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« 2020 : du souffle et des actes ! »

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Jean-Pierre Rosenczveig, ancien juge pour enfants, feuillette l’année 2019 de la protection de l’enfance. Une année qui, selon lui, a vu des actions déroulées « dans tous les sens » sans qu’elles répondent aux véritables difficultés. Et de souhaiter pour 2020 que l’Etat redevienne « crédible en assumant ses responsabilités ».

« 2019 est partie dans tous les sens pour la protection de l’enfance. Au point de donner l’impression d’un navire sans capitaine et surtout sans cap. Un capitaine est arrivé en janvier pour éteindre le feu allumé par une dénonciation audiovisuelle des défaillances dans les foyers relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et une mise en cause sévère – trop certainement, mais… – de l’institution, notamment par des anciens, quand 25 % des jeunes clochardisés en sont issus. L’Etat a fini par réaliser qu’un problème politique appelait une réponse politique. D’où la nomination d’un secrétaire d’Etat.

Ministre de la Protection de l’enfance ou de l’Enfance, comme nous y appelions de longue date ? L’intéressé n’a pas tardé à intégrer qu’il se devait d’avoir une conception élargie de la protection de l’enfance par-delà les institutions spécialisées. Dont acte !

Des textes tous azimuts…

Restait à monter dans un TGV avec des wagons prêts à partir dans tous les sens en fonction des aiguillages. Par exemple, une mission parlementaire sur l’adoption qui oublie de s’inscrire dans une réflexion sur le dispositif ASE. Un autre rapport parlementaire sur l’ASE centré sur le placement des enfants comme si l’accueil physique était sa seule modalité d’intervention. La ministre de la Justice annonçant une réforme de la mythique ordonnance du 2 février 1945 sans s’accorder avec les affaires sociales, qui plus est en usant de la procédure d’ordonnance comme s’il y avait le feu au lac comme en 1945, comme si l’ordre public l’emportait sur la protection de l’enfance en conflit avec la loi ! Cerise sur le gâteau, l’héritage de la dynamique lancée suite à la loi du 14 mars 2016 avec des groupes de concertation battait son plein vers un plan d’action et le premier programme interministériel de lutte contre les violences à enfants se déroulait. Que faire de la proposition de loi condamnant les châtiments corporels qualifiés de “violence éducative ordinaire”, du plan de lutte contre la grande pauvreté dont les enfants devaient être une “cible”prioritaire, de l’effort de l’Education nationale pour permettre aux jeunes enfants d’acquérir les fondamentaux avec le dédoublement des classes et du coup de pouce pour renforcer la scolarisation des enfants porteurs de handicap ? Que dire dans les débats touchant à la réflexion sur l’enfance lors la loi « bioéthique » ? Sans compter avec le dossier des mineurs étrangers non accompagnés (Mena) qui, depuis des années, hypothèque toutes les réflexions sur la protection de l’enfance et atteint une acuité exceptionnelle après que le Premier ministre eut refusé, à juste titre, en 2018 le double dispositif suggéré par l’ADF. Enfin, il fallait faire avec la dynamique instaurée au Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) mis en place fin 2017, qui certes travaillait techniquement, mais n’hésitait pas à développer les avis et suggestions, au risque d’exaspérer – le mot est faible – le politique et son administration. En parallèle, il fallait compter avec les travaux de la Cour des comptes, du Cese, et du défenseur des droits et les interpellations des organisations non gouvernementales.

En cette année du trentenaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, nombre de chantiers étaient donc ouverts. Il fallait les conduire à terme avec une équipe ministérielle réduite en leur redonnant une colonne vertébrale avec des associations et des professionnels militants ayant le sentiment de tourner en rond sinon de régresser. Qui plus est, les vrais problèmes étaient-ils traités et déjà identifiés ? Ainsi, ne convenait-il pas d’appliquer la loi pénale plutôt que de la changer ? Avant de reconnaître le droit de toutes les femmes d’être mères, se fallait-il pas se pencher sur les obligations des adultes en charge d’enfants, sans pour autant être parents quand le sentiment du vide précipite trop d’enfants dans la toute-puissance ? Et comment ne pas être préoccupé de la crise de la protection maternelle et infantile (rapport “Peyron”) et de la psychiatrie infantile, de la disparition de la prévention spécialisée dans 17 departements, des alertes sur la pédiatrie, de l’absence du service social scolaire et la santé scolaire dans trop d’écoles, des grandes difficultés des maisons du handicap ? Et la pédiatrie ouvertement malade ? A terme, les enfants dont les parents n’auront pas pu trouver dans leur famille ou leur environnement les soutiens indispensables ne manqueront pas d’être en grande difficulté avec la société. Sur tous ces points silence !

