En cette fin d’année 2019, le sujet de l’égalité professionnelle est d’actualité : l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) publie la deuxième édition de son guide, tandis que le Medef fait paraître son huitième baromètre de la perception de l’égalité des chances. Il nous apprend que cette dernière est un sujet prioritaire ou important pour 89 % des salariés interrogés. Et plus des trois quarts d’entre eux (76 %) estiment que la question est d’ordre majeur ou importante pour leur entreprise (+ 16 points depuis 2012).
Côté gouvernemental, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a indiqué dans un communiqué de presse en septembre dernier, que « l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est inscrite dans la loi depuis 1972. Pourtant, à travail de valeur égale, le salaire des femmes reste inférieur de 9 % à celui des hommes. Cet écart s’élève à 25 % tous postes confondus et à 37 % au moment du départ à la retraite. C’est socialement inacceptable, dans un pays qui a placé l’égalité au cœur du pacte républicain. C’est économiquement absurde, car la discrimination fondée sur le genre nuit à la performance économique des entreprises ». Les mots choisis sont forts. La rémunération n’est qu’une des nombreuses facettes du principe d’égalité. Par exemple, certaines professions sont quasi exclusivement exercées par des femmes. La preuve en chiffres : dans le milieu de l’aide à domicile par exemple, 97,7 % des aides à domicile sont des femmes : dans le monde médical, elles représentent 90,4 % des aides-soignants et 87,7 % des infirmiers et sages-femmes, selon l’Observatoire des inégalités dans son étude de 2014. Le lien avec la rémunération peut être fait à l’intérieur de ces emplois principalement féminins. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) constate, dans ses données publiées à l’occasion de la Journée de la femme en 2019, qu’elles « occupent en moyenne environ 90 % des emplois du secteur de la dépendance, le plus souvent dans des activités faiblement rémunérées ».
Afin de mieux comprendre ce sujet, dont la place va grandissante dans le monde du travail, après avoir détaillé le principe (I), nous nous attacherons aux obligations de négociation et de mesures qui s’imposent aux entreprises et établissements (II).
Si nous voulons une définition de ce principe, nous pouvons nous référer à celle du Conseil de l’Europe. Il s’agit de « l’égale visibilité, autonomie, responsabilité et participation des deux sexes dans toutes les sphères de la vie publique et privée ».
Au sein de l’entreprise, elle désigne l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, en termes d’accès à l’emploi, à la formation, à la mobilité et à la promotion ou en termes d’égalité salariale. Sur ce dernier point, et selon une analyse de l’Insee publiée le 19 février 2019, les femmes salariées du secteur privé gagnent 18 % de moins que les hommes en moyenne. D’après cette même étude, la parentalité creuse l’écart au détriment des femmes. Les mères gagnent en effet 23 % de moins que les pères(1).
Plus récemment, l’étude que l’institut a publié le 13 novembre dresse un point sur la situation du principe d’égalité en 2019. Enseignements : les écarts sont moins marqués en début de vie active mais ils vont croissant au détriment des femmes au fur et à mesure du développement de leur carrière. Si on mesure le taux d’activité des femmes âgées de 15 à 64 ans en 2018, il est, certes, inférieur de 8 points à celui des hommes (68 % des femmes de cette tranche d’âge travaillent) mais il a progressé de 31 points entre 1975 et 2018. L’amélioration est nette mais l’égalité n’est pas au rendez-vous. Au niveau du salaire net médian, l’écart passe de 100 € en début de carrière à 410 € après 11 ans. L’Insee attribue en partie cet écart au temps partiel qui est souvent un choix féminin ainsi qu’aux interruptions de carrière plus fréquentes chez les femmes.
