre 2019.

Il contient une quarantaine de page, s’appuie sur les dernières données 2011 de l’Insee et liste 20 propositions. C’est le rapport produit par Christian Janin et Yves Hinnekint. Le premier a participé à la création de CléA, le certificat inter­professionnel de connaissances et de compétences professionnelles, et le second est l’ancien directeur général d’Opcalia, collecteur des cotisations annuelles des entreprises au titre de la formation professionnelle continue des salariés. Les deux hommes étaient donc en terrain presque connu pour aborder leur mission : restructurer la lutte contre l’illettrisme.

La première enquête Information et vie quotidienne (IVQ), comportant un module de détection de l’illettrisme, a été lancée par l’Insee en 2004. Les résultats obtenus en 2006 faisaient état de 3 100 000 personnes confrontées à l’illettrisme en France. Une nouvelle enquête conduite par l’Insee en 2011, avec une méthodologie comparable, en recensait 2 500 000. Globalement, le nombre de personnes confrontées à l’illettrisme a régressé de 20 % en France entre 2004 et 2011. Si Yves Hinnekint regrette qu’une enquête IVQ n’ait pas été réalisée depuis (en réaliser d’autres sera une des propositions du rapport), il ne doute pas que l’illettrisme a continué de diminuer depuis 2011. « Il ne s’agit pas de remettre en cause la lutte contre l’illettrisme. Les initiatives que nous avons pu constater sur le terrain sont très intéressantes. Notre but est d’intensifier cette lutte et de faire plus et mieux car le nombre des personnes concernées reste trop important », déclare-t-il.

Les propositions de la mission, fondées sur l’audition de plus de 150 personnes ainsi que sur les résultats d’un questionnaire qualitatif auquel ont répondu de nombreux acteurs publics et privés dont 138 entreprises s’articulent autour de quatre axes. Le premier est de nommer l’illettrisme et mesurer les résultats. Le deuxième est de mettre en place une stratégie d’accompagnement adéquate pour chaque personne en situation d’illettrisme. Le troisième vise l’entreprise. Il s’agit de mettre en évidence les coûts de l’illettrisme et accompagner les salariés pour s’en sortir. « Aujourd’hui, nous sommes amenés à changer de travail plusieurs fois au cours de notre vie professionnelle. En cas de crise et de difficultés économiques, nous devons rebondir. Pour que cela soit possible, il faut anticiper, détecter l’illettrisme et faire en sorte que la personne illettrée puisse retrouver un emploi. » Le quatrième et dernier axe consiste à tirer pour l’avenir les conséquences de ces propositions en matière de gouvernance.

« Ne Pas être stigmatisant »

Sur le terrain et lors des auditions, les deux missionnés ont fait preuve de finesse et de psychologie. Yves Hinnekint confie : « Autant il est important d’identifier l’illettrisme comme cause nationale, de mesurer le nombre des personnes concernées et de les repérer, autant il est indispensable de ne pas être stigmatisant et de transformer le champ lexical “pathologique” autour de l’illettrisme. » En effet, comme l’indiquait à la mission un responsable national d’une organisation professionnelle, « Dire que l’on est illettré, c’est un coming out, avec la violence psychologique qui s’y attache ». Il n’aime pas l’expression « coming out ». Elle l’embarrasse même. Il ajoute : « Il y a une vraie gêne voire un déni. Nous avons rencontré des personnes en situation d’illettrisme qui nous ont confié avoir réussi à le cacher pendant 15 ans. Ils ont usé de stratégies de contournement, ils se sont appuyés sur les enfants le soir, des collègues à qui ils disaient avoir oublié leurs lunettes… » De manière générale, les auteurs du rapport préconisent de créer des environnements bienveillants, en s’appuyant sur tous les guichets d’accueil existants ou à créer, sans en privilégier aucun, de sorte de garantir que sur tout le territoire il y ait pour les salariés, comme les entreprises, une solution : un « village Afpa » (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes), « un service de proximité dédié de l’Opco » (organisme paritaire collecteur agréé).

