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Logement social : l’ombre des investisseurs privés

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Un pavé dans la mare… Missionnés en début d’année par Bercy et le ministère de la Cohésion des territoires, l’inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) listent, dans un rapport rendu public le 21 novembre dernier, des scénarios envisageables pour trouver de nouvelles sources de financement destinées au logement social et ouvrir le secteur aux acteurs privés.

La recherche d’un souffle financier complémentaire, ou l’entrée prochaine du loup dans la bergerie ? Datant de juillet 2019 mais publié seulement le 21 novembre, un rapport intitulé « La diversification des sources de financement du secteur du logement locatif social » réalisé par l’inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) s’interroge sur la mobilisation des capitaux privés pour financer le logement social en France.

Ces dernières années, la hausse du coût de revient des opérations de construction, de rénovation et de gestion du logement social, la part moins importante des subventions publiques dans les plans de financement et la réduction de loyer de solidarité (RLS) ont conduit à « déformer ce modèle économique » du secteur du logement locatif social. « Le maintien dans les années à venir d’objectifs de construction ambitieux, notamment en zone “tendue”, suppose un renforcement des fonds propres des organismes et pose la question de l’irruption de capitaux privés », notent les rapporteurs. Mais les investisseurs privés sont-ils intéressés par le logement social ? « Si la curiosité de la place financière pour le logement social est réelle, la volonté avérée d’investir dans le secteur est plus diffuse », précisent les deux services interministériels. « L’intérêt des investisseurs privés pour le logement social est tangible, malgré un système laissant peu circuler le capital et soumis à un principe de lucrativité limitée (plafond de dividendes, évaluation des bilans des bailleurs à la valeur historique du parc et non à la valeur de marché, mises en réserve obligatoires des plus-values de cessions). […] Cet intérêt pourrait n’être que passager, lié au contexte de taux et alimenté par des opérations immobilières récentes, à forte visibilité, réalisées notamment dans le logement intermédiaire. » Et la mission d’ajouter : « Il ne faut pas attendre des investisseurs privés qu’ils investissent dans le logement très social ou dans des zones détendues. Les interlocuteurs rencontrés ont clairement signifié avoir un intérêt pour les PLS [prêts locatifs sociaux], dans une moindre mesure pour les PLUS [prêts locatifs à usage social] et, s’agissant de la localisation géographique, pour la région parisienne et les espaces métropolitains dynamiques. »

Des risques juridiques d’intensité variable

« Certains choix, au demeurant, s’ils étaient mis en œuvre sans garde-fous, auraient un caractère irréversible en termes d’attrition du parc social », mettent en garde les rapporteurs. Ils citent pour exemple le cas de la politique du logement en Allemagne, où le logement social a été largement vendu à des foncières privées après la réunification, ce qui a conduit à « une très forte attrition du parc social (ramené à 4 % du total du parc de logements) ». L’exemple de l’Allemagne depuis vingt-cinq ans montre en effet que l’application des modèles de rentabilité des investisseurs privés sans protection du parc social a conduit à la vente de logements en quantité très supérieure à celle des constructions. L’Allemagne est passée d’un modèle « généraliste » à un modèle « résiduel » de logement social, et a également connu de fortes hausses des loyers dans les zones attractives.

Tout en insistant sur le « rôle fondamental » de la Caisse des dépôts et consignations « dans la sécurisation du système de financement » et en pointant les « grands risques » que ferait courir une « diversification massive » des emprunts opérés par les bailleurs sociaux sur les marchés bancaires, l’IGF et le CGEDD listent plusieurs options, qui « supposent des modifications importantes » du corpus législatif et réglementaire, et « présentent des complexités techniques et des risques juridiques d’intensité variable ».

