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Bidon, bidon, bidonvilles

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Le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux : la résorption des bidonvilles d’ici 2022. En septembre 2019, les crédits dédiés par l’Etat ont été doublés pour atteindre 8 millions d’euros. Si certains territoires s’engagent dans des projets d’insertion pour les habitants, d’autres poursuivent une politique de l’expulsion à répétition.

« Des terrains, friches ou immeubles bâtis occupés de façon illégale et continue à des fins d’habitation par plusieurs ménages. » Cette définition des bidonvilles est toujours d’actualité en France. Depuis trente ans, ils ont marqué leur retour « sous l’effet conjugué de la présence sur le territoire de diverses populations en précarité économique et sociale et de l’insuffisance des politiques d’hébergement, de logement, d’accueil et d’intégration », selon les associations. Les bidonvilles perdurent malgré les évacuations. En juillet 2018, 497 bidonvilles et squats regroupant plus de 16 090 personnes étaient recensés en France métropolitaine. « Ce chiffre n’inclut pas un grand nombre de squats et bidonvilles habités par des citoyens de pays hors Union européenne », précise le Collectif national des droits de l’Homme (CNDH) Romeurope. 41 départements hors Ile-de-France comptent au moins un bidonville, et 497 campements sont recensés dans la France entière. La population en bidonville la plus nombreuse se trouve en outre-mer, précisément à Mayotte et en Guyane.

Présentée en septembre 2018, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté a fixé un objectif ambitieux : la résorption de tous les bidonvilles de France d’ici à 2022. « Dans la droite ligne du plan “logement d’abord” […], nous poursuivrons notre politique de résorption des bidonvilles, qui sont peuplés de 30 % d’enfants », promettait Emmanuel Macron. Une instruction en date du 25 janvier 2018 veut dépasser l’approche centrée sur les évacuations et expulsions et axer l’action sur une stratégie partenariale et territoriale d’insertion. « Les actions doivent être globales, c’est-à-dire portant à la fois sur l’accès aux droits mais aussi sur la protection de l’enfance, les droits des femmes, la lutte contre la délinquance et contre la traite des êtres humains, le respect de l’ordre public et de la régularité du séjour. Elles doivent également comporter la prévention des réinstallations et accorder une attention toute particulière à la situation des enfants, et inclure des actions liées au suivi médical », détaille le ministère de la Cohésion des territoires. L’instruction impose aux préfets d’engager une action de résorption « le plus tôt possible, si possible dès l’implantation et indépendamment de l’existence ou non de procédures juridiques engagées en vue de son évacuation », et de mettre en place une stratégie territoriale de résorption des bidonvilles. Les collectivités territoriales concernées sont appelées à s’impliquer pour permettre la mobilisation de dispositifs d’accompagnement vers l’insertion de droit commun.

De l’ordre public à l’inclusion sociale

« Avec cette circulaire, il y a un basculement sur le sujet des bidonvilles qui relève moins de l’ordre public et qui tend à aller vers l’inclusion sociale. Cette politique publique a la chance d’être animée par la délégation interministérielle à l’hébergement et l’accès au logement (Dihal) qui fait preuve d’investissement, en partenariat avec les associations, dans cet objectif de résorption des bidonvilles. La Dihal a permis de construire une réelle feuille de cadrage. Désormais, nous attendons que la mise en œuvre soit opérante et rapide », commente Marion Fillonneau, déléguée générale du CNDH Romeurope.

« La mise en œuvre d’actions de résorption des bidonvilles s’appuie sur une enveloppe nationale de crédits issus des programmes 177 (“Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables”) et 135 (“Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat”), laquelle est consacrée au soutien des actions territoriales de résorption des bidonvilles et campements illicites », indique le ministère de la Cohésion des territoires. Côté financement, des crédits d’un montant annuel de 3 millions d’euros ont été débloqués en 2017 puis reconduits en 2018 afin de permettre la mise en œuvre des orientations de l’instruction de janvier 2018. En 2019, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, le gouvernement a porté à 4 millions d’euros le total des crédits.

En septembre dernier, Julien Denormandie, ministre en charge de la ville et du logement, a annoncé le doublement de cette enveloppe, portée à 8 millions d’euros. Selon Manon Fillonneau, « il faut que ces 8 millions soient à présent utilisés à bon escient pour des vrais projets d’inclusion. En tant qu’association, nous sommes les premiers à attendre un changement de politique, nous serons un des partenaires de l’Etat et des collectivités dans ce domaine avec notre expertise, notre connaissance du terrain et des difficultés propres aux citoyens européens. »

En septembre dernier, lors de la 4e réunion de la Commission nationale de suivi de la résorption des bidonvilles, rassemblant administrations centrales et déconcentrées, élus locaux, représentants d’associations et d’habitants de bidonvilles, Sylvain Mathieu, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement, a déclaré que « seule une plus forte mobilisation de l’Etat, des élus et des associations, et l’amélioration du suivi des dispositifs mis en place sur le territoire », permettraient d’atteindre l’objectif de résorption des bidonvilles à l’horizon 2022.

