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Les caisses sont vides, mais la coupe est pleine

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La réforme de la fiscalité du mécénat a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. Pour le secteur associatif, ce nouveau coup de rabot est une étape supplémentaire vers une lente asphyxie financière.

Le couperet est tombé. Alors que, le 6 décembre, le Sénat s’était opposé à l’unanimité à l’article 50 du projet de loi de finances (PLF) pour 2020, qui abaisse de 60 % à 40 % le taux de défiscalisation pour les dons d’entreprises d’un montant supérieur à 2 millions d’euros, sa réintroduction à l’Assemblée a été approuvée en seconde lecture par la quasi-totalité du groupe La République en marche. Le gouvernement n’a pas fait marche arrière et, le 17 décembre, les députés ont voté la mesure, par 41 voix contre 18. Le lendemain, l’Assemblée nationale a adopté, en lecture définitive, le PLF pour 2020 par 77 voix contre 30.

Selon les chiffres fournis par Bercy, seules 78 grandes entreprises seraient concernées par cette disposition. La réduction de la déduction fiscale devrait permettre à l’Etat de récolter environ 80 millions d’euros supplémentaires par an à partir de 2021. Pour le gouvernement, cette mesure était rendue nécessaire par le coût fiscal de la déduction et la mise en avant des abus légaux de quelques grands donateurs. En effet, dans un rapport sur le soutien public au mécénat des entreprises publié en novembre 2018, la Cour des comptes a critiqué l’augmentation de cette dépense fiscale dont le coût a été multiplié par dix, passant de 90 millions en 2004 à 902 millions en 2017, et a souligné également que le mécénat se concentrait fortement sur les très grandes entreprises – les 24 premiers bénéficiaires de l’avantage fiscal représentaient à eux seuls 44 % du montant de la créance fiscale en 2016. Selon Admical, association qui assure la promotion et le développement du mécénat d’entreprise en France, sur les 7,5 milliards d’euros de dons apportés chaque année aux associations et fondations, le mécénat d’entreprise représente 3 milliards d’euros. « Ce coup de rabot aura des conséquences fortes pour les entreprises mécènes et pour notre capacité à mobiliser de nouvelles entreprises à s’engager auprès de nos bénéficiaires. L’Etat, qui espère ainsi réaliser une économie de 80 millions d’euros, fait peser un risque de baisse de 400 millions d’euros de dons pour les associations et fondations », critique le syndicat France Générosités.

« Crash philanthropique »

Dès l’été, à l’annonce des principales mesures envisagées dans le cadre de la réforme du mécénat, la mobilisation du secteur associatif et des fondations a été immédiate, dénonçant le risque d’un « crash philanthropique » du fait d’une baisse inéluctable des dons. Pour les associations, cette mesure met en péril l’un des piliers de leur financement. « Le projet de réduire le soutien de l’Etat au mécénat, basé sur une logique purement comptable, revient à nier le caractère philanthropique de la démarche de ceux qui s’engagent », dénonçait France Générosités. Et de mettre en garde contre l’effet cumulatif des conséquences des ré­formes fiscales successives pour le secteur : pas moins de quatre réformes en deux ans… « Les associations et fondations ont déjà été affectées en 2017 par la réduction des emplois aidés, la suppression de la réserve parlementaire, venant s’ajouter à la diminution continue des subventions au cours des dernières années [– 10 milliards d’euros depuis 2005, ndlr]. L’année 2018 a bousculé notre écosystème fiscal, très stable depuis plusieurs années : hausse de la contribution sociale généralisée pour les retraités, transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière. Dans ce contexte, les dons aux associations et fondations d’intérêt général ont enregistré une baisse globale et inédite depuis une dizaine d’années de 4,2 %, alors même que le gouvernement ne cesse d’inciter les organisations à se tourner davantage vers les financements privés. » Publiée le 2 décembre par le réseau d’experts Recherche et Solidarités, l’étude « La générosité des Français 2019 » estime que la transformation de l’ISF en IFI a entraîné une chute de près de 60 % des dons collectés et partiellement défiscalisés par le biais de ce dispositif. Le nombre des assujettis est passé de 358 000 (ISF) à 133 000 (IFI) et celui des donateurs, de 52 000 à 20 000. En 2018, les associations n’ont collecté que 112 millions d’euros, contre près de 270 millions d’euros l’année précédente.