Dans le cadre juridique actuel issu de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (« Elan »), seuls les logements PLS de plus de quinze ans peuvent être cédés en bloc à des investisseurs privés. La zone géographique d’intérêt de ces derniers étant limitée aux métropoles, et essentiellement à l’agglomération parisienne, le stock de logements attractifs est faible. Selon le rapport IGF-CGEDD, l’extension de la vente en bloc aux logements PLS de plus de dix ans et aux PLUS favoriserait la rotation du parc sans pour autant constituer une source de fonds propres systématique. Il demeurerait néanmoins une réticence des bailleurs sociaux à se départir de leur parc, réticence également partagée par les collectivités territoriales. Le rapport IGF-CGEDD passe également en revue d’autres options supposant « des modifications plus conséquentes ». Ces options doivent néanmoins s’inscrire dans le cadre du service d’intérêt économique général (Sieg) au sens de l’Union européenne, « qui contraint le bénéfice à une certaine limite, donc à une forme de lucrativité limitée ». Par ailleurs, le rapport rappelle que les logements sociaux ayant une valeur économique bien supérieure à celle inscrite au bilan des bailleurs, « il serait inadmissible que des acteurs privés s’approprient indûment cette valeur largement constituée par un soutien financier public accumulé au fil des ans ».

En premier lieu, le rapport propose la création d’un « véhicule d’investissement ad hoc ». En clair, le bailleur social pourrait apporter la partie du parc qu’il souhaite valoriser et des investisseurs privés achèteraient des parts du véhicule, en versant du numéraire au bailleur. Le véhicule d’investissement confierait ensuite la gestion du patrimoine qu’il détient au bailleur apporteur. En fin d’opération, après déconventionnement des logements, ceux-ci pourraient être cédés. Il s’agit là d’un mécanisme « connu des investisseurs », qui « permet de délimiter les opérations dans l’espace et dans le temps, sans modifier les règles applicables au secteur du logement social », argumentent les deux services. La faisabilité juridique de cette formule est, précisent les rapporteurs, « grevée d’une incertitude forte tenant à l’application des règles de la commande publique », lesquelles exigent une mise en concurrence pour la gestion des logements. « Il se pourrait ainsi que le bailleur ayant apporté les logements sociaux ne puisse en assurer la gestion locative pour le compte du véhicule. Les cas possibles d’exonération des règles de la commande publique ou le recours à des majorations ou compléments de prix d’acquisition seraient des solutions à étudier. »

Un nouveau statut de bailleur social

La deuxième option envisagée est la création d’un nouveau statut de bailleur social, sous forme de foncière, qui aurait « un objet large en matière d’immobilier résidentiel ainsi qu’une logique de rotation systématique de l’ensemble des logements sociaux détenus ». « Cela implique notamment de rehausser le niveau maximum de dividende et également de permettre des augmentations de capital et des rachats d’actions, de réévaluer le bilan, à la valeur de marché. » Une ouverture qui porte aussi « un risque de multiplication de situations pouvant aboutir à un enrichissement indu qui devraient être prévenues par la création de taxes dédiées (ou de surtaxes spécifiques au niveau des actionnaires historiques) », concèdent-ils. Cette option « fait naître une dualité au sein du logement social, avec deux régimes financiers différents qu’il faudra faire préalablement valider par la Commission européenne au regard du service d’intérêt économique général », soulignent l’IGF et le CGEDD.

Troisième piste possible : assouplir les règles applicables aux entreprises sociales pour l’habitat (ESH) et aux sociétés d’économie mixte (SEM) pour permettre l’entrée dans leur capital de nouveaux investisseurs. Les rapporteurs indiquent que la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers estime que « l’entrée directe d’investisseurs privés au capital des organismes de logement social remettrait en cause toute relation de quasi-régie pouvant exister entre ceux-ci et leur pouvoir adjudicateur de contrôle ».