L’exercice n’était donc pas facile et encore plus avec la “boulette” – dixit l’Elysée – de l’amendement adopté à la demande du gouvernement sur la proposition “Bourguignon” visant à rendre obligatoire pour les departements la prise en charge des jeunes majeurs. Un deal avait été passé avec les départements : l’Etat entendait certes que les conseils départementaux prennent en charge les Menas tenus pour mineurs, mais faisait en sorte qu’ils ne soient pas obligés d’accueillir les jeunes majeurs !

2019 dépassée, vers quoi aller dans le cœur de ce quinquennat ?

Déjà, ne pas perdre la dynamique associative mobilisée sur la protection de l’enfance, plus largement, pour une meilleure prise en considération des droits des enfants. Sur son premier mandat, le CNPE y a contribué. Sa prolongation pour un an sans renouveler sa vice-présideènte ou nommer un remplaçant, combiné avec le départ de la secrétaire générale, a laissé pantois. On ne peut pas en rester là !

Il faut encore dégager des objectifs galvanisants. Le plan présenté le 14 octobre 2019 n’a pas enthousiasmé les foules. Il faut pourtant le décliner et en réunir les conditions. En le reliant au constat qu’un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups.

On attend aussi un discours politique moderne refusant les fausses représentations, mais intégrant les acquis historiques. L’ASE n’est pas une machine à produire de l’enfant adoptable pour les familles classiques ou “modernes” qui préoccupent tant les parlementaires. De même elle ne se contente pas d’accueillir des enfants.

L’aide sociale aux jeunes majeurs ne peut plus être pensée dans le cadre classique et étriqué des 18-21 ans. La référence à 21 ans n’a plus de sens aujourd’hui. Quel soutien social aux jeunes majeurs en tenant compte de l’instauration du revenu universel dès la majorité sur lequel le gouvernement travaille ?

L’abcès “Mena” doit être percé quand ils comptent pour 27 000 des 148 000 jeunes accueillis par l’ASE. L’Etat se doit de revoir son soutien financier et surtout tenir un discours clair : ces jeunes ont vocation à rester en France, voire à devenir français pour nombre d’entre eux. Une conférence de consensus s’impose pour que ce sujet trouve sa place, ni plus ni moins dans la réflexion sur la protection de l’enfance. L’Etat doit déjà renoncer à sanctionner financièrement les départements refusant d’abonder le fichier national mis en place au forceps en 2019.

Quelle gouvernance de la protection de l’enfance ?

Certains veulent en revenir à l’avant 1982-1984 qui aurait été un âge d’or ! D’autres appellent à une agence nationale avec le souci d’influer sur les politiques territoriales sans remettre en cause la libre gouvernance des collectivités locales. Là encore, il faudra rappeler que la décentralisation misait sur l’inégalité des politiques pour servir la justice sociale. L’Etat jouant un rôle de vigie, de contrôle, de soutien et d’éclairage qu’il n’a pas tenu.

Aborder cette question majeure avec quelques chances de succès suppose que l’Etat redevienne crédible en assumant ses responsabilités. 20 millions pour la pédopsychiatrie, 80 pour l’ASE ou quelques moyens sur la scolarisation des enfants handicapés : on est loin du compte. Il en est conscient. Ainsi, il avoue son impuissance quand, dans son code de justice pénale des mineurs (inutile sans être liberticide comme le montrera son examen), il supprime l’obligation pour la protection judiciaire de la jeunesse de mettre en œuvre dans les cinq jours les mesures éducatives de milieu ouvert. Dès lors, il peut difficilement appeler les collectivités territoriales à faire plus ! D’autant que, sur des sujets préoccupants pour la collectivité nationale, il entend amener les departements à se mobiliser, il lui faut financer le surcoût. Ainsi pour la prévention spécialisée, alors que plus que jamais il faut envoyer les fantassins de la République de l’autre côté de la frontière sociale.

Deuxième condition : ne pas craindre l’interpellation. Le ministre gagnera à un CNPE rénové (ou une agence nationale) doté d’une capacité d’analyse et de réflexion sérieuse pour limiter les risques de l’affectif ou de la démagogique. L’interpellation cautionne, renforce, enrichit le politique qui a des convictions !

Outre les dossiers délaissés, deux d’entre eux s’imposent à bref délai :

• faciliter au secteur associatif mobilisé pour les missions de service public l’accès à des ressources propres via le mécénat ;

• miser sur la prévention en mobilisant tous les acteurs publics et civils. Prétendre améliorer les réponses à apporter aux jeunes en difficulté, y compris déjà en conflit avec la loi, n’a pas de sens si on ne s’attache pas à éviter que d’autres le soient.

Les chantiers ne manquent pas. L’essentiel est de galvaniser les troupes par un discours clair et offensif, positif et visionnaire. Le technique suivra. »

Contact : jprosen@outlook.fr

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