L’égalité professionnelle est un principe constitutionnel. L’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit l’égalité des droits reconnus aux femmes et aux hommes « dans tous les domaines ». Le second alinéa de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Le principe s’est ensuite imposé par une sédimentation légale. En 1972, l’égalité de rémunération entre hommes et femmes, pour « un même travail ou un travail de valeur égale », fait son entrée dans le code du travail, via la loi n° 72-1143 du 22 décembre « relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Il s’agit de la transposition de la Convention n° 100 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui apporte une définition de la notion de rémunération : « Il faut entendre le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. » Trois ans plus tard, la loi du 4 juillet 1975 interdit aux employeurs de rédiger une offre d’emploi réservée à un sexe, de refuser une embauche ou de licencier en fonction du sexe ou de la situation de famille sauf motif légitime. Cette exception, à la définition floue, sera supprimée par la loi dite « Roudy » du 13 juillet 1983, qui réaffirme le principe de l’égalité dans tout le champ professionnel : recrutement, rémunération, promotion ou formation. Elle est le fruit de la transposition de la directive européenne du 9 février 1976, qui enjoint les Etats à prendre des mesures afin de supprimer toutes les dispositions discriminatoires envers les femmes et contraires au principe de l’égalité de traitement. Depuis cette loi, les employeurs sont tenus de considérer que « les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités » sont considérés comme ayant une valeur égale et donc qu’ils méritent un salaire égal.
Le thème devient un sujet du dialogue social au sein des entreprises avec la loi dite « Génisson » du 9 mai 2001. Une négociation doit avoir lieu tant au niveau de la branche que de l’entreprise. Comme les prémisses d’un index, les entreprises doivent rédiger un rapport de situation comparée qui doit reposer sur des indicateurs chiffrés. La loi encourage les entreprises à mettre en œuvre des « mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées notamment en ce qui concerne les conditions d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et pour ce qui est des conditions de travail et d’emploi ». Cinq ans plus tard, l’invitation devient obligation dans la loi du 23 mars 2006. En effet, le législateur impose de négocier des mesures de suppression des écarts de rémunération qui doivent avoir disparu au 31 décembre 2010. Toujours en 2006, la révision constitutionnelle du 23 juillet élargit le champ d’application du principe de parité du second alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 à la « parité aux responsabilités professionnelles et sociales »(1).
La loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 « relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle », dite aussi loi « Copé-Zimmermann », ordonne le respect d’un quota minimal de membres de chaque sexe afin d’assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des instances précitées. Le texte prévoit l’instauration progressive de quotas pour aller vers la « féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises » puisque l’obligation s’applique aux sociétés cotées ou d’au moins 500 salariés. Le 1er janvier 2019 constituait la date butoir à laquelle les entreprises assujetties à cette obligation devaient compter 40 % de femmes au sein de leur conseil d’administration. Selon l’observatoire Ethics &Boards, le compte est bon. Les instances dirigeantes des grands groupes comptent aujourd’hui 43,6 % de femmes.
Après le texte de 2011, François Hollande prend la présidence de la République en mai 2012 et fait de l’égalité professionnelle un emblème de son quinquennat. La meilleure illustration est sans nul doute la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Le texte contient des mesures fortes pour améliorer le quotidien des femmes, comme le renforcement de la négociation d’entreprise et de branche en faveur de l’égalité professionnelle ou encore la réforme du congé parental.
En 2015, la loi du 17 août relative au dialogue social instaure également une obligation de représentation équilibrée entre hommes et femmes. Le texte impose que les listes de candidats aux élections professionnelles respectent la parité et la règle de l’alternance hommes-femmes sous peine d’annulation des élections. Son successeur poursuit la mission. En septembre 2018, la loi du 5 septembre pour la liberté de choisir son avenir professionnel fait la part belle à la cause. Les entreprises sont contraintes de mesurer et de corriger les différences de rémunération dans les entreprises. Celles-ci ont désormais une obligation de résultat et non plus seulement une obligation de moyens. Emmanuel Macron poursuit la mission et légifère en faveur de l’égalité.