Un mandat de gestion locative sociale à durée limitée

Le quatrième scénario consisterait à accorder un mandat de gestion locative sociale à durée limitée « à tout acteur respectant un cahier des charges (plafonds de loyers et de ressources, conventionnement, commissions d’attribution) », qui bénéficierait ainsi des compensations publiques « légalement prévues ». « Ces acteurs pourraient être des bailleurs sociaux ou privés, ou encore des particuliers bénéficiant de dispositifs de défiscalisation pour l’investissement locatif social. » Cette option rejoint la solution prônée par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), favorable à ce que soit considéré comme « social » non pas le logement en tant que tel, mais le ménage qui y est logé. Cette approche par l’activité et non par les opérateurs, qui prévaut dans les autres pays examinés par la mission (Pays-Bas, Allemagne), où des acteurs privés (y compris des personnes physiques) peuvent être propriétaires de logements locatifs sociaux, s’inscrit davantage dans la logique du Sieg prévoyant l’octroi d’un mandat par la puissance publique à des opérateurs pour la réalisation d’une mission d’intérêt général, à durée limitée.

Si les rapporteurs soulignent que « l’accroissement de l’intensité concurrentielle sur le segment d’activité du logement social pourrait se traduire en théorie par une amélioration du service rendu et une modération des coûts de gestion », ils rappellent que cette formule « constitue toutefois un changement radical de politique publique, porteur de conséquences lourdes à court et moyen termes ». Pour les bailleurs sociaux existants, « la transition nécessaire serait sans doute difficile ». De plus, « une telle solution rendrait moins praticable le pilotage comme la planification de la politique du logement social par les pouvoirs publics, au niveau national comme au niveau local ». Et d’expliquer que l’ouverture du cahier des charges de gestion locative sociale serait susceptible de ne plus permettre un pilotage de la politique de logement social en termes de constructions nouvelles et d’entretien du parc, à partir du moment où les acteurs qui en seraient chargés ne s’inscriraient pas nécessairement dans une perspective de long terme et de développement.

Sur Twitter, Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, a voulu rassurer les bailleurs sociaux : « Il s’agit là d’un rapport et pas d’une position du gouvernement. Le gouvernement n’a qu’une boussole, consolider le modèle français du logement social pour produire des logements abordables. » Il a également affirmé : « Nous ne modifierons pas les règles qui préservent le capital des HLM. Je m’y suis toujours opposé ! »

« Sortir du double jeu »

Dans un communiqué en date du 21 novembre, le Mouvement HLM a appelé le gouvernement « à sortir du double jeu » et attend de lui qu’il s’oppose « sans ambiguïté à toute forme de financiarisation du logement social au profit d’intérêts privés et au détriment de sa mission sociale ». Pour Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat (USH), « il est devenu dans les habitudes de Bercy de maltraiter le logement social. Avec ce rapport, les masques tombent. » Et d’interroger : « Quels intérêts sert ce rapport ? Celui des intérêts financiers qui conçoivent l’immobilier social comme une opportunité par temps de taux bas, ou ceux des habitantes et des habitants qui vivent dans un logement social ou attendent un logement social ? Le choix de la privatisation du logement social, d’autres pays l’ont fait et cela a eu des effets désastreux. Je ne souhaite pas à la France, pour sa cohésion, ses territoires, son économie, de vivre la même expérience. Le logement social est au service des personnes et des familles qui ont des revenus modestes, ça n’est pas qu’une affaire de tableur Excel. » Le Mouvement HLM rappelle en outre « qu’il n’a pas attendu pour ajuster son modèle de financement et travaille avec ses partenaires de long terme dans ce domaine, mais il exclut toute solution qui faciliterait la financiarisation de son modèle ».

Le parc locatif social au 1er janvier 2019

Le Commissariat général au développement durable (CGDD) vient de publier les chiffres du parc locatif social au 1er janvier dernier. Celui-ci compte 5 089 800 logements, en progression de 1,7 % sur un an (86 300 logements supplémentaires). En 2018, 80 400 logements ont été mis en service, dont 88 % étaient neufs. Dans le même temps, 11 300 logements ont été démolis, 10 800 ont été vendus et 700 ont changé d’usage ou ont été restructurés. Au 1er janvier dernier, 2,9 % des logements étaient vacants ; ce taux était de 2,8 % au 1er janvier 2018. Le taux de vacance de plus de trois mois (1,4 %), varie très peu lui aussi (– 0,1 point par rapport à 2018).

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