« Reniement d’un engagement présidentiel »

Fin novembre, dans une tribune publiée dans Les Echos, 118 associations et fondations ont appelé le président de la République à renoncer à la réforme du gouvernement sur le mécénat d’entreprise. En vain… Créé en novembre, le mouvement spontané Les Pélicans (des oiseaux aux vertus altruistes) – qui regroupe 80 dirigeants associatifs, dont la Croix-Rouge, le Sidaction, APF France handicap, le Collectif Alerte ou la Fondation des femmes – a relayé à son tour, durant le débat parlementaire, ses craintes liées à cette réforme : « 400 millions d’euros de dons mis en péril, c’est-à-dire 25 % des dons déclarés des entreprises », « 10 000 emplois associatifs en jeu, soit 15 Florange » et « le reniement d’un engagement présidentiel ». Pour rappel, le candidat Macron, lors de la campagne présidentielle, s’était engagé dans son programme à « garantir aux bénéficiaires comme aux mécènes un environnement fiscal stabilisé » et « à maintenir les avantages fiscaux sur la durée du quinquennat ».

Le secteur associatif pointe également du doigt une réforme fiscale du mécénat d’entreprise « à courte vue », « sans mesure d’impact ni vue d’ensemble ». Et le Centre français des fonds et fondations (CFF) d’alerter : « L’économie immédiate dérisoire chiffrée entre 80 et 130 millions d’euros pour le budget de l’Etat met nécessairement en danger, et ceci sans qu’aucune étude d’impact n’ait été préalablement réalisée, le financement de nombreux bénéficiaires de causes d’intérêt général dans de nombreux champs d’activités essentiels à notre cohésion nationale comme territoriale aux besoins croissants : social, éducation, enseignement, recherche, santé et environnement… Sur les 78 entreprises concernées, il ne fait aucun doute que certaines au moins reverront le montant de leurs dons à la baisse si le taux de réduction est abaissé, non pas par opportunisme – le mécénat n’est jamais une “niche fiscale” rapportant de l’argent au donateur – mais par simple nécessité économique. D’autres entreprises risquent quant à elles de comprendre les 2 millions d’euros comme un plafond, voire de ne pas s’engager ou de délaisser la voie du mécénat au profit d’un autre dispositif, ici ou ailleurs. »

Alors que le Premier ministre, Edouard Philippe, a chargé en juillet dernier Sarah El Haïry, députée (Modem) de Loire-Atlantique, et Naïma Moutchou, députée (LREM) de la 4e circonscription du Val-d’Oise, d’une mission sur « la philanthropie à la française », les associations et fondations déplorent la précipitation du gouvernement à légiférer sur le mécénat d’entreprise quand les deux parlementaires doivent rendre leur rapport le 15 janvier 2020. « Nous [y] proposerons des mesures pour faire évoluer le mécénat et lutter contre les abus. Nous savons qu’il y en a, mais nous n’y mettrons pas fin en abaissant le taux de réduction d’impôt de 60 à 40 % ni en hiérarchisant les causes », a déclaré Sarah El Haïry, en séance publique.

Pour les opposants à la réforme, l’argument de la « niche fiscale » brandi par Bercy ne tient pas la route puisque les entreprises mécènes ne recourent pas systématiquement à la réduction d’impôt. Selon une étude publiée en octobre 2018 par l’association Admical, « bien qu’intéressant, ce dispositif n’est pas pour autant la première raison de faire du mécénat, et toutes les entreprises mécènes n’y ont pas recours. Elles ont même été moins nombreuses à en profiter par rapport à 2015 ! En effet, alors que la réduction fiscale serait le premier levier pour convaincre les entreprises à devenir mécènes (pour 47 % des entreprises non mécènes interrogées), sur le terrain, nous constatons que celle-ci est loin d’être le moteur du mécénat et que le recours au crédit d’impôt n’est pas un automatisme. » Ainsi, en 2017, parmi les entreprises, une sur deux (49 %) a demandé à bénéficier de la réduction d’impôt pour son don, 35 % ont déclaré la totalité de leurs dons et 14 %, une partie de leur don.