Nous parlons d’employeurs car les principes découlant de l’égalité professionnelle sont applicables tant aux entreprises privées et aux structures associatives qu’aux employeurs publics. Avant de détailler les obligations qui dépendent de la taille des structures, voyons les principes impératifs auxquels elles sont toutes soumises. Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, sont tenues de respecter le principe d’égalité de traitement dans plusieurs domaines : l’embauche et le salaire sont les deux plus importants.
En mai 2018, le président de la République, conscient des problématiques d’accès à l’emploi dans les banlieues mais également de celles des femmes, lance l’opération « 10 000 tests » à la discrimination à l’embauche. Les résultats sont attendus depuis mars 2019. De leur côté, le défenseur des droits et l’OIT publient chaque année un baromètre des écarts. Le 11e, qui date de septembre 2018, confirme que les femmes restent significativement plus touchées que les hommes par la discrimination, et notamment les femmes perçues comme non blanches ou en situation de handicap. Les opérations de sensibilisation et de dénonciation sont également au rendez-vous. Le 2 octobre 2019, par exemple, l’émission télévisée « Pièces à conviction » de France 2 diffusait un documentaire intitulé « Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Enquête sur la discrimination au travail ». Les téléspectateurs ont pu constater qu’un homme était plus facilement embauché qu’une femme. Dans la même veine, une étude rendue publique le 5 novembre 2019 a été réalisée auprès de 451 employeurs franciliens, de concert avec l’Observatoire des discriminations de la Sorbonne. On apprend qu’une femme qui postule à un emploi considéré comme typiquement masculin, à l’instar d’un poste de mécanicien automobile, a 22 % de chances en moins qu’un homme, à compétences et qualifications égales, de se voir proposer un entretien d’embauche.
Pour définir la discrimination à l’embauche, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une forme de discrimination pratiquée par l’employeur ou le recruteur, à l’encontre d’un candidat à un emploi. La discrimination est caractérisée quand les employeurs se basent sur des critères subjectifs, n’ayant pas de rapport direct avec les compétences requises, ou l’expérience professionnelle recherchée, pour occuper le poste qu’ils proposent.
Ce que dit la loi : l’article L. 1132-1 du code du travail précise les motifs qui ne peuvent pas être invoqués par le recruteur pour écarter d’office un candidat. Il s’agit du sexe, de l’origine, de l’âge, de l’orientation sexuelle, des mœurs, de l’identité de genre, de la situation de famille ou de l’état de grossesse, des caractéristiques génétiques, des opinions politiques, de l’appartenance supposée ou vraie à une race ou à une ethnie, d’une vulnérabilité liée à la situation économique, des activités syndicales ou mutualistes, des convictions religieuses, de l’apparence physique, du nom de famille, du lieu de résidence, ou de l’état de santé ou de handicap.
L’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 complète l’article précité. « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. » La discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés ci-dessus et tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
En amont du recrutement, il est interdit de mentionner, dans une offre d’emploi, le sexe (ou la situation de famille) du candidat recherché, ou de prendre en compte l’appartenance du candidat, à l’un ou l’autre sexe, comme critère de recrutement. Par exception toutefois, des emplois précis peuvent être interdits aux femmes en raison de leur caractère dangereux. La difficulté réside dans la preuve de la discrimination. Comment prouver que Mme A. n’a pas été recrutée non parce qu’elle était femme mais parce que ses compétences n’étaient pas en adéquation avec le poste ? La démonstration est malaisée. Les textes sont posés mais les difficultés de preuve amènent les recruteurs à poursuivre leurs méthodes : « Il est plus simple de travailler avec un homme car il aura moins de problématiques de garde d’enfants » ; « je souhaite recruter uniquement un homme, ne m’envoyez pas de CV de femmes » ; « si vous me trouvez une femme, je n’ai rien contre mais pas une jeune, elle va faire des enfants » : telles sont les paroles rapportées par la dirigeante d’une enseigne nationale de cabinets de recrutement qui souhaite garder l’anonymat.