Yves Hinnekint est optimiste : « Les solutions, nous les avons. Il faut maintenant les mettre en œuvre. Nos 20 propositions font systématiquement état des leviers principaux. Nous avons abordé les sujets politiques en travaillant sur la gouvernance de l’Agence nationale de lutte contre illettrisme (Anlci). Ce groupement d’intérêt public français, créé en 2000, fait du très bon travail mais il faut désormais passer à un plan national. » C’est pourquoi le gouvernement a d’ores et déjà retenu la proposition « consolider et développer un réseau de correspondants “illettrisme”, œuvrant, sous la responsabilité de l’Anlci, sur l’ensemble du territoire métropolitain ainsi que les DOM ». Actuellement, sept régions n’ont aucun correspondant : Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Paca, Pays de Loire, Corse, Guadeloupe et Guyane. Le ministère du Travail est également favorable à faire de l’évaluation préalable CLéA l’outil de référence gratuit pour tous à utiliser par tous les accueillants de personnes en insertion, en recherche d’emploi.

Mobiliser les branches et les OPCO

Mobiliser les branches et les Opco pour élaborer des politiques de lutte contre l’illettrisme est une évidence pour Yves Hinnekint. « Si les onze opérateurs ont cette thématique chevillée au corps, nous pourrions en faire un point de bonification avec la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. L’idée est de récompenser ceux qui veulent traiter le sujet. Il est bien évident que l’Opco qui gère la propreté sera sûrement davantage concerné que celui qui gère la banque », point-il. Elaborer et diffuser un outil de diagnostic pour les entreprises pour les sensibiliser aux coûts de l’illettrisme fait également partie des propositions remises à Muriel Pénicaud. « La question qui se pose aujourd’hui pour l’entreprise est de savoir s’il faut contourner l’obstacle ou accompagner les individus. Nous souhaitons la faire raisonner en termes de performance économique », assène le directeur de Talis. A la question du chiffrage financier des 20 propositions, Yves Hinnekint élude : « Ce sera le travail de l’Anlci de le quantifier. Pour donner cependant un ordre de grandeur, un tel plan Marshall pourrait s’évaluer à 10 millions d’euros. »

Chiffres clés

L’illettrisme impacte le monde du travail : 6 % de ceux qui sont dans l’emploi et ont été scolarisés en France sont confrontés à l’illettrisme ainsi que 10 % des demandeurs d’emploi.

En outre, les résultats des tests organisés pour les 16-17 ans à l’occasion de la journée « Défense et citoyenneté » mettent en évidence l’arrivée, chaque année, sur le marché du travail, de « cohortes de l’ordre de 30 000 jeunes supplémentaires » en situation d’illettrisme et d’environ 70 000 jeunes, soit 9 % de la classe d’âge, en grande difficulté avec les savoirs de base.

Les disparités régionales demeurent notables avec un taux d’illettrisme très inférieur à la moyenne en Ile-de-France (4,5 %) et, à l’inverse, des taux très supérieurs à la moyenne nationale en Picardie et dans le Pas-de-Calais (avec respectivement 11 % et 11,5 %).

Environ une personne sur cinq est estimée en situation de difficultés graves de calcul, de lecture et d’écriture du français dans les territoires d’outre-mer. Plus précisément : en 2015, 20,2 % des jeunes ultramarins de 17 ans sont considérés en situation d’illettrisme, contre 3,6 % dans l’hexagone (moyenne globale 4,3 %). La part de jeunes en situation d’illettrisme est ainsi 5,5 fois plus élevée dans les territoires ultramarins que dans l’hexagone.

Enfin, la répartition selon le sexe des personnes en situation d’illettrisme demeure inégale avec, parmi elles, 39,5 % de femmes pour 60,5 % d’hommes.

La France se trouve dans une situation préoccupante selon les critères de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 9 millions de personnes sont en difficulté avec l’écrit (21,5 %), ce qui place l’hexagone au 22e rang sur 24 et au 21e rang pour les capacités à utiliser des concepts numériques et mathématiques.

(Source : rapport sur la lutte contre l’illettrisme 2019)

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