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A la croisée des savoirs et des pratiques

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Dans le Calvados, le service « milieu ouvert » de l’Acsea a expérimenté des sessions de coformation avec des militants d’ATD quart monde et des travailleurs sociaux. De quoi déconstruire abruptement les représentations pour améliorer efficacement les pratiques au quotidien.

Le face-à-face n’a pas été psychologiquement serein. Il a fallu accepter de bouleverser son pré carré. Mais les résultats sont concluants. Faire bouger les lignes était le postulat de départ de Salvatore Stella, directeur du département « milieu ouvert » de l’Association calvadosienne pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte (Acsea). « Nous étions un peu en panne sur la manière de mieux prendre en compte les familles et les usagers en général. » Après une tentative de questionnaires de satisfaction qui n’ont, semble-t-il, satisfait personne, le professionnel se saisit de la réécriture du projet de service pour y associer des familles et des représentants d’ATD quart monde. « Quand j’ai émis cette idée au staff, vers 2014, on m’a regardé un peu bizarrement. Ce n’est encore pas très courant comme démarche. » L’idée étant validée par le conseil d’administration, familles et militants ont ainsi apporté leur pierre à l’édifice de cette réécriture sur les questions d’accueil, de besoins, de territoires. Déjà, ressortaient des questionnements et appréhensions des familles, en lien avec le premier contact. « La question de l’accueil est cruciale. Si les bonnes intentions du professionnel sont là, c’est un moment qui demeure très difficile. » A la suite de ce premier travail conjoint fructueux, « il y avait une volonté de notre part et d’ATD Normandie de continuer à travailler ensemble », se souvient Salvatore Stella.

Échanges et regards croisés

Qu’à cela ne tienne, ATD a déjà des années d’expérience dans la coformation par le croisement des savoirs et des pratiques. En 2017, une formation de quatre jours est ainsi pensée avec des professionnels volontaires du service « milieu ouvert » (travailleurs sociaux, chef de service, psychologue) et des militants d’ATD, en situation de pauvreté. Pour un but commun : déconstruire les représentations de chacun sur l’autre. Travaux en groupes de pairs, puis échanges et regards croisés. Récits d’expériences et analyses. Photolangage et théâtre-forum. Des points de vue mis à nu qui se revèlent un véritable choc pour les deux parties. L’exemple le plus fort fut l’image choisie par les personnes d’ATD quart monde pour symboliser les mesures de milieu ouvert. La tauromachie. Une corrida. De multiples évitements et une mise à mort. Yvonne Bonnet, cheffe de service « milieu ouvert », se rappelle ce choc : « L’écart de représentations a été violent. Les choses étaient dites avec puissance, et cela a parfois été difficile pour les professionnels. Beaucoup ont réalisé la complexité de nos demandes, les différences de priorité. De leur côté, les militants d’ATD ont pu comprendre la réalité des injonctions auxquelles nous sommes confrontés. » L’idée de la coformation n’est pas forcément de « convaincre » mais bien de confronter des logiques d’acteurs, de pouvoir réduire les malentendus, les angoisses. « Les personnes en situation de pauvreté, qui vivent en plus le lien à la protection de l’enfance, perçoivent les enjeux de pouvoir, au-delà de la bonne volonté des professionnels », remarque la cheffe de service. Une bonne volonté souvent perçue par les personnes accompagnées, mais souvent aussi teintée de maladresse et de préjugés.

La question de la première rencontre

La dernière journée de formation est un temps de restitution, avec des mises en scène, devant des partenaires et des élus. Institut régional du travail social (IRTS), juge, département, tous avaient répondu à l’appel. Une formation riche et bouleversante, finalement autofinancée par l’Acsea, après un refus du dossier de financement par l’Unifaf, et ce, malgré une incitation à ce type de coformations dans la feuille de route de Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes.

Au milieu de tous les sujets abordés lors de ces journées revenait souvent la question, cruciale, de la première rencontre. Un rendez-vous souvent stressant pour les familles, qui se sentent jugées, contraintes. « Les familles sont marquées par ce temps, elles le disent. Se retrouver face à un ou deux professionnels, en posture de “sachant”. Il y a beaucoup d’angoisse », observe Salvatore Stella. Alors, la coformation a porté ses fruits. Dans la foulée, le service a mis en place dans chaque courrier aux familles l’indication qu’elles pouvaient venir à chaque rencontre accompagnées par la personne de confiance de leur choix. Ami, famille, voisin… « C’était une évolution visible, forte. Certaines familles s’en sont immédiatement saisies. Nous avons eu un débat en interne sur la possibilité d’étendre ça à tous les espaces », se rappelle le directeur. Pour autant, l’Acsea conserve également son libre-arbitre et peut être amené à expliquer que la personne de confiance ne pourra pas être présente à une partie de l’entretien, par exemple. Dans la foulée, en 2018, Salvatore Stella, également président du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (Cnaemo), convie professionnels et militants ayant fait la coformation à venir en parler en public à Biarritz, lors des assises nationales du Cnaemo. « J’ai vu que les professionnels étaient chamboulés par cette formation. J’étais présent à la restitution, et cela m’a mis dans le même état. » Redonner du pouvoir d’agir est donc le leitmotiv du service « milieu ouvert » de l’Acsea. « L’idée est bien celle d’un changement de pratiques à l’issue de ce type de collaboration, assure Yvonne Bonnet. Il faut savoir bouger les curseurs et nous extraire de nos schémas traditionnels de pensée. »

L’association réfléchit aux suites à donner pour continuer à impliquer davantage les usagers. Prochaine étape : la mise en place de conférences familiales. « Un dispositif très utilisé aux Pays-Bas, explique Salvatore Stella. Le travailleur social n’est plus celui qui vient apporter une réponse institutionnelle. » Un problème est posé, mais il s’agit de le résoudre collectivement. La famille va donc réunir d’autres membres, des amis et personnes de confiance et leur faire part du souci afin de trouver une réponse conjointe. « Il y a certes un coordonnateur de conférence, mais il n’agit pas. » Le directeur du service « milieu ouvert » souhaite l’expérimenter rapidement. Tout en précisant bien sûr que le travailleur social ne participe pas à des conférences familiales liées à des situations qu’il suit. Un processus de plusieurs années, donc, qui semble faire ses preuves et redonner du sens au « faire avec », laissant de côté l’injonction professionnelle du « sachant » et la posture haute pour mieux apaiser les suivis et les rendre efficients.

Repères

MAGGY TOURNAILLE, D’ATD QUART MONDE.

« ATD quart monde pratique la coformation depuis une vingtaine d’années. Dans le cadre du partenariat avec l’Acsea, nous avons sollicité des familles qui, toutes, ont ou avaient eu une expérience avec la protection de l’enfance. Les cinq militants qui ont participé ont tous fait des retours très positifs. Eux aussi apprennent des choses sur le fonctionnement institutionnel. On a beaucoup parlé des placements : ce qui est primordial pour les familles est de garder leurs enfants auprès d’elles. La coformation a fait bouger des lignes de manière très concrète. Les parents ont gagné en confiance, ils ont pu revendiquer d’être accompagnés pendant les entretiens. C’est toujours difficile de revendiquer quelque chose en étant à cette place. Tout cela a engendré une nouvelle forme de reconnaissance. Il y a parfois une formation et ça s’arrête. Avec l’Acsea, le partenariat et la confiance perdurent, ce qui permet de faire évoluer les pratiques des professionnels. Notre prochaine étape est de pouvoir intervenir dès la formation, nous sommes en discussion avec l’IRTS [institut régional du travail social]. »

Prospective

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