Pour les associations, l’urgence est la fin des évacuations sans projet de relogement et de réinsertion des habitants des bidonvilles. Selon le CNDH Romeurope qui rassemble 48 associations et collectifs, le nombre d’expulsions a augmenté de « près de 40 % » en 2018, à un « rythme infernal […] d’une expulsion tous les deux jours », soit « 171 expulsions » qui ont « jeté à la rue 10 000 personnes ». « Ces expulsions à répétition sont lourdes de conséquences sur la santé des personnes : non seulement elles les éloignent du système de santé, mais elles brisent aussi la continuité des soins et rendent difficiles la prévention et la lutte contre les épidémies. Cette politique absurde a notamment été dénoncée par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, le Commissaire européen aux droits de l’Homme, ou le défenseur des droits », rappelle Médecins du monde. Comme le présente le collectif Romeurope dans un dossier publié en octobre dernier, certains territoires, comme Toulouse ou Villeurbanne, ont impulsé des projets ambitieux. Dans ces villes les personnes en bidonville ont obtenu des logements stables leur permettant de réaliser des démarches d’inclusion sociale (scolarisation, accès au parcours de soins, recherche d’emploi…). Une tendance qui est loin d’être présente en région parisienne, où le collectif CNDH Romeurope évalue à 79 le nombre d’expulsions de bidonvilles en 2018.

63 % des expulsions en Île-de-France

A la périphérie des centres urbains, sur des terrains vagues, des friches industrielles, sous des échangeurs autoroutiers, l’Ile-de-France est le territoire métropolitain le plus impacté par les bidonvilles. La Dihal a recensé en juillet 2018 près de 93 installations et 5 357 personnes, soit près de 33 % des personnes recensées au niveau national. Ces chiffres ne prennent pourtant pas en compte les personnes de nationalité extra-européenne vivant des situations comparables sur ce même territoire. La préfecture d’Ile-de-France avançait au 1er mars 2019 les chiffres de 6 512 personnes vivants dans 124 bidonvilles et campements illicites. Aujourd’hui, malgré une stratégie régionale amorcée en 2016, la résorption des bidonvilles est loin d’être une priorité dans toutes les communes. A contrario, une véritable politique d’expulsion est menée : l’Ile-de-France représente 63 % du total des personnes expulsées au niveau national. « Faute de solution, la majorité des personnes expulsées sont contraintes de s’installer dans un nouveau lieu précaire. De fait, plus de 40 % des bidonvilles en Ile-de-France ont moins d’un an d’existence. Or, les conséquences de ces évacuations sont parfois dramatiques pour les occupants, et elles ont a minima des répercussions psychologiques et sociales », condamne la Fondation Abbé-Pierre, dans son rapport annuel 2019 sur le mal-logement.

Pour les associations, les solutions alternatives à l’expulsion sont pourtant possibles mais elles restent trop peu nombreuses et les projets sont souvent sous-dimensionnés par rapport aux besoins des territoires. « En Ile-de-France, l’offre en termes de sortie de bidonvilles est misérable. Les gens ne veulent pas de nuitées d’hôtel, par-ci par-là, trop peu nombreuses et inadaptées », explique Manon Fillonneau. « Dans les départements de l’Hérault et du Nord, les préfets ont récemment décidé de ne plus expulser tant qu’il n’y aurait pas de projets d’insertion pour les habitants. Ce n’est pas la posture des préfets en Ile-de-France qui ne sont pas sur sa bonne ligne. Par ailleurs, certaines communes en Ile-de-France ne la jouent pas collectif. A l’instar d’autres problématiques, les villes les plus pauvres sont impactées par l’installation de bidonvilles quand des communes plus riches ne sont absolument pas concernées par le sujet », poursuit-elle. « Aujourd’hui, il est nécessaire de poursuivre le soutien à des partenaires pertinents qui vont intervenir sur des champs divers comme l’accès au logement, l’accès à l’emploi, la lutte contre les discriminations, l’interpellation… La participation des personnes concernées à l’ensemble des projets et des processus est une stratégie gagnante à développer. Afin de permettre, à défaut de coordonner, les initiatives dignes et respectueuses des personnes, quelle que soit leur nationalité, l’Etat doit contraindre à la vraie résorption des bidonvilles l’ensemble des acteurs concernés. Faut-il le rappeler, nous parlons de trouver des solutions définitives pour 0,04 % de la population francilienne », insiste la Fondation Abbé-Pierre dans son rapport.

En avril dernier, Michel Cadot, préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, a présenté le projet de plan régional de résorption des campements illicites et des bidonvilles 2019-2022. Loin de convaincre les associations. « Ce plan est vide ! Les mesures annoncées étaient déjà en train d’être mises en œuvre et il n’y a pas d’ambitions particulières ni rien de contraignant pour les préfets », déplore Manon Fillonneau. Et de poursuivre : « Même si nous n’avons pas d’informations précises à ce sujet, nous nous doutons que derrière l’expulsion de certains bidonvilles, le nettoyage de certaines zones comme en Seine-Saint-Denis et la relégation vers des zones plus lointaines des plus précaires, se cachent l’aménagement du Grand Paris et la préparation des Jeux olympiques. »

Multiplication des abris informels

Mis en place depuis un an, l’observatoire inter-associatif des expulsions collectives de lieux de vie informels qui réunit notamment Médecins du monde, la Ligue des droits de l’Homme, le CNDH Romeurope ou encore la Fondation Abbé-Pierre, a recensé 1 159 lieux de vie expulsés par les forces de l’ordre en France métropolitaine entre le 1er novembre 2018 et le 31 octobre 2019. Quelque 63 000 personnes, essentiellement étrangères, ont été évacuées d’abris informels en France lors de 1 159 expulsions depuis la dernière trêve hivernale, a annoncé l’observatoire dans un rapport en novembre dernier. Les personnes concernées vivaient dans des tentes, des cabanes, des caravanes, ou occupaient des immeubles et des maisons.

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