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“Les robots sont un outil thérapeutique”

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Les robots ont démontré leur utilité thérapeutique, notamment dans les pathologies liées à l’autisme et au vieillissement. Mais ils ne remplaceront jamais la relation humaine, et il existe des risques liés à leur utilisation, prévient le psychiatre Serge Tisseron, spécialiste des relations entre les hommes et les robots.
Le recours à la robotique est-il fréquent dans le domaine de la santé mentale ?

Deux domaines sont concernés. D’abord les enfants atteints de troubles du spectre autistique (TSA), qui ont en commun des problèmes de communication et un répertoire comportemental restreint. Les robots humanoïdes, dont les réactions sont simples et limitées, constituent pour certains d’entre eux des interlocuteurs privilégiés. C’est le cas avec Kaspar, qui manifeste de la joie quand il est chatouillé ou de la tristesse quand il est frappé. Un autre, Nao, invite les enfants à imiter ses gestes, à nommer les parties du corps que ces derniers touchent et à reconnaître les émotions que Nao signifie par ses mouvements. L’autre domaine est celui des personnes âgées. Des Nao font office d’« agents de conversation » dans des établissements en provoquant des réactions des personnes âgées entre elles. Le robot Paro, lui, sert d’auxiliaire thérapeutique dans les Ehpad, principalement auprès des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il se présente sous forme d’un bébé phoque en peluche blanche, capable de répondre aux sollicitations en tournant la tête, en grognant et en ronronnant. Paro peut aussi être un « assistant de rééducation psychomotrice ». En sa présence, certaines personnes font mieux les exercices du kinésithérapeute.

Ces nouveaux partenaires de soins sont-ils réellement efficaces ?

Le robot Paro apaise et réconforte certains patients souffrant de la maladie d’Alzheimer. Il diminue aussi l’anxiété et la douleur lors de certaines interventions : par exemple, transférer un patient âgé de son lit à un lit médicalisé, le déplacer pour un examen… Le robot Nao proposé aux enfants autistes donne également des résultats très positifs. Les psychologues ont noté que lorsqu’un conte est raconté par le robot et non par un humain, les enfants sont plus concentrés et mémorisent mieux le texte. Ensuite, ils sont plus enclins à jouer la scène racontée avec d’autres enfants, donc à se socialiser. L’autre attrait de Nao est que les utilisateurs peuvent le programmer. Le texte saisi sur une tablette est dit par le robot. Cela permet à des enfants autistes de dire des choses par robot interposé, qu’ils n’arrivent pas forcément à formuler autrement. De 2014 à 2017, une expérience menée à l’hôpital de jour du CHU de Nantes sur cinq adolescents atteints de TSA a montré qu’ils emploient le robot comme un porte-voix. On s’est aperçu que leur carapace autistique devenait progressivement plus perméable aux bruits extérieurs perçus, peu à peu, comme moins dangereux. Certains jeunes ont aussi découvert leur voix en l’entendant, après enregistrement, par l’intermédiaire de Nao. Un jeune qui ne parlait jamais en consultation a ainsi pu exprimer ses pensées et me dire qu’il aimait le foot. La recherche avec les robots pourrait être élargie à des enfants maltraités.

Les machines sont-elles amenées à se substituer aux professionnels ?

Les robots sont souvent perçus comme une menace pour les emplois de santé et le risque de n’avoir bientôt affaire plus qu’à eux. Mais ils ne remplaceront jamais une relation humaine. La tentation des fabricants au début a été de dire aux soignants : « Mettez Paro sur les genoux des patients, ça va les calmer et vous pourrez faire autre chose. » La réalité est différente. Certains résidents d’Ephad refusent le robot au prétexte qu’ils ne sont pas des bébés et n’ont pas besoin d’une peluche. Des tests sont aussi en cours pour évaluer l’intérêt de robots de compagnie au domicile des personnes âgées afin de leur rappeler de prendre leurs médicaments, téléphoner à leurs enfants, fêter l’anniversaire de leurs petits-enfants… Mais les premiers retours indiquent que beaucoup d’entre elles sont dérangées par une voix sortant d’une machine. Les personnes âgées ont surtout besoin de quelqu’un qui les rassure. Les robots ne doivent être utilisés que de façon médiatisée, dans une relation à trois entre l’objet, la personne et l’intervenant. Le robot est un outil, un support thérapeutique, un soutien émotionnel vis-à-vis de personnes handicapées ou déprimées. L’utilisation du stéthoscope ou du thermomètre n’a pas remplacé le médecin. Une personne âgée en souffrance est parfois difficilement accessible. Mais si les infirmières lui présentent Paro, le caressent avec elle, elles vont pouvoir commencer à établir un contact.

Y a-t-il des risques de dérives et lesquels ?

Il y en a principalement trois. Le premier serait d’oublier qu’un robot est connecté en permanence à son fabricant à qui il transmet un grand nombre de données personnelles. Il pourra même être programmé pour obtenir des confidences, ou inciter son utilisateur à acheter certains produits. Le deuxième risque serait de croire que les machines peuvent ressentir et souffrir exactement comme nous, et créer de graves problèmes. Par exemple, une personne âgée pourrait tomber en voulant empêcher son robot d’avoir un accident. Les campagnes de publicité disant que les robots ont du « cœur », comme celle lancée pour le robot Pepper, entretiennent d’ailleurs la confusion et devraient être interdites par la loi. Enfin, le dernier risque majeur serait que les robots soient si agréables pour certaines personnes qu’elles finissent par les préférer à la compagnie des humains. Tout comme le téléphone portable nous a rendus moins tolérants à l’attente, des robots conçus pour s’adapter à nous, être dociles, pourraient nous rendre moins indulgents envers le caractère imprévisible de nos semblables.

Comment se protéger de ces dangers potentiels ?

Des balises sont indispensables. Le robot Paro, par exemple, n’est pas laissé à la personne âgée plus de dix à quinze minutes afin de limiter les risques d’attachement. De même, il ne faut pas dire à des enfants atteints de TSA que le robot va « faire dodo » mais que l’on va le replacer dans sa coquille protectrice pour qu’il ne s’abîme pas. De plus, un robot doit toujours être apporté éteint à son utilisateur, de sorte qu’il l’allume lui-même, et il faut lui demander qu’il l’éteigne lui-même à la fin de la séance. Les soignants ou les aidants ne doivent pas non plus inciter les patients à embrasser le robot pour lui dire « bonjour » ou « au revoir »… Il est également utile que la protection des robots soit en partie transparente pour rappeler leur caractère de machine. De façon générale, ce n’est pas à ceux qui fabriquent ces machines de nous dire de quelle façon elles doivent être utilisées, et encore moins aux machines elles-mêmes de nous dire comment nous comporter avec elles ! C’est aux usagers de dire s’ils sont contents ou pas de leurs services. Il y a urgence à poser autour de ces questions les bases d’un débat citoyen.

Membre de l’Académie des technologies,

Serge Tisseron a créé en 2013, avec Frédéric Tordo, l’Institut pour l’étude des relations homme-robots et codirigé l’étude « Robots, de nouveaux partenaires de soins psychiques » (Ed. érès, 2018). Il est aussi l’auteur de « Petit traité de cyber-psychologie » (Ed. Le Pommier, 2018) et de « Plus jamais seul » (Ed. Les liens qui libèrent) sur les machines parlantes, qui sortira en mars 2020.

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