A noter : Il existe trois types d’emplois où l’appartenance à l’un ou l’autre sexe peut être légalement déterminante. Il s’agit des artistes appelés à interpréter soit un rôle féminin, soit un rôle masculin, des mannequins chargés de présenter des vêtements et accessoires ainsi que des modèles masculins et féminins (code du travail [C. trav.], art. R. 1142-1).
Face aux pratiques discriminantes qui persistent, nous pouvons nous demander comment agir pour les contrer. « Pour aller plus loin en matière de lutte contre la discrimination à l’embauche, il y a peu de pistes, et elles sont connues et communes à toutes les discriminations : développement du CV anonyme sans indication du sexe, méthode du “testing” pour déjouer les entretiens aux conclusions discriminantes, publication systématique des jugements de condamnation… », propose Isabelle Taraud, avocate au barreau du Val-de-Marne, spécialiste en droit du travail et membre du Syndicat des avocats de France (SAF). Pour ancrer le sujet encore plus dans l’actualité, le syndicat organisait, le 7 décembre, un colloque au thème évocateur : « La condition des femmes au travail : une cause à défendre ». La solution pour avancer, selon l’avocate, est de « donner les moyens aux victimes de se défendre. Une femme dont la candidature a été rejetée aura à cœur de poursuivre ses démarches auprès d’autres employeurs et non de se défendre contre cette discrimination. Lorsque les victimes ne sont pas en situation de porter une défense individuelle effective, la répression est rendue inefficace. Il faut donc trouver des moyens collectifs de lutter contre le phénomène. Battre en brèche les préjugés en ne cessant de dénoncer pour faire évoluer les mentalités. Développer les outils de mesures, y compris pour la surveillance des politiques d’embauches : exiger des critères transparents dans les politiques de recrutement qui seront débattues avec le CSE (via sa commission égalité professionnelle) et avec les syndicats. »
Le code du travail contient un arsenal juridique en matière d’égalité salariale, dans sa troisième partie législative, sous l’intitulé « Durée du travail, salaire, intéressement, participation et épargne salariale ». Les articles L. 3221-1 à L. 3221-7 portent sur le salaire et les avantages divers et énumèrent les principes relatifs à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. L’article L. 3221-1 du code fixe le champ d’application du principe de l’égalité professionnelle. Il est applicable aux employeurs de droit privé et à leurs salariés (art. L. 3211-1), mais également aux personnes non régies par le code du travail ainsi qu’aux agents de droit public. Juste après, l’article L. 3221-2 oblige les employeurs à rémunérer tous les salariés exerçant la même prestation d’une manière égale, sans discrimination sexuelle.
L’article L. 3221-4 précise, quant à lui, la portée de l’égalité de rémunération et définit les termes « valeur égale ». Il s’agit des prestations dont l’exercice nécessite une certaine connaissance attribuée par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle. Selon les dispositions de l’article L. 3221-5, les salariés d’une même entreprise qui effectuent la même prestation ne peuvent pas être rémunérés différemment sur la base de leur appartenance sexuelle. En complément, l’article L. 3221-6 porte sur le régime salarial en vue d’assurer l’égalité de traitement entre hommes et femmes. Il traite de la garantie d’un salaire égal entre les femmes et les hommes.
Les principes étant posés, reste à savoir ce que les entreprises risquent en cas de non-respect, l’article L. 3221-7 apportant la réponse. « Est nulle de plein droit toute disposition figurant notamment dans un contrat de travail, une convention ou accord collectif de travail, un accord de salaires, un règlement ou barème de salaires résultant d’une décision d’un employeur ou d’un groupement d’employeurs et qui, contrairement aux articles L. 3221-2 à L. 3221-6, comporte, pour un ou des salariés de l’un des deux sexes, une rémunération inférieure à celle de salariés de l’autre sexe pour un même travail ou un travail de valeur égale. »
D’après Isabelle Taraud, « il y a eu des jurisprudences, des réformes et des discours politiques. Mais de la parole à l’action concrète, utile et efficace, il reste encore beaucoup de route. Non pas que les outils manquent : la difficulté vient plus de la volonté d’y recourir pleinement, et pour les entreprises, avant tout d’ailleurs parce que cela représente des revalorisations salariales très conséquentes, et donc un poids financier très lourd. » L’argent serait donc également le nerf de la guerre en matière d’égalité professionnelle.
