« Pour appeler les gendarmes ? Il faut appeler le 18 ! Le 15 ? Je ne sais pas… », souffle Vincent face à la caméra. « Que fait un gendarme ? Il commande d’autres gendarmes », tente Jean-Michel. Les témoignages de ces handicapés, filmés dans de courtes séquences sur le rôle des forces de l’ordre, défilent à l’écran. Dans la salle, une vingtaine de gendarmes les découvrent, attentifs. « Un handicapé peut dire une chose et son contraire l’instant d’après en fonction de la formulation d’une même question », explique en éteignant le vidéoprojecteur Jean-Claude Soulet, directeur de pôle auprès de l’association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Charente. Tous volontaires, les gendarmes sont venus à Soyaux, commune située aux portes d’Angoulême, pour assister à un atelier de sensibilisation au handicap. Une première pour ces professionnels charentais amenés à auditionner comme témoins, victimes ou auteurs des personnes atteintes de déficience intellectuelle.
La démarche est née d’un constat : ces deux dernières années, une quinzaine de personnes suivies par l’Adapei ont été entendues dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Les difficultés ou les quiproquos rencontrés par les gendarmes lors des auditions ont conduit l’association à imaginer cet atelier. « C’est clairement un plus, les retours sont très positifs », confirme l’adjudant Ludovic Pageaux, en poste à Chalais, dans le sud du département. Des gendarmes de la brigade de recherche, de la brigade de la protection des familles ou encore du peloton de surveillance et d’intervention sont également présents.
« Le second degré est très mal compris des handicapés. Et beaucoup n’ont aucune capacité d’abstraction », plaide ainsi Séverine Montagne, l’une des psychologues de l’Adapei. « Hier, aujourd’hui, demain… Ces notions n’ont parfois aucun sens pour eux », abonde Laurence Nonnet, une autre psychologue. Le niveau de langage, la concentration limitée ou la temporalité peuvent également compliquer les échanges. « Les corps et les visages peuvent réagir différemment, afficher un rictus, un sourire, alors que ces personnes angoissent, ont peur », ajoute Jean-Claude Soulet. Les professionnels mettent en avant leurs propres expériences pour appuyer leurs propos. « Un résident, effrayé, m’a récemment annoncé la mort de sa tante. Elle est décédée 17 ans auparavant, raconte Séverine Montagne. Ces personnes ne fabulent pas. C’est bien leur réalité, mais avec une autre temporalité. » Un gendarme demande s’il est intéressant d’employer l’entretien cognitif, une autre demande à quel organisme s’adresser en cas de difficulté. Pour l’audition, l’idéal serait que les gendarmes se déplacent au lieu de vie de la personne, dans un environnement qu’elle connaît, calme et discret. « C’est déjà ce que nous faisons, précisent les gendarmes. Et nous sommes moins embêtés par le bruit. »
Les gendarmes aussi confrontent leurs expériences. « Sur notre circonscription, nous avons un IME, un Esat… Nous sommes régulièrement au contact de ces publics. Ce type d’atelier nous permet de mieux connaître les besoins, les techniques », assure l’adjudant Ludovic Pageaux. Le gendarme Christalline Dard acquiesce : « Nous devons adapter notre vision de l’enquête, nos méthodes pour ne pas passer à côté de quelque chose. Nous intervenons souvent dans l’urgence. Ça peut nous donner des techniques pour engager une conversation. » Après les gendarmes, l’Adapei sensibilisera bientôt les policiers charentais. « Et ça remontera peut-être jusqu’aux magistrats et au législateur », espère Jean-Claude Soulet, qui appelle à une prise de conscience et à la mise en place de dispositifs adaptés aux spécificités du handicap. « Les résultats se mesureront sur le long terme. Mais il s’agit de créer les bons réflexes face à ces citoyens et justiciables comme les autres. »
Plus d’infos sur www.adapei-charente.fr.