Hiérarchie entre les causes

Le gouvernement a assuré que la réforme ne concernerait que quelques grandes entreprises et n’affectera pas « le soutien aux organismes d’intérêt général qui apportent une aide gratuite aux personnes en difficulté ». En effet, l’article 50 exempte du taux différencié les dons aux associations et fondations sur le secteur de l’aide alimentaire (Restos du cœurs, Banque alimentaire…) – dons couverts par la loi « Coluche », issue de la loi de finances pour 1989, et désormais inscrite à l’article 238 bis du code général des impôts – et, plus largement, toutes les associations qui apportent par le don une aide au soin ou au logement des personnes en difficulté. « Par exception, les versements effectués au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite de certains soins à des personnes en difficulté demeureront éligibles à une réduction d’impôt au taux de 60 %, quel que soit leur montant », précise le ministère de l’Economie. Une exception qui ne satisfait pas le secteur. « Ces associations interviennent sur la seule urgence sociale (aides alimentaires, personnes sans domicile, soins), sur les symptômes de nos maux. Elles n’œuvrent pas pour les causes et les enjeux à long terme comme l’égalité des chances, l’aide aux malades, le sport pour tous, l’accessibilité pour les handicapés, l’aide à l’enfance, l’accès à la culture, qui concernent des millions de bénéficiaires », souligne le mouvement Les Pélicans. Le syndicat France Générosités regrette, pour sa part, « une modification substantielle de la philosophie de la loi “Aillagon” en créant une hiérarchie entre les causes et les mécènes et en apportant une complexité sur un dispositif dont la grande force résidait dans sa lisibilité et sa simplicité ».

Enfin, « afin de renforcer l’éthique du mécénat de compétence », l’article 50 du PLF pour 2020 prévoit de limiter la prise en compte dans l’assiette de la réduction d’impôt, pour chaque salarié mis à disposition par une entreprise, des rémunérations versées et charges sociales y afférentes à trois fois le montant du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale – soit à un peu plus de 10 000 € brut par mois (10 131 € si on tient compte du plafond 2019).

Un aspect de l’article 50 relatif à la réforme du mécénat a reçu l’approbation des associations : la disposition qui permet aux TPE-PME de bénéficier de la défiscalisation de leurs dons jusqu’à 20 000 €, contre 10 000 € auparavant. Cette majoration du plafond des dons vise à favoriser le mécénat local des petites entreprises. Si le Mouvement associatif salue cette mesure, il condamne, dans un communiqué en date du 20 décembre, « les messages contradictoires donnés par le PLF et l’instabilité fiscale qui perdure depuis deux ans [et] nuit à la confiance entre l’Etat et les associations ». Et d’exprimer une forte impatience : « Un an après la présentation de la feuille de route du gouvernement pour la vie associative, et alors que les acteurs associatifs ont mis de nombreuses propositions sur la table pour nourrir une grande politique de développement de la vie associative et joué pleinement le jeu de la concertation et du dialogue, la traduction en actes budgétaires du soutien à ce “trésor national” qu’est la vie associative, selon les termes du gouvernement, se fait toujours attendre. »

28 % des dons aux causes sociales

Selon le syndicat France Générosités, l’Hexagone compte environ 1,5 million d’associations, représentant 1,4 million d’emplois en équivalents temps plein et 31 millions de participations bénévoles. En 2018, ces associations ont reçu 7,5 milliards d’euros de dons provenant de 5,5 millions de foyers : 3,5 milliards d’euros de dons manuels, 1 milliard de legs et libéralités et 3 milliards du mécénat d’entreprise. Sur ces 3 milliards d’euros de mécénat d’entreprise, 28 % vont à des causes sociales et 23 % à l’éducation.

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