A noter : En vertu des dispositions de l’article R. 3221-2 du code du travail, les dispositions des articles L. 3221-1 à L. 3221-7 que nous venons de passer en revue doivent être portées, par tout moyen, à la connaissance des personnes ayant accès aux lieux de travail, ainsi qu’aux candidats à l’embauche.
En plus de l’embauche et de la rémunération, tout employeur doit respecter le principe d’égalité de traitement en matière de déroulement de carrière, d’accès à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle. Toutes les décisions prises dans les domaines de la qualification, de la classification doivent l’être hors considération de sexe. Par exemple, il est interdit de muter une femme plutôt qu’un homme ou de promouvoir un homme plutôt qu’une femme (C. trav., art. L. 1142-1 à L. 1142-3). Afin de rétablir un équilibre, trop souvent en défaveur des femmes, le législateur autorise la mise en place de mesures au seul bénéfice des femmes. L’article L. 1142-4 du code du travail liste les mesures favorables aux femmes qui visent à « établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ». Ces mesures peuvent résulter, « soit de dispositions réglementaires prises dans les domaines du recrutement, de la formation, de la promotion, de l’organisation et des conditions de travail, soit de stipulations de conventions de branches étendues ou d’accords collectifs étendus, soit de l’application du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».
Dans le domaine de la « santé sécurité », l’employeur doit également tenir compte « de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe ». Il doit mettre en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-3).
Tout chef d’entreprise est enfin assujetti à une obligation de prévention et de sanction du harcèlement sexuel. L’article 222-33 du code pénal définit le harcèlement sexuel comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». L’article mentionne également les sanctions encourues par l’auteur de cette infraction, soit 2 ans de prison et 30 000 € d’amende. Ce texte doit être affiché dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux où se tiennent les entretiens d’embauche. Face à un cas de harcèlement en entreprise, l’employeur peut en parallèle prendre des sanctions disciplinaires.
Nous avons vu que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, avaient des obligations en matière de non-discrimination. Celles qui comptent plus de 50 salariés, ou qui possèdent une représentation syndicale, sont en plus soumises à une obligation de négociation et de mesure.
Dans les entreprises dotées d’une représentation syndicale, en vertu des dispositions de l’article L. 2242-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’engager, au moins une fois tous les 4 ans, « une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie au travail ». Cette obligation de négocier n’est pas soumise à une condition d’effectif. Signalons que la périodicité de négociation peut être fixée par accord d’entreprise. Qui dit négociations dit échanges et discussions. L’obligation de parvenir à un accord n’existe pas, pourvu que le thème soit abordé. Néanmoins, faute d’accord, le chef d’entreprise n’a pas pour autant rempli ses obligations, il doit réaliser un plan d’action.
La négociation relative à l’égalité professionnelle impose à l’employeur de prendre, notamment, toutes les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et celles permettant une bonne qualité de vie au travail. Pour atteindre cet objectif, il existe plusieurs possibilités.
Il doit dans tous les cas réaliser une situation comparée des femmes et des hommes et établir un diagnostic des écarts. Le cas échéant, il doit également construire et mettre en œuvre des actions pour réduire puis supprimer les écarts existants. En pratique, l’état des lieux peut être réalisé très facilement, après établissement de la déclaration sociale nominative (DSN), sur le site Internet net-entreprises. L’entreprise reçoit un document chiffré relatif à la situation entre hommes et femmes.
S’agissant de l’accord, celui-ci doit porter sur au moins trois des neuf domaines d’action suivants :
• l’embauche ;
• la formation ;
• la promotion professionnelle ;
• la qualification ;
• la classification ;
• les conditions de travail ;
• la sécurité et santé au travail ;
• l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ;
• la rémunération effective. Ce dernier thème est obligatoire.
A noter : Les entreprises de plus de 300 salariés doivent choisir quatre domaines et non trois dont obligatoirement le sujet lié à la rémunération effective.
Si un accord est conclu à l’issue des négociations. Il devra alors répondre aux exigences fixées à l’article R. 2242-2 du code du travail, c’est-à-dire contenir des objectifs de progression et des actions permettant d’atteindre les objectifs liés aux trois ou quatre domaines d’action choisis. L’accord devra ensuite être déposé sur la plateforme de téléprocédure (www.teleaccords.travail-emploi.gouv.f) et un exemplaire devra être remis au greffe du conseil des prud’hommes du lieu de l’entreprise.
A défaut de parvenir à un accord, l’entreprise a alors l’obligation de réaliser un plan d’actions, avec des objectifs et des indicateurs chiffrés, qui permettent l’évaluation. Faute de partenaires à la négociation, l’employeur est alors contraint d’établir unilatéralement ses engagements. Il doit mettre à disposition de son comité social et économique (CSE), outre le plan d’action réalisé, les informations et les indicateurs chiffrés, sur la situation comparée des femmes et des hommes, au sein de l’entreprise. Son obligation est d’établir un plan d’action annuel destiné à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Toujours à défaut d’accord sur l’égalité professionnelle, l’employeur doit entamer, en cas de présence syndicale, dans le cadre de son obligation générale de négociation, des pourparlers notamment sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 2242-13, al. 2).
Qu’il s’agisse d’un accord ou d’un plan d’action, d’une part, tous les éléments relatifs à l’égalité professionnelle doivent être transmis au CSE dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi qui porte notamment sur l’égalité entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 2323-15). D’autre part, ils doivent être mis à disposition de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
Le gouvernement s’est engagé à supprimer l’écart salarial entre les femmes et les hommes d’ici la fin de son quinquennat. Pour mettre un terme aux inégalités, la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » impose plusieurs obligations aux entreprises. Elles doivent nommer un référent « harcèlement sexuel », désigné au sein des membres du CSE. Les entreprises de plus de 250 salariés sont de plus obligées de choisir un référent « ressources humaines ». Dans la même veine, la loi prévoit la formation des inspecteurs et médecins du travail pour prévenir les situations de violence et y apporter une réponse adéquate. En outre, le droit à la formation des salariés à temps partiel, salariées souvent féminines, est calqué sur celui des temps pleins. Selon l’Insee, 30,1 % des femmes françaises actives travaillent à temps partiel, contre seulement 8,2 % des hommes.
Enfin, mesure phare, la loi de septembre dernier instaure un instrument de mesure des inégalités : l’index égalité femmes-hommes. Les entreprises ont 3 ans pour se conformer à l’égalité salariale, avec obligation de consacrer un budget au rattrapage salarial. Pour rendre le dispositif contraignant, un contrôle et des sanctions en cas de non-respect sont prévus.
L’obligation s’impose aux entreprises d’au moins 1 000 salariés depuis le 1er mars 2019 ; à celles d’au moins 250 salariés, depuis le 1er septembre 2019 ; celles d’au moins 50 salariés seront concernées au 1er mars 2020.
A noter : Les entreprises de plus de 250 à 999 salariés doivent publier leur index le 1er septembre 2019 et à nouveau le 1er mars 2020.
Quel est le fonctionnement ? Chaque année avant le 1er mars, les entreprises d’au moins 50 salariés doivent calculer leur index de l’égalité femmes-hommes, le publier sur leur site Internet et le communiquer au CSE ainsi qu’à l’inspection du travail (Direccte), avec le détail de quatre ou cinq des indicateurs suivants, selon leur taille :
• l’écart de rémunération femmes-hommes ;
• l’écart de répartition des augmentations individuelles ;
• l’écart de répartition des promotions uniquement dans les entreprises de plus de 250 salariés ;
• le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité ;
• la parité parmi les dix plus hautes rémunérations.
L’index se calcule sur une base de 100 points obtenus en fonction des réponses aux questions liées aux thèmes précités. Le décret d’application n° 2019-15 du 8 janvier 2019 vient préciser et détailler le fonctionnement de l’index et ses modalités de calcul. Si une entreprise a un index inférieur à 75 points, elle est alors contrainte de mettre en place des mesures correctives pour atteindre au moins 75 points dans un délai de 3 ans. Les mesures prises doivent alors être définies dans le cadre de la négociation obligatoire avec les partenaires sociaux ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur et après consultation du CSE. En cas de non-publication de son index, de non-mise en œuvre de mesures correctives ou d’inefficience de celles-ci, l’entreprise s’expose à une pénalité financière jusqu’à 1 % de sa masse salariale annuelle. Le gouvernement a voulu marquer les esprits et engager les chefs d’entreprise sur le chemin de l’égalité professionnelle de gré ou de force.
Force est de remarquer qu’il a également fait preuve de pédagogie. Sur le site Internet travail-emploi.gouv.fr, les chefs d’entreprise peuvent accéder, d’une part, à un « simulateur-calculateur » en ligne pour obtenir le résultat de leur l’index. D’autre part, le site offre un lien direct vers le formulaire de transmission de l’index à l’inspection du travail.
Nous avons interrogé un directeur de structure avec un index inférieur à 75 points. Il nous a confié, sous le sceau de l’anonymat : « Ce ne sont pas les outils qui manquent, mais le poids financier que les rattrapages engendrent est beaucoup trop lourd. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous permettre de supprimer les inégalités salariales. Certaines structures ne s’en remettraient pas, elles pourraient être contraintes de déposer leur bilan. Il ne s’agit pas d’une question de volonté mais d’argent. »
A l’heure des comptes et des premières publications d’index, le bilan que nous pouvons en dresser est mitigé. « Tout d’abord, toutes les entreprises ont des efforts à faire, car rares sont celles qui affichent un score de 99 ou 100, qui doit être l’objectif vers lequel tendre. L’index, avec ses cinq critères, indique ainsi clairement le chemin à suivre pour progresser, lit-on dans le dossier de presse du 17 septembre dernier de la ministre du Travail. En outre, 17 % des entreprises sont en alerte rouge. Elles doivent prendre des mesures dès cette année pour corriger les inégalités criantes ainsi mises au jour. Enfin, si l’égalité salariale est plutôt respectée dans notre pays, il existe un plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder aux plus hautes fonctions. » Muriel Pénicaud s’exprimait au sujet des entreprises de plus de 250 salariés puisque celles comptant plus de 50 salariés doivent diffuser leur index pour mars 2020. « La méthode de calcul de ces écarts permet d’afficher facilement au moins 75 points », a livré un directeur d’une structure médico-sociale qui souhaite rester discret.
D’après Isabelle Taraud, « la mise en place de la dernière réforme qui a créé l’index de l’égalité entre les femmes et les hommes a contribué à conserver un bon niveau de médiatisation autour de ce thème. D’année en année, la problématique de l’égalité entre les hommes et les femmes sort du tabou, s’insinue dans les discussions, gagne du terrain dans les négociations, intéresse les médias, prend la forme enfin d’un objectif… Tout ce qui contribue à sortir de l’ombre ce sujet, à ne pas le ré-enterrer, contribue à la prévention, au progrès dans les consciences… (comme pour le harcèlement sexuel d’ailleurs). » S’agissant de l’efficacité de l’index, l’avocate est plus réservée. Elle concède qu’« en effet, il est malheureusement peu exigeant dans la réalité et surtout trop global, au niveau de l’entreprise, ce qui permet ainsi notamment de cacher des situations critiques dans des établissements ou services… ».
Quant à l’avenir du principe d’égalité professionnelle dans les prochaines années, Isabelle Taraud espère « que le sujet ne retombera pas dans l’ombre, et qu’à force d’être débattu, les mentalités évoluent, conduisant à des répercussions concrètes gagnant du terrain. On peut s’attendre à ce que le chemin soit encore un peu long, mais il est hors de question d’admettre qu’il puisse revenir à une situation de point mort, ou pire, à une régression ».
Gageons qu’au nom du respect du droit et des valeurs de transformation sociale et d’humanisme qu’il porte, le monde médico-social progresse vite.
I. Le principe de l’égalité professionnelle
A. Historique
B. Les obligations générales de tous les employeurs
1. La non-discrimination à l’embauche
2. La non-discrimination en matière de rémunération
3. Les autres obligations de non-discrimination
II. Une obligation légale de négociation et de mesure (dans les entreprises de 50 salariés et plus)
A. Une obligation de négociation
1. Par voie d’accord
2. Par voie de plan d’action
B. Une obligation de mesure
Dans un prochain numéro des ASH, vous trouverez, dans la droite ligne de ce dossier juridique, un modèle d’accord égalité femmes-hommes.
Au pénal : dépôt de plainte devant le procureur de la République, du commissariat de police, de la gendarmerie afin que l’auteur soit pénalement sanctionné.
Au civil : recours devant le conseil de prud’hommes pour faire annuler la mesure en cause et/ou être dédommagé.
En cas de non-respect du principe d’égalité femmes-hommes, l’auteur et l’entreprise encourent des sanctions civiles et pénales : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour le salarié ou l’agent public qui peut, en sus, se voir infliger une sanction disciplinaire. Les personnes morales, déclarées responsables pénalement d’actes de discriminations, risquent, quant à elles, 1 an d’emprisonnement (pour leur représentant légal) et une amende de 3 750 €.
La jurisprudence considère que « des différences de rémunération peuvent toutefois être admises, si elles reposent sur des raisons objectives et pertinentes que l’employeur doit démontrer et que le juge appréciera au cas par cas »(1).
La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler récemment dans un arrêt du 6 novembre dernier(2). Elle réaffirme qu’une différence de rémunération entre un homme et une femme peut être justifiée. Tel est le cas dans l’affaire traitée en raison d’un diplôme de niveau supérieur et d’une expérience plus importante au moment de l’embauche. Un salarié s’estimait victime d’une inégalité de traitement par rapport à une autre salariée. A hauteur de Cour, il est jugé que « l’expérience professionnelle et le niveau de diplôme acquis par la salariée antérieurement à son embauche étaient de nature à justifier une progression salariale plus rapide que celle de l’intéressé ».
Faute d’accord ou de plan d’action relatif à l’égalité professionnelle, les entreprises de 50 salariés et plus encourent le paiement d’une pénalité pouvant aller jusqu’à un montant égal à 1 % de la masse salariale brute.
De plus, la loi du 4 août 2014 a ajouté une sanction avec l’interdiction de soumissionner à un marché public ou à une convention de partenariat public-privé. Les entreprises ont néanmoins la possibilité de régulariser leur situation jusqu’à la date à laquelle elles soumissionnent.
(1) « Entreprises, enfants : quels rôles dans les inégalités salariales entre femmes et hommes ? » – Insee analyses n° 44, février 2019 – L’étude porte sur le salaire net horaire entre 1995 et 2015.
(1) Décision du Conseil constitutionnel n° 2006-533 DC du 16 mars 2006.
(1) Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-12252.
(2) Cass. soc., 6 novembre 2019, n° 18-13235.